Florian Favre : Indantitâ

Florian Favre : Indantitâ

Traumton

Tout est quasiment dit dans le beau clip vidéo de « Adyu Mon Bi Payi » publié en juin dernier sur YouTube. On y voit le pianiste suisse Florian Favre jouer sur un radeau tavillonné comme un toit de maison traditionnelle. Dérivant autour des ruines des châteaux de l’île d’Ogoz sur les eaux bleues du lac de la Gruyère, il improvise (en play-back car la musique a été enregistrée en studio au préalable) sur une vieille chanson du canton de Fribourg, sa région d’origine. Les notes s’envolent dans le grand silence se combinant parfois au vent, aux cris des oiseaux et aux clapotis de l’eau sur sa singulière embarcation. Quant à la musique, elle est à la fois lyrique et vigoureuse et parfois atmosphérique, en filiation avec la beauté des paysages qu’elle célèbre.

Le répertoire entier est ancré dans la tradition locale, faisant référence à des coutumes ou à des légendes. Ainsi, « Don’t Burn the Witch » évoque cette attitude rurale qui consiste à juger et à discriminer toute personne différente ne se conformant pas au style de vie traditionnel, tandis que « Our Cowboy » est un hommage, non pas aux westerns américains, mais plutôt aux gardiens des troupeaux de vaches suisses. Il y est aussi question de vieux chalets, de lutins et de fanfares annonçant le printemps. Aussi, dans ce recueil de thèmes folkloriques est-on un peu étonné que le disque se termine sur un standard, le fameux « I’ve Got You Under My Skin » de Cole Porter, mais c’est juste un clin d’œil qui rappelle que si Florian Favre vient du jazz, ce sont les chansons de son pays qu’il a depuis toujours sous la peau.

Le jeu de piano est clair, limpide et, dans certains morceaux, puissant. Il arrive aussi à Florian de « préparer » son piano à queue à l’aide d’ustensiles divers provenant de sa boîte à outils. Il crée ainsi des sons abstraits, bloqués, percussifs et/ou dissonants, comme dans « Don’t Burn the Witch » et « The Dzodzet ». Grâce à cette interprétation moderne, les mélodies anciennes prennent de nouvelles couleurs, la tradition étant ici perçue comme une opportunité, un tremplin pour créer une musique originale dont les racines ne sont pas pour autant coupées. En conclusion et pour reprendre une citation attribuée à Gustav Mahler, « Idantitâ », qui signifie identité en patois fribourgeois, n’est pas le culte des cendres mais la préservation du feu.

Pierre Dulieu