Chicago Blues Festival 2022 comme si vous y étiez !
Après deux ans d’absence, le plus grand festival de blues reprend ses marques. Des amateurs venus des quatre coins du monde, des photographes et journalistes plus que ravis de pouvoir renouer avec leurs appareils photos et des musiciens enchantés de partager à nouveau leur raison d’être.
Du 9 au 12 juin, quatre jours de blues et, malgré une affiche qui ne prend pas trop de risques, car ce fichu virus rode encore autour de nous, ce festival nous a réservé de belles surprises, des découvertes et des coups de cœur. Quelques changements au programme avec une extension des lieux : les scènes ne se trouvent plus uniquement au Millennium Park mais aussi à Austin dans l’ouest de Chicago et Bronzeville, dans le sud. Certains étaient ravis par ce dépaysement et d’autres frustrés de ne pas avoir de moyens de déplacement pour profiter des lieux et ambiances totalement différents de ceux du Parc. Des artistes talentueux se sont succédé durant ces quatre jours et j’ai eu la chance d’avoir pu profiter d’un « pass photo », et donc d’être au-devant de la scène et même de lacer les chaussures de Lucious Spiller lors d’un solo de guitare.
«Linsey Alexander subit un léger malaise au milieu du set… Son petit-fils Nick s’empare de sa guitare afin qu’il reprenne son souffle…»
Le printemps a du mal à arriver à Chicago cette année, mais c’est néanmoins sous le soleil que je me dirige vers la Visit Mississippi Juke Joint Stage où Linsey Alexander surnommé « Hoochie Man » donne le coup d’envoi du festival, à midi pile. Natif de Holly Spring, Mississippi et artiste renommé à Chicago, avec une voix profonde qui résonne sous la tente, avec des chansons à double sens ainsi que son légendaire humour toujours intact malgré un léger malaise au milieu du set où son petit-fils, Nick Alexander, s’empare de la guitare afin qu’il reprenne son souffle.
Avec seulement quinze minutes de battement entre chaque groupe, c’est au tour de Robert Kimbrough Sr. de faire vibrer nos sens grâce à son Mississippi hill country blues qu’il a hérité de son père, Junior Kimbrough. Un invité de marque au sourire communicateur accompagne Robert à la basse, Duwayne Burnside, fils de R.L. Burnside.
Ensuite, Keeshea Pratt aux commandes, avec son groupe aux cuivres endiablés, une voix soul et un charisme indéniable. Elle nous bshalance un « I Play the Blues for You » qui s’envole dans le parc. Puis, je me partage entre Eddie Cotton Jr, cette artiste à la voix soul tout droit sortie des chorales de gospel, et Jamiah Rogers, sur la scène Jay Pritzker Pavillon, un artiste émergent de vingt-sept ans qui rappelle le grand Hendrix. Fougueux, talentueux et passionné, il laisse un public conquis qui en demande encore.
Tout au long de la journée, dans le Village non loin de la Mississippi Stage, Tony Mangiullo, propriétaire du Rosa’s Lounge dans le westside de Chicago, offre la possibilité aux artistes de se produire. Des artistes tels que Melody Angel, Willie Buck, Omar Coleman, Vino Louden, Zach Avery Band et Bernard Crump se succèdent durant ces quatre jours. J’arrive pour les dix dernières minutes d’un Toronzo Cannon en pleine forme avec son blues profond et contemporain.
Heureuse d’être sur scène, Shemekia Copeland arbore un t-shirt barré du mot «LOVE».»
La très attendue Shemekia Copeland monte sur scène. Shemekia est l’une des plus grandes chanteuses de blues de cette génération, aux paroles engagées, avec une voix pleine d’âme. Elle porte un t-shirt avec le mot LOVE qu’elle exhibe fièrement et nous offre des chansons de son dernier album « Uncivil War » qu’elle n’a pas encore pu nous dévoiler, car cet album est sorti alors que la pandémie faisait rage. Heureuse d’être sur scène, elle y fêtait sa rémission du cancer qui l’avait touchée il y a un an de là. Une reprise de Koko Taylor, une country qu’elle a enregistrée lorsqu’elle était à Nashville et son enfant qui monte sur scène pour jouer du tambourin… Elle clôture le premier jour du festival avec brio.
C’est avec bonheur que j’accompagne, pour le deuxième jour du festival, Gerry Hundt et Kenneth Kinsey au Blues on the Riverwalk, une scène qui se trouve le long de la Chicago River. Kenneth, du groupe The Kinsey Report basé à Gary, dans l’Indiana, créé par les trois frères Kinsey, à la basse et Gerry guitariste. Suit « One Man Band » que l’on peut retrouver dans les plus prestigieux clubs de blues de la ville qui est, quant à lui, armé de son harmonica, de sa guitare et de sa batterie. Puis « Farmer Footdrum » : ils reprennent quelques classiques du blues de Chicago comme « Sadie » de Hound Dog Taylor et « Ice Cream Man » de John Brim, ainsi que des chansons des différents projets de Gerry tels que Every Drop, un nouveau projet monté avec Andrew Duncanson et Ronnie Shellist, The Dig 3.
