Félix Lemerle : Blues For the End of Time

Félix Lemerle : Blues For the End of Time

Tzim Tzum Records

Un disque sur lequel joue le batteur Jimmy Cobb attire forcément l’attention. Après tout, il a été l’une des chevilles ouvrières du sextet légendaire qui a enregistré le plus fameux album de jazz de tous les temps : « Kind of Blue ». C’est d’autant plus titillant que Jimmy Cobb a quitté ce bas monde une quinzaine de mois après l’enregistrement de cet album si bien qu’écouter une fois encore le rythme implacable de sa cymbale sculptant le temps (sur « Dismissed » en particulier) suscite forcément un grand émoi. Mais il y a plus puisque la grande Bertha Hope, veuve du non moins légendaire Elmo Hope, a aussi été conviée à la fête et fait ici un retour inespéré au piano en jouant sur six des dix titres. Toutefois, tout ceci resterait quand même anecdotique si la musique n’était pas d’un très haut niveau. Or, elle l’est ! Les compositions du guitariste et leader Félix Lemerle, attachantes et ludiques – « playful » diraient les anglophones -, constituent de splendides pistes d’envol pour solistes tandis que les deux musiciens restants (le contrebassiste Ari Roland et le pianiste Samuel Lerner) ne déméritent pas au côté de leurs collègues vétérans.

Ceux qui gardent une moue dubitative n’ont qu’à écouter « Blues for the End of Time » : un blues bien dense qui louche vers le hard-bop de la grande époque Blue Note et sur lequel les deux pianistes, qui jouent pour cette unique fois ensemble, montent au créneau chacun à leur tour. Mais c’est le guitariste qui remporte la floche avec un chorus mêlant expressivité et décontraction, le tout avec une sonorité vintage qui évoque les racines de la guitare jazz plongeant jusqu’à Barney Kessel, Jimmy Gourley et autres Tal Farlow (Félix a utilisé pour l’enregistrement une Gibson L-7C de 1951 reliée à un petit ampli Ampeg Jet J-12D de 1966). Des morceaux intenses comme « Rise ’n’ Shine » introduit par Jimmy Cobb qui y délivre par ailleurs un solo magistral aux ballades comme « New World Expectations » qui, selon le dossier de presse, est dédié à René Thomas et Bobby Jaspar – deux géants du jazz belge qui furent jadis irrésistiblement aimantés par la musique du Nouveau Monde -, cet album est un condensé de références et d’hommages, mais également de swing, de créativité et d’émotion. Quant à Félix Lemerle, il s’affirme à la fois non seulement comme un compositeur talentueux et un guitariste haut en couleurs, mais aussi comme un leader compétent doté d’un sens aiguisé du casting. Toutes les cases sont donc cochées pour une carrière hors normes qu’on lui souhaite longue et fructueuse !

Pierre Dulieu