Naïssam Jalal & Rhythms of Resistance : Un Autre Monde

Naïssam Jalal & Rhythms of Resistance : Un Autre Monde

Les Couleurs du son / L’Autre Distribution

En 2018, la flûtiste franco-syrienne enregistrait « Quest of the Invisible », un album pour lequel elle recevra une « Victoire de la Musique » dans une nouvelle catégorie : « inclassable ». En août de l’année suivante, Naïssam Jalal se produisait en trio au Gaume Jazz avec le répertoire de ce disque, accompagnée par Claude Tchamitchian et Andy Emler ( sur le disque Leonardo Montana tient le piano), un concert mémorable dans une salle archi-comble et littéralement hypnotisée par la profondeur du chant de la flûtiste. L’autre projet de la Franco-Syrienne existe lui depuis dix ans. « Rhythms of Resistance » en est à son troisième opus. Après « Osloob Hayati » et « Almot Wala Alamazala », voici « Un Autre Monde », où Naïssam Jalal poursuit de manière toujours aussi convaincante ses luttes sociales, raciales, écologiques, avec une force de persuasion dans sa musique qui fait penser aux grands hymnes de lutte de John Coltrane, Nina Simone ou Archie Shepp. « Un Autre Monde » débute comme une ode à la nature, tout en douceur et en poésie avec le son du nay, avant de s’élever en lutte contre la folie humaine et ses destructions, comme un « Cri de la Terre », traduction de « Sarkhat Al Ard », construit sur une Buleria, flamenco du Sud-Ouest profond de l’Espagne. Pour vivre le message de cette poignante introduction, il faut regarder le clip tourné dans une raffinerie abandonnée de l’Isère, que nous reproduisons en fin de chronique. Lyrisme et violence du propos font partie intégrante de tous les thèmes de l’album studio. Naïssam Jalal y développe un jeu de flûte original qu’elle dit inspiré par Roland Kirk, le cri exprimant ici plus une détresse qu’une simple technique instrumentale, mais toujours avec une virtuosité et une justesse de ton qui vous prend aux tripes. A ses côtés, quatre partenaires combinent les sonorités multiples : Karsten Hochapfel alterne violoncelle et guitare, Mehdi Chaïb sax ténor, soprano (superbe solo sur « Samaaï Al Andalus ») et karbab, sortes de castagnettes du Maghreb, Damien Varaillon à la contrebasse (qui croise le violoncelle sur la tendre ballade « Promenade au bord du rêve ») et Arnaud Dolmen aux drums. Dans les notes de pochette, Naïssam Jalal dit avoir cherché à « explorer de nouveaux territoires au niveau du sens comme de la matière sonore », on ne peut mieux définir sa démarche tant s’y exprime la dualité entre profondeur des sentiments et violence de la réalité quotidienne, douceur du nay et de la flûte et véhémence que ces instruments peuvent aussi exprimer. La première galette se termine avec « D’ailleurs nous sommes d’ici » que le texte lu par Naïssam Jalal illustre et où tendresse rime avec détresse, où ailleurs et ici sont aussi rendus dans la dualité de la musique. Le second CD reprend l’enregistrement en public d’un concert à Guingamp avec l’Orchestre National de Bretagne. Naïssam Jalal y interprète trois thèmes de l’album studio ainsi que le morceau titre de son album précédent « Almot Wala Almazala ». Une fête sonore pleine de vie et d’espoir. Ce double album est à la fois un concentré des peurs de notre temps et des lumières qu’on espère voir resurgir. Un album qui vous prend, vous interroge et vous donne espoir, un espoir à classer parmi les disques de jazz – même si la musique de la flûtiste est dite « inclassable » – qui ont traité des luttes sociales et politiques.

Découvrez l’interview de Naïssam Jalal sur le site de JazzMania ce mercredi 27 janvier.

Jean-Pierre Goffin