Barbara, Nicola… black coffee !

Barbara, Nicola… black coffee !

Barbara Wiernik et Nicola Andrioli ont accepté de répondre à mes questions autour d’un café bien noir.

Tournée au Vietnam (c) Anne Lange

Propos recueillis par Kenzo Nera

Photos de Roger Vantilt

Que je sache, vous vous connaissez depuis un certain temps… A quel moment avez vous décidé de construire un album autour de votre duo ?

Barbara : Ca s’est mis en place naturellement, très progressivement. A la base, nous n’avions pas de projet d’album, nous voulions juste jouer ensemble. En fait, nous nous sommes rencontrés à Libramont (à l’AKDT, le stage d’été où je les ai moi-même rencontrés, ndlr) il y a quatre ans. Mais je l’avais déjà vu sur scène avec Philip Catherine. On a joué une fois ensemble au stage. Puis nous ne nous sommes pas vus de toute l’année, et avons rejoué ensemble l’année suivante. Tout s’est vraiment fait petit à petit, très progressivement. Le projet de l’album est venu finalement il n’y a pas si longtemps.

Nicola : En fait, le projet d’album est venu pendant les répétitions pour le premier concert.

B : Oui. On a fait un premier concert en duo pour le jazz marathon de l’année 2015. Pour cette date là, nous avons dû mettre sur pied un répertoire. Le projet d’album n’était pas encore là, mais c’est à ce moment là que nous avons pris le projet vraiment au sérieux. Nous avions une date butoir… Et là, tout de suite, ça a été génial, nous avons eu un super accueil du public.

Et ce retour enthousiasmé vous a conforté dans l’idée d’enregistrer un album ?

N : Oui. Un concert, c’est aussi un test pour voir si le public répond à la musique. La musique ne « doit » pas forcément plaire, mais il est intéressant de voir s’il y a une vibration, si quelque chose se passe…

B : C’est-à-dire que la musique, c’est un échange. Un échange avec les musiciens, et un échange avec le public. Quand cet échange passe dans tous les sens, c’est vraiment là que la musique prend vie.

Tu évoques l’échange entre les musiciens, pourrais-tu me parler du choix des invités sur l’album ? En commençant peut-être par le bassiste, qui est le seul que je ne connais pas…

N. : Moi et Marco, on se connaît depuis très longtemps. A l’époque où j’habitais dans les Pouilles, on a fait plein de gigs ensemble. Nous avons joué tous les styles pour apprendre à jouer. Nous avons accompagné des chanteurs cubains, joué de la salsa, du funk, de la soul, du jazz… Après, je suis parti d’Italie, et lui y est resté. Plus tard il a décidé de passer un moment en Belgique. Il y est resté un petit moment. On s’est retrouvé, on a fait des sessions… Et dans ce voyage (le projet d’album, ndlr), on voulait aussi expérimenter des choses. Alors on s’est dit : pourquoi pas essayer quelque chose avec un contrebassiste comme Marco ? Il avait fait un disque en contrebasse solo intéressant… Il pouvait apporter une certaine couleur, donc on s’est dit : « OK, on essaye ! ». On a fait un concert en trio avec Barbara au Sounds, et c’était super chouette !

B : Pour Manu, je le connais depuis très longtemps, c’est un ami. Mais je l’ai surtout rencontré musicalement parce qu’on avait ensemble un projet de musique à consonance indienne.

Oui, on retrouve la technique de chant indien sur certains titres de l’album…

B. : Oui, tout à fait. Avec Manu aussi on a fait un super concert en trio. Après cela, on s’est dit que ça serait peut-être bien d’avoir aussi un batteur. En fait, on a beaucoup hésité pour savoir si on faisait le disque à deux ou si on le faisait avec des invités. Au final, je suis super contente de notre choix. Mais concernant le choix du batteur, il n’y avait aucun doute : c’était Antoine (Pierre). Ca devait être lui, ça a été lui. Avec Antoine, on n’avait jamais fait de concerts. Il est arrivé en studio en ayant juste écouté la musique, sans l’avoir jamais jouée. Et ça s’est passé tellement bien ! A certains moments, c’était à se demander si ce n’était pas lui qui avait écrit la musique (rires). Une maturité incroyable… Et puis nous avons été supervisés durant notre session de studio. Alain Pierre a fait la direction artistique.

La « direction artistique », c’est-à-dire ?