De retour au parc avec Lucious Spiller, neveu du grand Magic Sam et cousin d’Eddy Clearwater. Il nous vient tout droit de Clarksdale, Mississippi. Lucious est un artiste que j’affectionne particulièrement, il a une voix qui me donne des frissons, passant des graves aux aigus avec une facilité déconcertante. C’est toujours avec émotion que j’entends sa reprise « Rainy Night in Georgia » de Brook Benton. Un répertoire allant de Johnny Cash à Magic Sam, en terminant par Sam Cooke, entrecoupé de solos de guitare énergiques.
Des artistes tels que Grady Champion et Ms. Jody se succèdent sous le chapiteau. Un tribute de l’un des meilleurs bassistes de sa génération Bob Stroger, agé de 91 ans, prend place au Pavillon, accompagné par des invités, Billy Flynn, Kenny Smith, Rockin Eddie, Sam B et One Take Willie… Une grande complicité entre ces talentueux musiciens. Une belle énergie est présente sur scène et est communiquée au public.
Joey J. Saye s’impose avec son blues acoustique en tant qu’artiste émergent durant 30 minutes, reprenant entre autres, des tubes de Memphis Minnie qu’il se réapproprie. C’est remplie d’une énergie et d’une émotion intense que la « Queen of the Blues » de Detroit, Thornetta Davis, de bleu vêtue et couverte d’or nous livre ses chansons. Entourée de ses excellents musiciens, elle offre sa voix puissante et unique à un public conquis.
Au Pavillon, entre chaque changement de scène, on diffuse sur grand écran « 594 Miles From Chicago », un documentaire dans lequel plus d’une centaine d’artistes de Blues de Chicago ont leur propre épisode. Ils abordent les questions raciales, la migration, les influences musicales de chacun. Jimmy Johnson, décédé en 2022, a été mis à l’honneur lors du festival grâce à l’un des épisodes de ce documentaire.
«Pour peu que le doute subsiste, le blues existe toujours et est présent à Chicago.»
Pour peu qu’un doute subsiste, le blues existe toujours et est bien présent à Chicago. Les deux groupes qui clôturent cette journée en sont la preuve. The Mike Wheeler Band, un des groupes de blues qui se produit le plus à Chicago est composé d’incroyables musiciens tels que Mike Wheeler au chant et à la guitare, Larry Williams un bassiste hors pair dont la présence scénique est unique, le batteur Cleo Cole et le claviériste Brian James. Une chanson en soutien à l’Ukraine, une autre en hommage à son héros, Jimmy Johnson, décédé cette année et une déclaration à sa femme Jeannine, émue aux larmes. Puis Billy Branch, récemment introduit au Blues Hall Of Fame à Memphis (il est rare pour un artiste d’être intronisé de son vivant), récompense méritée tant pour son talent que pour son dévouement à la sauvegarde du blues. Accompagné par son groupe les Sons of the Blues, Giles Corey à la guitare, Andrew Thomas à la batterie, Sumito Ariyoshi au clavier et Ari Seder à la basse, ainsi qu’une section de cuivres et d’incroyables chœurs (Theresa Davis, Diane Madison et Mae Koen). Un public qui danse, qui vit les chansons et qui chante. Billy nous offre enfin un medley à l’harmonica reprenant quelques grands harmonistes tels que James Cotton, Junior Wells et Little Walter.
Samedi, troisième jour du festival, le showman Dexter Allen et son doux mélange de blues, de R&B de funk et de soul, armé de son dynamisme légendaire, enflamme le chapiteau. En tant que grande amatrice du Mississippi Hill Country Blues, il me tardait d’écouter Cedric Burnside et voir son sourire dévastateur qui ne laisse personne indifférent ! Petit-fils de R.L. Burnside, qu’il a accompagné durant de longues années à la batterie, c’est à la guitare qu’il décide de se produire à présent : seul à la guitare acoustique la première moitié de son set, puis à la guitare électrique pour terminer le concert. Des chansons de ses deux albums « Benton County Relic » et « I be Trying » ainsi qu’un hommage à son Big Daddy avec « Skinny Woman ».
Je me trouvais souvent dans le parc mais j’ai pu profiter d’un lift pour découvrir la scène de Austin, là où l’ambiance est toute autre. Dans le quartier du Westside de Chicago, odeur de barbecue, les voisins font la fête, c’est amical et bon enfant, la bière coule à flot, peut-être même un peu trop car j’ai bu la dernière disponible à 6pm. Qui de mieux que le brûlant Lil’Ed & the Blues Imperials pour mettre le feu ? Son bottelneck au doigt, le sourire aux lèvres, un jeu trépident et un public qui se déhanche. Durant une heure, il nous communique cette énergie folle qui le caractérise.
