André Klénès, clair de lune…

André Klénès, clair de lune…

André Klénès, clair de lune.

“Luz Da Lua”, come alla casa…

Propos recueillis par Joseph Boulier

Photos © France Paquay

La « casa » HomeRecords s’étend sur une zone labyrinthique au milieu de laquelle nous avons retrouvé André Klénès pour un entretien (comme toujours) instructif sur les musiques plurielles, sur son parcours personnel et sur le nouveau projet « Luz Da Lua », aux accents brésiliens, qu’il vient de mettre en œuvre avec le guitariste Adrien Brogna. Entretien entre deux séances d’enregistrement et deux tasses d’un café au goût sud-américain…

Cela fait un moment qu’on ne s’était plus vus pour une interview… A l’époque, tu jonglais entre le jazz et la musique classique pour le projet “Adam’s Dream”…

Un projet en quintet : quatuor à cordes et contrebasse, c’était le concept. Décliné plus tard en duo, violoncelle et contrebasse… Nous avons enregistré et publié cinq albums sur le label Chamber, dont un « live » enregistré au Théâtre Marni, à Bruxelles.

On connaît ta faculté pour jouer des styles de musique très différents…

Oui, j’ai ensuite voyagé vers d’autres projets, comme Music 4 a While… Depuis 2016, j’entretiens une nouvelle collaboration, avec le guitariste Adrien Brogna. Nous avons appelé ce projet « Luz Da Lua », que l’on peut traduire par « Lumière de lune », une référence aux musiques brésiliennes que nous aimons aborder… Adrien a voyagé en Amérique du Sud… Il a une bonne connaissance de cette musique. J’y suis très attaché aussi depuis que j’ai moi-même rencontré et accompagné des musiciens brésiliens. Ca remonte à l’époque qui précédait « Adam’s Dream ».

Parle-nous un peu de ce disque, « Illuminations ».

Pour ce disque, nous avons travaillé autour d’un répertoire de style sud-américain. On y joue des reprises mais aussi des compositions personnelles. J’aime composer sur mesure pour les musiciens avec lesquels je collabore… Je l’avais déjà fait pour le violoncelliste Sébastien Walnier (présent sur trois titres de l’album «Illuminations» – NDLR). Cette fois, j’ai composé une dizaine de titres en fonction de la guitare huit cordes d’Adrien. Sur l’album on peut aussi entendre quatre reprises : Caetano Veloso, Mariano Mores, Tom Jobim. Il y a aussi Frevo d’Egberto Gismonti. Il s’agit d’un titre emblématique du répertoire de Gismonti, voire du Brésil. A l’époque, Gismonti avait exploré, au sens propre et figuré, les racines de la musique brésilienne. On pensait même l’avoir perdu alors qu’il vivait en retraite depuis plusieurs mois en Forêt amazonienne…

Quelle recette appliques-tu pour concilier tes origines « classiques » avec les libertés du jazz ou, comme ici, les libertés des musiques sud-américaines ?

Un moment donné, il faut lâcher prise… On n’a pas le choix, pour les cordes, il faut écrire en fonction des accords et de la forme que le morceau doit prendre. Pour que ça fonctionne au sein d’un ensemble à cordes par exemple, il est indispensable qu’une écoute mutuelle entre les musiciens existe. Chacun doit pouvoir s’appuyer sur les harmonies de son voisin… C’est grâce à cela que le groove peut prendre de l’ampleur, que les sonorités vont fusionner… Une bonne texture sonore se construit avec l’écoute qui doit créer un lien organique entre les musiciens.

Dans le milieu du jazz, on entend souvent des musiciens prétendre que la période passée au Conservatoire leur a permis d’améliorer cette faculté d’écoute de l’autre…

Avec ou sans Conservatoire, la musique en groupe nécessite avant tout une bonne écoute de l’autre. Le Conservatoire apporte une rigueur au niveau de la mise en place et de la justesse. Grâce à cet apprentissage, on peut travailler beaucoup plus vite, contrairement aux musiciens qui jouent à l’instinct, et qui avancent plutôt à tâtons… Avec une bonne formation, on peut construire plus aisément un discours musical… ce qui permet de lâcher prise au moment de l’interprétation… La technique de départ demeure importante, tout comme d’ailleurs le rôle toujours plus affirmé de l’ingénieur du son. Le musicien doit en tenir compte également ! En studio et en « live ». La relation musicien/ingénieur du son est même de plus en plus importante.

Revenons un instant sur Music 4 a While… L’occasion pour toi de te tourner vers la musique baroque…

C’est Johan Dupont qui en est l’initiateur… Il a fait appel à moi pour mon expérience, aussi bien en matière de jazz que de musique classique. Ce projet, c’est aussi une plongée dans notre patrimoine musical. Dans la pratique, les musiciens de l’époque baroque sont tous des improvisateurs. Tout comme une partition de jazz, une partition de John Dowland par exemple, comprend principalement la ligne mélodique et une grille d’accords. Par contre, dans une composition de style classique, les moindres nuances sont écrites et doivent être respectées scrupuleusement. Au niveau de la musique baroque, tu jouis de beaucoup plus de libertés. A l’époque, au gré des voyages, les compositeurs s’adaptaient aux rencontres… On appliquait des transpositions pour vents ou pour cordes, selon les cas…

Ton instrument, la contrebasse, est particulièrement bien adapté à cet exercice, selon que tu pinces les cordes ou que tu utilises l’archet…

La contrebasse m’a permis d’aller partout ! Elle s’adapte à beaucoup de styles, ce qui me permet de voyager d’un genre musical à l’autre. Grâce à la contrebasse, j’ai toujours été très sollicité. De façon naturelle. Je dis souvent aux jeunes musiciens de ne pas s’emballer trop et d’éviter si possible la frénésie de la notoriété qui voudrait que tu sois reconnu tout de suite. En musique, il faut être patient et travailler. Quand un musicien est doué, ça finit par se savoir…

Impossible à ce stade-ci de ne pas évoquer ta collaboration avec William Sheller… Que t’a-t-il apporté ?

Nous avons travaillé ensemble pendant vingt ans environ… Je reste admiratif, il m’a apporté beaucoup… Avant tout, il est compositeur… Nous avons souvent eu de longues discussions très instructives à propos de la composition et de l’écriture musicale.

Sheller est lui aussi capable de passer de la musique classique au rock…

Il a une grande culture musicale. Il a suivi une formation auprès d’un des derniers élèves de Gabriel Fauré. Il a été imprégné par une certaine tradition post-romantique française. Par ailleurs, son père était américain et contrebassiste de jazz à Paris. Ses influences sont très diverses et transparaissent bien dans ses compositions.

Le fait que tu t’adaptes à tous ces styles devait l’intéresser particulièrement…

Oui, tous les musiciens qui travaillaient avec lui avaient en commun cette connaissance des différents styles musicaux. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il est venu chercher des musiciens en Belgique. Nous avions cette réputation-là en France. Je n’étais pas le seul. Il y avait aussi dans l’orchestre Jean-Pierre Catoul, puis Nicolas Stevens et bien d’autres…

Qu’est-ce qui te séduit, ici, chez HomeRecords ?

Ils savent te mettre à l’aise… C’est un peu ça, on se sent « comme à la maison » (sourires).

Concerts Luz Da Lua “Illuminations” 

le 7 décembre, à la Chapelle du Couvent des Soeurs Noires (Mons)

le 15 décembre au Musée Curtius (Liège)

le 24 janvier 2020 à l’An Vert (Liège)

le 15 février à l’Atelier Marcel Hastir (Bruxelles).