B : La première chose c’est que pendant l’enregistrement on ne devait pas systématiquement revenir en cabine pour réécouter, il se chargeait de nous dire ce qu’il fallait refaire et ce qui était bon. Il nous a fait gagner un temps précieux. Il a supervisé l’enregistrement, le mixage, mais aussi le mastering. Il a vraiment fait tout le suivi pour qu’il y ait une unité dans la musique et dans le son de manière générale, pour que les instruments soient bien mis en valeur.

Vous avez bien fait de choisir de prendre des invités… A deux, c’est magnifique aussi, mais ça apporte une variété dans les arrangements, dans les couleurs… C’est quelque chose qui aide à accrocher pour les personnes moins spécialistes, une richesse supplémentaire dans la musique. Ces arrangements, comment est-ce que vous les avez gérés ? Est-ce toi, Nicola (compositeur de la majorité des titres), qui a tout supervisé comme un compositeur tyrannique, ou alors vous discutiez, expérimentiez ?

B : il faut savoir que Nicola n’a rien d’un compositeur tyrannique (rires)…

N : Je pense que dans ce projet, notre projet, il y a une idée de départ, mais que l’arrangement doit être au service des musiciens. Je pense que l’arrangement marche quand le musicien qui le joue se sent à l’aise. J’ai essayé de suivre cette piste. Parfois, j’écrivais des notes pendant les répétitions. Les sons de Manu m’inspiraient quelques choses ; puis on voyait si ça marchait. Ça se passait comme ça, et je trouve que c’est bien. Finalement, on trouve des idées de musique qui n’étaient pas prévues, et ça c’est intéressant.

Est-ce que vous arriviez en studio avec des arrangements que vous jouiez puis sur lesquels vous reveniez, ou est-ce que c’était plus « exploratoire » ?

B. : Les arrangements pour Manu avaient été essayés pour le concert en trio. Sinon, de manière générale, comme pour le glockenspiel (dans « Cradle Song ») c’est des trucs qu’on a vraiment essayé en répétition. Nicola venait avec une idée, je venais avec une autre… Et en studio, on a laissé une large part de liberté aux musiciens. On a changé plein de choses, également grâce aux propositions d’Alain.

N : On a même changé une tonalité. Dans the « Beginning of the End », on l’a augmentée d’un demi ton.

B : Et c’était pas pour moi, c’était pas pour la chanteuse (éclat de rire) ! Et du coup, toutes les versions du premier jour sont passées à la poubelle…

N : Et on a fait aussi d’autres modifications. Nous avions une structure de départ, mais tout ce qui est décor, tous les petits détails qui font la grande différence, c’était du « work in progress »…

Combien de temps l’enregistrement de l’album ?

B : Trois jours.

Ah oui, il fallait être efficace… Passons à la musique. Le tout fonctionne très bien. Nicola, beaucoup de morceaux sont de toi, mais tu parviens à composer dans des styles très différents, c’est vraiment surprenant ! « Queens Of The Hill », qui fait très « chanson », je n’aurais pas pu dire que c’était de toi par exemple. Comment arrives-tu à une telle variété dans tes compositions ?

N. : Certaines compositions ne sont pas récentes. Donc une partie de la réponse à ta question est la chronologie : avec le temps on change, donc la musique qu’on écrit change aussi… Un deuxième point, c’est la source d’inspiration. Par exemple « Queens Of The Hill », quand je l’ai composée, j’écoutais pas mal de Kurt Weill (compositeur juif allemand, décédé en 1950, auteur de nombreuses chansons, dont celle qui sera reprise sous le titre « Whiskey Bar » par les Doors, ndlr)…

B. : Il faut souligner de manière générale que Nicola a énormément d’influences différentes. C’est ça aussi qui donne la palette de couleurs et de sonorités différentes à tous ses morceaux.

Oui, J’avais écouté « les Montgolfières » (autre album de Nicola Andrioli, sorti en 2014 chez Dodicilune) il y a quelques temps, et c’était encore un univers totalement différent… Ca me rappelait Berg, Debussy, ça me semblait loin du jazz. Comment es-tu passé de ça, à Complicity, en passant par des enregistrements de jazz plus traditionnels ? Pourrais-tu expliquer ton parcours ?