Petite digression en quittant le festival l’espace d’une soirée, pour cet endroit mythique qu’est le Fitzgerald, réputé pour son excellente musique live à l’atmosphère décontractée, où les Blind Boys Of Alabama se produisent. Reconnus dans le monde entier comme des légendes vivantes, formés à la fin des années trente, ils ont tourné dans le sud pendant l’ère de Jim Crow. Ils ont chanté lors des manifestations du Dr. Martin Luther King Jr. et nous ont régalés avec de magnifiques harmonies de gospel, une reprise de « Way Down in the Hole » de Tom Waits qui est la chanson thème de la première saison de la série The Wire. Un moment émouvant lorsque Jimmy Carter, aveugle et leader du groupe est descendu de scène pour nous serrer la main. Une grande soirée que le gérant du club, William Duncan, ne risque pas d’oublier et nous non plus.
A Chicago, les clubs où l’on peut écouter du blues sont nombreux. Le soir même au Kingston Mines se produisait le vétéran Carl Weathersby, influencé par Albert King. Sa voix soul et pleine d’âme envoûte le public. Une reprise étonnante « Keep On Rollin » de King George que la plupart des jeunes dans le public chantent à tue-tête. Il est temps d’aller se coucher car la dernière journée du festival promet d’être riche en émotions.
Elle commence froidement, mais avec un Lurrie Bell qui réchauffe les cœurs, accompagné de ses frères Steve Bell à l’harmonica et James Bell à la batterie. Puis Johnny Rawls, chanteur, auteur-compositeur, guitariste, arrangeur et producteur et légende de soul blues. Il invite sa fille sur scène, Destini Rawls, qui nous interprète des chansons des divas de la soul et du blues, Koko Taylor et Aretha Franklin.
Les « Women of the Blues » nous ont offert l’un des moments forts de ce festival, se succédant sur scène pour rendre hommage à la merveilleuse Mary Lane. Quelques jours avant le festival, elles se sont toutes réunies et ont répété au célèbre studio d’enregistrement Delmark Records pour nous présenter un show qui envoie du lourd, orchestré par l’éblouissante Lynne Jordan. Des invitées telles que Peaches Staten, Shirley Johnson, Sheryl Youngblood, Demetria Taylor, Nora Jean Wallace, Laretha Weatersby, Sharon Lewis, Anne Harris, Donna Herula et Ivy ford ont mis le feu au Parc, des femmes fières, fortes et déterminées. De quoi émouvoir la présidente de Delmark Records, Julia Miller et la créatrice de la fondation « Women of the Blues » Lynn Orman, qui se sont investies corps et âme dans ce beau projet de mise en valeur de ces blueswomen. Un final époustouflant où elles reprennent toutes ensemble « I’m a Woman » de Koko Taylor.
Pendant ce temps Sharde Thomas et son groupe Rising Stars Fife & Drum Band redonnent vie à une tradition américaine en voie de disparition. Petite fille de Othar Turner, Sharde Thomas est l’une des dernières joueuses de fifre à se produire dans le monde et à perpétuer cet héritage venu tout droit des campagnes du Mississippi. Ivy Ford, artiste émergente fait partie de la nouvelle génération du blues et apporte un vent de fraîcheur, une voix, avec un grand charisme. Cette multi-instrumentaliste s’impose depuis quelques années à Chicago et croyez-moi, nous allons entendre parler d’elle.
Je me suis éloignée du site pour revenir quelques heures plus tard pour The Kinsey Report, les frères Kenneth Kinsey à la basse, Ralph à la batterie et Donald au chant et à la guitare, tous trois fils du guitariste de Chicago blues Big Daddy Kinsey. Entre reggae et blues, Donald, ancien guitariste des Wailers, le groupe de Bob Marley, muni d’une bonbonne à oxygène sur scène, n’a rien perdu de son incroyable technique de guitariste et nous ravit avec l’interprétation de « Jamming » qu’il a enregistrée en 1977 avec Marley.
L’une des prestations les plus électriques clôture le festival avec un Eric Gales qui place la barre très haut et nous livre un set rempli d’émotion et de virtuosité. A ses cotés l’énigmatique et excellent bassiste SmokeFace qui crache de la fumée dans son masque durant 1h15.
J’ai assisté à une très belle édition 2022 du Festival de Chicago qui laisse des festivaliers conquis et heureux. Un grand merci à Carlos Tortolero et aux organisateurs du festival, de nous avoir permis de le vivre de l’intérieur, ainsi qu’à Tom Marker animateur à la radio WDCB pour ses présentations d’artistes au Pavillon.
Le portfolio de Lola sera publié sur le site de JazzMania ce samedi 10 septembre.