Barbara Wiernik : Ellipse
Le titre de l’album est déjà tout un programme : « Ellipse ». Non pas la figure géométrique mais plutôt un procédé grammatical consistant à omettre volontairement plusieurs éléments d’un texte pour le raccourcir. Transposée à la musique, une ellipse créerait ainsi des espaces libres entre les notes, comme des silences suspendus, mais sans nuire à sa compréhension. En réalité, les chansons de Barbara Wiernik sont tellement bien conçues et les mots si bien choisis que, tout en étant concises, elles ne recèlent aucune obscurité.
La voix funambule de Barbara est posée sur des orchestrations limpides, arrangées par Alain Pierre, qui tiennent autant du jazz que de la musique de chambre. Sigrid Vandenbogaerde au violoncelle, Bart Quartier au vibraphone et au marimba et Hélène Duret à la clarinette, basse ou non, délivrent un univers musical enchanté, aux ambiances joyeuses et positives, qui suivent les inflexions de la chanteuse avec une délicatesse quasi amoureuse et un art consommé de l’enroulement. A l’écrit se mêle bien entendu l’improvisation, quand Barbara se lance avec sûreté, comme sur les splendides « Like a Morning Song » et « Falling Slowly », dans des parties « scattées » qui donnent un frisson d’imprévu à une musique autrement lyrique et mélodique. Le choix des instruments est particulièrement judicieux en ce que leurs timbres n’interfèrent jamais avec la voix claire et bien articulée qui plane un cran au-dessus, ce qui permet de comprendre distinctement les paroles sans avoir à les lire. Car, après tout, pour sophistiqué qu’il soit, cet album est aussi un disque de chansons qui, au-delà de la musique, a des histoires à raconter.
Et qu’elles sont belles ces histoires ! Concises, avec des trous bien sûr qu’il faut combler en activant son propre imaginaire mais qui font naître des rêves. Comme celle de l’« Oiseau de Sukhotai » qui chante très haut et dont le nom seul évoque une ancienne et lointaine civilisation. Ou la fable de la personne sans mémoire qui se réveille un matin, sans crainte ni regret, dans le Pays de la Poésie. Ou encore l’étrange « Tame the Beast » dans lequel un songe féérique révèle la bête cachée en l’homme, qu’il faudra un jour se résoudre à dompter. En résumé, un répertoire de textes originaux (excepté « Distant Destiny » écrit par Norma Winstone) à propos de sujets ouverts, elliptiques et traités avec autant de poésie que de délicatesse.
« Ellipse » est un trésor de l’année 2022, une période formidable sur le plan artistique, marquée entre autres par la renaissance de la musique live. Nul doute que Barbara Wiernik saura en profiter : son projet, tout en nuances, souplesse, musicalité, lyrisme, scat et swing ne demande qu’à être porté sur des planches européennes pour y recueillir toute la notoriété qu’il mérite.
En collaboration
avec le magazine DragonJazz
Au Théâtre Marni ce jeudi 22 septembre dans le cadre du Marni Jazz Festival et en interview dans JazzMania ce mercredi 14 septembre.