N. : j’ai une formation classique à la base, et suis passionné par la musique classique. J’ai étudié le répertoire allant du baroque jusqu’à un peu de Schoenberg… J’ai joué beaucoup d’impressionnistes. Ma prof de piano avait compris que j’aimais le jazz, donc elle m’a fait jouer beaucoup de Ravel. Sinon des compositeurs Russes, Rachmaninov, Scriabine… Les ballades de Chopin. Et pendant ma formation classique dans les Pouilles, je jouais d’autres styles de musique, de la fusion, de l’acid jazz. Grâce à un manager, j’ai accompagné pas mal de chanteuses de soul, dans des églises. A l’époque je jouais le jazz à l’oreille, de façon instinctive. Après, quand j’ai étudié trois ans au CNSM, je me suis formé, et j’ai enfin appris à écrire les accords (rires).

En ce qui concerne les morceaux de l’album qui n’ont pas été composés par Nicola, j’ai eu un coup de cœur pour « Running Through the Wind » que tu as composée, Barbara. Que raconte cette chanson ?

B. : Quoi d’autre que l’amour (rires) ? En fait je ne parle pas du tout que de ça sur l’album (dont elle a écrit toutes les paroles à l’exception de « Cradle Song ») mais celle là, c’est vraiment une déclaration d’amour.

Sinon, les deux autres morceaux, comment les avez-vous choisis ?

B. : C’était des coups de cœur. Le morceau de Mario Laginha (« The Secret Circus » ndlr), pianiste portugais, c’est un morceau pour lequel j’ai eu un coup de cœur et que j’ai proposé à Nicola. J’ai envoyé un message à Mario que je ne connaissais pas, pour lui demander si je pouvais écrire des paroles sur son morceau. Les paroles ont été très bien acceptées, il était très enthousiaste. C’était une chouette « rencontre »…

N. : Est-ce qu’il a entendu la dernière version ?

B. : je ne sais pas, je lui ai envoyé l’album, mais je n’ai pas encore de nouvelle. En tout cas, quand il a vu la partition avec les paroles, il était super content ! L’autre reprise, « Cradle Song », je l’ai entendue sur un disque de Norma Winstone. C’est un des tout premiers morceaux qu’on a joué ensemble. Celle là est d’un compositeur de la fin des années 1800’ (Komitas, en fait décédé en 1935, ndlr), que donc nous n’avons jamais connu. Un homme qui était poète, compositeur, chanteur, philosophe… Que Norma Winstone avait totalement réarrangé sur un de ses albums. Nous en avons produit une autre version, plus orientale. A la base, c’est une chanson traditionnelle arménienne. Nous l’avons emmenée vers l’Inde, tout en restant fidèle au thème original.

Le titre de votre album souligne l’importance de la complicité dans votre musique, dans votre duo, dans le choix des invités. J’extrapolerai la question : quelle est l’importance de la complicité, voire de l’amitié dans l’art et dans la musique ?

B. : Je suis totalement convaincue que c’est extrêmement important.

Après, il y a des musiciens qui se détestent et travaillent bien ensemble…

B. : Oui, mais c’est beaucoup plus compliqué. Parce qu’il faut une connivence, une confiance pour pouvoir faire de la musique ensemble.

N : Pour moi, le mot clé, c’est effectivement la confiance. Imaginons deux musiciens qui se détestent. Je crois que lorsqu’ils sont avec leur instrument, qu’ils jouent ensemble, s’il y a de la confiance dans la production musicale, ça marchera. La scène devient un lieu de confiance, et c’est possible même si les musiciens ne peuvent pas se regarder une fois qu’ils ont quitté la scène.

B. : Moi, si je fais une rétrospective des albums que j’ai enregistré, les personnes avec lesquelles je m’entendais bien humainement ont donné les albums dont je suis le plus fière. Le résultat me paraît plus vrai, plus juste. Pour moi, c’est primordial.

 

RIVER JAZZ FESTIVAL – MARDI 17 JANVIER

BARBARA WIERNIK & NICOLA ANDRIOLI + GUESTS :

“COMPLICITY”

Les deux artistes nous présentent le répertoire de leur premier album commun et nous offrent un jazz vocal mélodique, virevoltant et lumineux aux sonorités très actuelles. Ils composent et jonglent avec les notes pour que la musique leur ressemble.

 Le mardi 17 janvier 2017 à 20h00

Théâtre Marni – SALLE – 1050 – Ixelles