Ben Sluys Quartet, Particles

Ben Sluys Quartet, Particles

Une fois n’est pas coutume, voici deux chroniques du nouvel album du saxophoniste belge Ben Sluys. Trop rare sur les scènes, voici donc deux écoutes de ces “Particles” interprétées par un quartet à découvrir d’urgence !

Ben Sluijs QuartetParticles

PURPOSE RECORDS

Preuve d’une carrière prolifique, on a pu découvrir l’Anversois Ben Sluijs dans tous les formats possibles de formation: en solo (album “Solo Recordings” de 2018), duo avec le pianiste Erik Vermeulen (“Stones”, “Parity”, “Décades”),  trio (“3/4 Peace” avec le pianiste Christophe Mendoza, “Ancesthree “avec le guitariste Hendrik Braekman et le bassiste Piet Verbist), quartet avec  Erik Vermeulen (“Food For Free”, “Seasounds”) ou quartet très colemanien avec Jeroen Van Herzeele (“True Nature”, “Somewhere Between”), quintet (les mêmes + Erik Vermeulen pour “Harmonic Intégrations”), large formation avec Octurn (“Round”, “Ocean”) et même big band avec Act de Félix Simtaine ou le Brussels Jazz Orchestra. Voici son tout nouveau quartet basé sur la confrontation de générations différentes. D’un côté, les cinquantenaires : Ben et le talentueux Dré Pallemaerts (professeur au Conservatoire de Paris). De l’autre, deux musiciens nés dans les années 1990 mais déjà très expérimentés : le pianiste Bram De Looze et le contrebassiste Lennart Heyndels. Bram n’est pas seulement l’un des fondateurs du LAB Trio, avec Anneleen Boehme (contrebasse) et Lander Gyselinck (batterie), il est membre d’Urbex d’Antoine Pierre, le leader de Septych avec Robin Verheyen (saxophone), Bo Van Der Werf (saxophone baryton) et l’Allemand Gebhard Ullmann (clarinette) mais aussi du trio de Robin Verheyen avec Joe Baron à la batterie (un projet Monk découvert au dernier Middelheim). Lennart Heyndels est issu du Conservatoire de La Haye, il fait partie du groupe Les Chroniques de l’Inutile du guitariste Benjamin Sauzereau, de How Town (4 vocalistes, dont Sarah Klenes, guitare et contrebasse), du trio d’Alex Koo (nouveau pianiste du LG Jazz Collective) et du nonet NEST qui rassemble 3 bassistes. De son côté, Dré Pallemaerts a une carrière exceptionnelle : il a été le batteur de Philip Catherine, Bert Joris, Robin Verheyen, Ivan Paduart, David Linx et Diederik Wissels, Mélanie de Biasio, Erwin Vann, Kris Defoort, Michel Herr et Joe Lovano (album  “Solid Steps”). A son nom, il a gravé les albums “Pan Harmonie” en 2007, avec MarkTurner (saxophone) et Stéphane Belmondo (trompette) et Coutances, toujours avec Mark Turner et le pianiste Bill Carrothers, en 2016. Pour “Particles”, Ben Sluijs a rassemblé huit longues compositions personnelles (de 5’30 à 9’30) qui illustrent toute sa science dans la construction des thèmes et l’ordre d’apparition des instrumentistes/solistes. Les huit mélodies révèlent aussi toute sa maîtrise au saxophone alto (une sonorité fluide, parfois diaphane mais toujours en équilibre sur Particles, Miles Behind, Cell Mates et Ice Chrystal) mais aussi à la flûte (sonorité limpide sur Air Casles) et à la flûte alto (sonorité chatoyante ettournoyante sur ce Song for Youssef, dédié à Youssef Lateef , Mali aux accents africains et Jemina). Les compositions très mélodiques comme Song for Youssef ou Air Castles alternent avec des thèmes plus enlevés (Cell Mates, Jemina ou ce Particles très proche de la musique jouée avec Erik Vermeulen), d’autres voient leur tempo s’accélérer progressivement (intro contrebasse/saxophone alto sur Miles Behind puis accélération avec l’apport de Dré Pallemaerts et de Bram De Looze qui s’offre un beau solo). La construction des thèmes varient aussi d’une plage à l’autre : intro de piano sur Air Castles ou ce Ice Chrystal avec un lyrisme serein qui évoque Debussy, de contrebasse et alto sur Miles Behind, Cell Mates est lui introduit en trio avant l’arrivée du piano, magnifique intro solo de flûte sur Mali, avant l’apport successif de la contrebasse lyrique de Heyndels, puis le jeu tout en délicatesse de la batterie en accord avec le piano. Chacun est mis en évidence au fil des plages. La sortie de l’album a été présentée lors du dernier festival du Middelheim. D’autres concerts (à ne pas rater) vont suivre.

Claude Loxhay

La chronique de Jean-Pierre Goffin

Depuis un quart de siècle, le saxophoniste-flûtiste Ben Sluys nous régale de ses enregistrements qui mêlent modernité et tradition. Déjà avec un album « Food for Free », je me souviens avoir fait référence au jeu de Jacques Pelzer. Sur « Decades » en 2011, son duo avec le pianiste Erik Vermeulen était un modèle de ce qu’un musicien moderne ne peut avancer dans le jazz d’aujourd’hui sans avoir trempé dans la musique de Gershwin, Monk et les grands standards. Ce tout récent « Particles » sorti en août dernier est un nouveau reflet de la culture musicale de Ben Sluys. Le titre éponyme ouvre l’album avec un subtil solo aux balais de Dré Pallemaerts et dès les premières notes d’alto, on retrouve le jeu quasi konitzien du saxophoniste, la structure du morceau avec ce solo absolu de Lennart Heyndels reste aussi dans cet esprit. Bram De Looze apporte avec discrétion quelques touches à cette pièce d’introduction plutôt introspective. Song For Yusef ne peut être qu’un hommage à Yussef Lateef où on retrouve l’influence orientale du flûtiste américain dans les premières mesures suivies d’une impro plus libérée et d’un solo de Bram De Looze à la fois frais et contemporain. Après les mesures d’introduction où domine la contrebasse de Lennart Heyndels et le chant saccadé du saxophone, Miles Behind s’envole et groove à souhait. Tout comme Cell Mates qui sous des allures très années 1950/1960, relit l’histoire avec une saveur nouvelle. Jemima , avec le rythme obsédant de la batterie et de la contrebasse, se révèle un terrain de jeu plein d’idées pour la flûte avec ce balancement continu qui ne peut réfréner un pas de danse qu’on a envie d’esquisser sur ce thème terrien. Avec Ice Chrystal, l’album se termine dans l’apaisement total. Faut-il encore ajouter que ce nouvel opus de Ben Sluys m’a conquis, persuadé déjà depuis longtemps qu’on tient là un des artistes majeurs de notre scène nationale. A écouter sans retenue.

Jean-Pierre Goffin