Alban Darche, Pacific

Alban Darche, Pacific

Alban Darche, Pacific

Pépin & Plume Record Label

Diplômé du Conservatoire de Paris, le saxophoniste Alban Darche a, à son actif, un nombre impressionnant de formations. Du combo Cube à l’orchestre Gros Cube (albums “La Martipontaine”, avec Laurent Blondiau, chroniqué à l’époque du Jazzaround papier, puis Polar Mood), mais aussi l’Hypercub avec Jozef Dumoulin, Jass (quartet comprenant Samuel Blaser, Sébastien Boisseau et John Hollenbeck) ou Stringed, formation avec cordes dont l’album “L’Horloge” a été chroniqué il y a peu. Voici un nouveau projet, “Pacific”, un quintet avec quelques-uns de ses complices: le trompettsite Geoffroy Tamisier (membre fidèle du Gros Cube, mais aussi du deuxième Orchestre National de Jazz dirigé par Claude Barthélemy et de ce trio Le Gris du Vent, avec Manu Codjia et Gueorgui Kornazov), le tromboniste suisse Samuel Blaser (membre de Jass mais aussi d’un quartet libertaire avec Marc Ducret, d’un trio avec Benoît Delbecq et Gerry Hemingway ou d’un duo avec Pierre Favre découvert au Jazz Brugge de 2012), Jozef Dumoulin au piano et au Fender Rhodes (membre de l’Hypercube mais aussi de nombreuses formations internationales comme le quartet de Dre Pallemaerts) et, enfin, Steve Argüelles, batteur britannique de Loose Tubes avec Django Bates et de The Recyclers avec Benoît Delbecq et Noël Akchoté. Comme l’indique Alban Darche lui-même, le choix du terme Pacific, outre son sens premier, fait référence au jazz West Coast et il cite les noms de Lennie Tristano, Lee Konitz, Paul Desmond et Gil Evans. Mais une autre référence s’impose : celle du légendaire “Birth Of The Cool”, album Capitol qui rassemble trois sessions de ce nonet de Miles Davis qui allait révolutionner le jazz et qui illustre bien l’influence de Gil Evans sur le trompettiste. Si le nom d’Evans n’est pas mentionné sur l’album Capitol, selon le critique allemand Joachim Berendt, “Gil Evans raconte qu’à l’époque où l’orchestre Capitol fut engagé au Royal Roost, il y avait devant la porte une affiche ainsi libellée : arrangements de Gil Evans, Gerry Mulligan, John Lewis”. Au sein du nonet, aux côtés de la trompette de Miles, un saxophone alto (Lee Konitz), un trombone (Kai Winding ou J.J. Johnson), un baryton (Gerry Mulligan) mais aussi, nouveauté pour l’époque, un cor et un tuba. Comme le qualifie le texte de pochette du LP 33 tours: “a grand, rumbly groupe sound, a nice balance of power between ensemble and solo work, generous use of clever variations on original motifs… the beginning of modern chamber voicings in jazz”. Une description qui peut s’appliquer parfaitement au projet d’Alban Darche. La référence à ce “Birth Of The Cool” est notamment évidente dans la première plage, au titre en jeu de mots, Birth Of The Coocool : on y retrouve la sonorité ouatée de la trompette qui introduit la composition, celle fluide et veloutée du saxophone alto et celle lisse et feutrée du trombone, auxquelles s’ajoutent les sonorités ondoyantes du Fender Rhodes, en lieu et place des cor et tuba. A quelque 4 minutes 12, clin d’oeil à l’album mythique, les trois solistes citent, comme un leitmotic obsédant, le thème de Godchild, composition de George Wallington reprise par Miles. Si tout au long des dix plages de l’album, de courtes compositions de 2 à 6 minutes comme à l’époque des bons vieux LP, on retrouve cette “exploration du son” chère au jazz West Coast et au jazz cool, Alban Darche réussit à créer, ce qu’il appelle, “une musique originale et personnelle qui contient dans son architecture  les caractéristiques de ma marque de fabrique”. De Five à Sam, en passant par Kenny, on retrouve une atmosphère remplie de quiétude, une atmosphère “pacifique” : un autre passage du livre de Berendt, à propos du nonet de Miles, convient à merveille pour décrire cette atmosphère. Celle-ci se déploie “comme un nuage suspendu que viennent percer les improvisations des solistes, comme des rayons de soleil à travers une brume automnale”. Les arrangements sophistiqués de Darche s’ouvrent, à tout moment, sur de lumineux solos de saxophone alto (Five et belles intros de Bess, One Question et Pacific 3), de trombone (Kenny, Sam), de trompette (Birth of the Coocool), de claviers électriques (Pacific 2) ou de piano (Birth Of The Coocool). Bref une écriture savante qui parvient à allier, avec personnalité, héritage du passé (West Coast, cool jazz) et modernité au travers des claviers très présents de Jozef Dumoulin.

Claude Loxhay