48 Cameras, Songs Our Mothers Taught Us
48 Cameras, Songs Our Mothers Taught Us
Plus de trente ans ! 48 Cameras a fêté (dans la discrétion, comme toujours) son trentième anniversaire il y a peu… Ce collectif « à géométrie (très) variable » doit en vérité sa longévité au patient entêtement de Jean (Marie) Mathoul, le dernier rescapé d’une bélandre qu’il dirige depuis le mitant des eighties. A l’époque, ses principales ressources se composaient de quelques bouts de ficelle, d’un téléphone (non portable) et de la complicité du poète anglais Paul Buck, à qui l’on doit le roman « The Honeymoon Killers ». On imaginait mal encore qu’un jour, les réseaux sociaux, les fichiers « attachés », Internet et les e-mails remplaceraient avantageusement le pigeon voyageur ou le colis contenant des bandes magnétiques audios que les services postaux livraient par-delà la Manche… Trente ans que Jean (Marie) Mathoul enfume son « Observatory », une minuscule caverne d’Ali Baba où s’entassent les claviers vintages, les appareils d’enregistrement et des amplis de tous poils. C’est dans cet endroit précisément situé à Huy (mais qu’importe…) que convergent les fichiers à mixer ou – plus épisodiquement – un musicien ou l’autre venu graver sa session. Trente ans pour une quinzaine d’albums que les chroniqueurs de tous horizons ont eu bien du mal à cerner, ne sachant plus trop bien à quelle catégorie les relier : rock gothique ? Jazz en trompe l’œil ? Musique psychédélique ? Pré-post-dark ? Mais toujours « groupe culte ». Trente ans à renouveler les cadres, au gré de rencontres bien souvent épistolaires, plus rarement « du troisième type ». Pour n’en citer que quelques-uns (désolé pour cet exercice imposé de name dropping) : Martyn Bates et Peter Becker (Eyeless in Gaza), Rodolphe Burger et Philippe Poirier (Kat Onoma), Andy Cairns (Therapy?), Gerard Malanga (Warhol’s Factory), Charlemagne Palestine, Marcel Kanche, Sandy Dillon, Michael Gira (Swans), Michel Delville (The Wrong Object), Parrondo, Eugène Savitzkaya… et tellement d’autres, qu’on en oublierait les plus fidèles (Calogero Marotta, Alain Pire, Robert Baussey).
Et puis voici qu’arrive « Songs Our Mothers Taught Us », exercice improbable à ce niveau ou vieux phantasme de Jean (Marie) Mathoul, qui consiste à reprendre (mais « se réapproprier » serait un terme plus adéquat) treize chansons de son choix. Toutes sont issues du répertoire anglo-saxon, beaucoup remontent à ses années adolescentes (les sixties en guise de réservoir en Madeleines de Proust). Forcément, chacun dégagera ses favoris (pour notre part : Jolene de Dolly Parton, magnifiée par la voix de Madame Pascale Tempels). D’autres regretteront une relecture moins convaincante (de façon tout aussi subjective, nous supportons mal l’adaptation du Famous Blue Raincoat de Leonard Cohen). Nappes de claviers brumeuses balayées par la douceur des vents (cor anglais, saxophone, flûte traversière, …), basse omniprésente, ambiances lynchiennes (cf. « Old Man » de Bryan Maclean), le tout sur un tempo d’une infinie lenteur : le résultat est souvent probant, voire déroutant ! Certaines reprises sont presque méconnaissables (My Oblivion des Tindersticks…). Puis il y a d’autres belles (re)découvertes : le magnifique Shipbuilding autrefois immortalisé par Robert Wyatt est intelligemment repris grâce à la complicité de Lucie « Zizalie » Dehli; My Funny Valentine mérite elle-aussi une mention très honorable; Wild is the Wind est un bel hommage rendu à Bowie (il en commit lui-même une adaptation)… Jean (Marie) Mathoul prétendra sans doute que « Songs Our Mothers… » lui donne une belle opportunité pour mettre un terme définitif à une relation passionnelle qui dure depuis plus de trente ans… Peut-être bien, sans doute pas…
Joseph « YT » Boulier