Ivan Paduart, le jubilé

Ivan Paduart, le jubilé

Ivan Paduart, le jubilé…

Une belle brochette d’invités seront présents à Flagey pour le concert des cinquante ans. Quasi tous des musiciens qui ont joué sur des projets d’Ivan Paduart ;  l’occasion de revoir le parcours tracé avec tout ce beau monde. Aussi de parler du nouvel album réalisé avec Quentin Dujardin.

Richard Galliano a été une rencontre importante pour toi.

J’ai rencontré Richard Galliano en 1992 grâce à Philippe Baron qui m’avait offert une carte blanche à la RTBF, un budget était alloué pour un invité étranger, c’était un concert au Botanique que la radio enregistrait. J’ai voulu choisir quelque chose un peu hors des sentiers battus, à l’époque Richard Galliano n’était pas encore aussi connu qu’aujourd’hui. De plus c’est un instrument peu joué en jazz et Galliano était un peu un météorite, un électron libre. Et cela a bien marché entre nous au point d’avoir fait trois albums sur le label IGLOO. Nous avons souvent joué ensemble entre 1992 et 1995, puis on s’est revu en 2006 pour l’album avec l’ensemble « Musique Nouvelle ». On est resté très proche, il m’a fait jouer avec Nougaro en 2003-2004, et plus tard, il m’a permis de rencontrer Richard Bona et Manu Katché au Festival de Marciac où nous avons joué en quartet. C’est un musicien sans frontière qui joue aussi bien du tango, que du jazz, que du Bach, que du Vivaldi… C’est une diversité que j’aime car elle nourrit notre langage, j’aime aussi sa poésie…

La poésie, quelque chose qu’on retrouve aussi dans ton jeu.

Oui, la mélodie, le lyrisme… Ce que je vais dire est un peu « bateau », ce n’est pas moi qui ai inventé cette phrase, mais je cherche plus à émouvoir qu’à impressionner. Beaucoup de jazzmen, consciemment ou pas, ont le besoin de prouver quelque chose, d’impressionner par leur maîtrise, les gens n’attendent pas nécessairement ça.

La rythmique qui t’accompagnera à Flagey est aussi composée de deux « fidèles » : Philippe Aerts et Hans van Oosterhout.

Hans Van Oosterhout fait partie de mes batteurs préférés, mais je n’ai pas toujours su le garder car il était très demandé, il a beaucoup joué avec Toots entre autres, mais ces dernières années, je l’ai « récupéré » pour mes deux derniers trios sur « Ibiza » et « Enivrance ».  Avec Philippe Aerts, c’est une complicité très, très forte, on a fait pas loin de quinze albums ensemble. Il vient de partir s’installer en Inde à New Dehli où il donne cours au Conservatoire, il va me manquer.

On retrouvera aussi Bert Joris, Toon Roos et Philip Catherine.

J’ai enregistré un double « live » au Music Village avec Toon et Bert, Toots était aussi venu sur un morceau. Bert Joris est un géant, il devrait être demandé par les Américains.  Toon adore les vieux standards, mais a aussi son groupe fusion. Bert est plus dans la tradition, un magnifique compositeur, c’est aussi un musicien que j’adore. Je les ai retrouvés aussi sur l’album  « Herritage » et « In Exile of Dreams ». Quant à Philip Catherine, faut-il en parler ?, c’est un musicien très lyrique et qui écrit de si belles compositions.

Quentin Dujardin était tout aussi incontournable, puisque tu sors ces jours-ci un nouvel album avec lui.

J’ai rencontré Quentin en 2005, il y a eu une accroche entre nous. On a un point commun : on est épris de métissage, de mixité, de genres qui ne se marient pas toujours ensemble. Il a beaucoup travaillé sur les musiques africaines, malgaches…  Avec l’album « Vivre », on a essayé de créer un cocktail plus frais, ce qui n’est pas évident avec deux instruments harmoniques piano-guitare, on balance beaucoup d’informations en même temps, il faut faire le tri, organiser les choses de telle sorte qu’on ne se marche pas sur les pieds, il faut répéter beaucoup, 40% du temps on les a consacrés à jouer les thèmes, 60% on les a consacrés à trouver les respirations, les ponctuations, les unisons, la variété dans le jeu… On a apporté chacun notre bagage. Et dix ans plus tard, pour « Catharsis », j’ai retrouvé la même jubilation avec Quentin.

