Dave Stryker : As We Are
Bien que le guitariste Dave Stryker ait déjà trente-trois albums en leader à son actif, « As We Are » est à marquer d’une pierre blanche : c’est en effet la première fois que sa musique, d’habitude groovy et jouée avec des petits groupes, est liée à des arrangements de cordes. Et ces derniers sont si intelligemment intégrés que le répertoire entier ressemble à une suite dont les titres s’enchaînent harmonieusement. On y trouve même, en introduction, une courte « Ouverture » jouée uniquement par le quatuor à cordes mené par la violoniste Sara Caswell, qu’on entendra plus tard prendre quelques beaux solos.
Sept titres sur les neuf sont de la plume du leader. Ce sont des compositions sophistiquées marquées par diverses influences comme les subtiles émanations brésiliennes de « Hope » et de « Saudade » ou les accents blues-soul du splendide « Soul Friend » qui rappelle Stanley Turrentine, que le guitariste a accompagné pendant près d’une décennie, de 1986 à 1995. C’est un régal d’entendre le son plein et velouté typiquement « jazz » de sa guitare demi-caisse, dont la clarté n’est trafiquée par aucun effet. Ce timbre de guitare se marie à la perfection avec ceux des autres instruments : les cordes du quatuor, le violon gracieux de Sara Caswell qui prend un vibrant chorus sur « Soul Friend », ainsi que la contrebasse au son boisé de John Patitucci, tendre et émouvant en solo sur le titre éponyme. Ainsi méticuleusement arrangée, la musique évoque parfois une bande originale d’un film poétique aux couleurs impressionnistes. On épinglera aussi la frappe à la fois limpide et dépouillée du grand batteur Brian Blade qui, à l’occasion, peut aussi dynamiser un titre plus enlevé comme « Lanes ». Reste le pianiste Julian Shore dont le soutien harmonique est sans faille. Également arrangeur de tous les titres, il a son moment de gloire sur « One Thing at a Time », sa propre composition dont l’interprétation est rehaussée par un splendide solo de piano qui renvoie au Herbie Hancock de la période Blue Note. Enfin, il y a l’unique reprise du répertoire : le célèbre « River Man » de Nick Drake ici rendu dans une belle version instrumentale où brillent la guitare limpide du leader et le violon nostalgique de Sara Caswell.
Sur son site internet, Pat Metheny recommande l’écoute de quelques guitaristes dont il juge l’évolution importante et qui créent aujourd’hui la plus belle musique de leur carrière. Parmi le nombre réduit d’élus cités (quatre seulement) figure le nom de Dave Stryker, qui « s’améliore constamment avec l’une des sensations les plus joyeuses qui soient ». « As We Are » confirme largement cette assertion de la part de quelqu’un qui s’y connaît. Aujourd’hui dans son âge d’or, Dave Stryker est devenu l’un des guitaristes incontournables du jazz moderne.