« Herritage », un album qui fait référence dans le jazz belge et dont tous les musiciens seront à Flagey.

Michel Herr m’a inoculé le virus. J’ose espérer que j’ai un peu réussi à me démarquer de son jeu et à trouver un peu ma personnalité, car c’est quelqu’un d’important pour moi. J’ai fait un stage des « Lundis d’Hortense » avec lui en 1985 et j’y ai pris une baffe dans la figure… D’abord, je sous-estimais tout l’aspect théorique du jazz, cette grammaire, ce vocabulaire de base, je pensais que c’était plus simple et qu’une fois qu’on connaissait les accords, il suffisait de se laisser aller. Mais j’ai découvert plein de canevas, et Michel avait une fibre pédagogique extraordinaire, il expliquait magnifiquement les choses les plus complexes, c’était limpide, il prenait le temps, sans brûler les étapes. Je dois avoir fait plus de cinquante heures de piano avec lui lors de ce stage, ça m’a passionné. Michel Herr, c’est un grand bonhomme, comme pianiste, compositeur, arrangeur.

Qu’ajouter encore sur ce concert du 4 novembre ?

Raphaëlle Brochet sera là aussi, de même  qu’Olivier Collette qui tiendra les claviers électriques. Jan de Haas sera au vibraphone, j’ai enregistré sur son dernier album. C’est un ami que je connais depuis 1984.  Quant au répertoire, je veux éviter la formule « grande jam », l’idée est de faire des formules de trois à six musiciens. Il y aura trois morceaux du nouvel album « Catharsis ».

On en arrive à ce nouvel album « Catharsis », avec des invités comme Richard Bona, Manu Katché et Bert Joris.

Catharsis est un projet commun de Quentin Dujardin et moi. J’avais rencontré Richard Bona et Manu Katché à Marciac et j’avais envie de les revoir. On avait eu une très belle relation à Marciac. Manu s’était régalé de notre rencontre  et l’osmose était telle qu’il n’y eu aucun problème pour les associer à « Catharsis ». Le titre « Human Being » est  typé africain,  mais mon inspiration vient souvent de la musique classique,  c’est plus raffiné, j’y trouve plus de nourriture, surtout l’impressionnisme, Ravel, Debussy,… ou un film, une émotion forte… En tout cas, l’inspiration vient surtout le soir, jamais le matin.  Le piano est important pour les harmonies, mais j’ai envie ces moments-ci de changer, de m’attaquer à une autre méthode de composition : avec un petit enregistreur, c’est de chanter une mélodie, aller à l’essence de la mélodie. Philip Catherine m’a dit un jour « Les meilleures mélodies sont celles qui s’auto-suffisent » Si elle tient la route sans les harmonies, c’est parfait.  Ce qui se passe souvent avec les pianistes ou les guitaristes, c’est qu’on est imprégné de tellement d’éléments, on pense tellement à l’harmonie qu’on en oublie la mélodie, qu’on s’emmêle les pinceaux, on se perd dans les méandres et on en oublie la colonne vertébrale du morceau. Ici, je voudrais aller à l’essentiel, oublier toutes ces conjonctures intellectuelles qui éloignent de l’essentiel. J’ai vraiment envie d’essayer ça, c’est quelque chose qui m’obsède pour le moment.

Concert à Flagey le 4 novembre dans le cadre du « Hello Jazz »

« Catharsis » sort sur le label MONS RECORDS, distribué par NEW ARTISTS INTERNATIONAL

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin

Photos de Jos L. KNAEPEN (portraits) et Valérie NAGANT (cover)