Jazz Brugge 2014, Rik Bevernage, entretien.

Jazz Brugge 2014, Rik Bevernage, entretien.

Jazz Brugge 2014

Entretien avec le directeur artistique, Rik Bevernage.

Propos recueillis par Claude Loxhay

Traduction Philippe Schoonbrood

Jazz Brugge vient après les festivals de l’été. Qu’est ce qui fait sa spécificité ?

Depuis la première édition en 2002, nous avons opté pour un festival dans une salle de concert. Le tout nouveau Concertgebouw venait d’être inauguré, avec une excellente acoustique et la disponibilité de nombreux outils techniques. Une grande salle de 1250 places et une salle de musique de chambre de 350 places, la bonne échelle pour vivre la musique à un haut niveau de qualité. De plus, comme en 2002, Bruges était aussi  capitale culturelle de l’Europe, nous avons choisi d’orienter la programmation autour du jazz européen. Celui qui suit l’évolution du jazz sait que l’Europe dispose d’une scène jazz fantastique, avec de nombreux musiciens virtuoses qui se lancent dans des projets expérimentaux et sans frontières. C’est une scène passionnante, et si certains noms sont méconnus du grand public, ils valent largement la peine d’être découverts ! Jazz Brugge est donc avant tout un festival de découvertes, nous n’empruntons pas les sentiers battus.

Pour sa 7e édition, le festival se déroule toujours en trois temps: à 12h00, concert au musée, à 19h00, concert dans la salle de musique de chambre du Concertgebouw et puis deux concerts dans la grande salle…

Hôpital Saint Jean Grenier

En effet, nous travaillons, depuis quelques éditions maintenant, sur trois scènes différentes, avec chacune des caractéristiques propres. Autour de midi, nous démarrons dans le splendide grenier de l’hôpital Saint Jean,  datant du 12ème  siècle. Le soir, dès 19h00, c’est le concert acoustique dans la salle de musique de chambre du Concertgebouw où nous présentons les grands maîtres européens du piano jazz. Et enfin, à partir de 20h30, deux grandes formations ou des noms connus dans la grande salle de concert du Concertgebouw. En réalité, il y a même quatre scènes. Ainsi, dans le hall d’accueil du Concertgebouw, nous offrons un plateau à de jeunes formations à partir de 18h00. Le choix de ces groupes a été confié à un jeune pianiste brugeois fort talentueux, Hendrik Lasure. C’est un garçon que nous suivons depuis de nombreuses années déjà, et qui ne tardera pas à devenir un des grands noms de la scène jazz en Belgique.

Cette année, la 1e journée est entièrement dédiée aux musiciens belges, tant du Nord que du Sud…

Nous avons des musiciens qui soutiennent totalement la comparaison avec le plus haut niveau européen ! Et, comme nous comptons de nombreux spectateurs venus de l’étranger, et parmi eux de nombreux collègues organisateurs, nous profitions ainsi de l’occasion pour présenter ces musiciens belges. En partie aussi en complémentarité avec le Belgian Jazz Meeting, une autre initiative initiée par De Werf. Et, comme vous le savez, dès le départ, le Belgian Jazz Meeting a réuni les deux communautés de notre pays.

Michel Massot (c) Jos Knaepen

Michel Massot sera présent, cette année, au sein de Mâäk : depuis 2002, il a participé à peu près à tous les festivals (sauf en 2006 où au sein de Tous Dehors, il était remplacé par Bastien Stil). Est-ce un hasard ?

En effet, je ne m’en étais même pas rendu compte ! Il participait effectivement à Trio Grande et Rêve d’Éléphant Orchestra, mais aussi au Mosty Project de Cesariusz Gadzina et Tomassenko d’Olivier Thomas, sans oublier l’ensemble de Christophe Monniot dans Vivaldi Universel. L’unique explication est sans doute le fait que Michel Massot est tout simplement « incontournable » (en français dans le texte !) sur les scènes jazz d’Europe et de Belgique. Michel Massot est d’ailleurs aussi le musicien belge que je rencontre le plus souvent dans les festivals à l’étranger !

Les concerts au musée sont souvent l’occasion de découvertes…

Dès la deuxième édition du festival nous avons pu compter sur un intérêt particulier et la collaboration des musées de Bruges. De plus, le directeur des musées, Manfred Sellink, nous a demandé explicitement de programmer des prochains contemporains et expérimentaux. Et, à notre grande satisfaction, le public semble lui aussi suivre cette option en grand nombre, les concerts au musée, à l’heure de midi, sont tous complets ! Cela nous a conduit, après deux éditions, à passer de la salle du Groeninge Museum pour l’espace beaucoup plus grand qu’offre le grenier de l’Hôpital Saint Jean, on nous pouvons accueil 250 personne sans problème. Et, comme je l’ai déjà dit, nous pouvons aller fort loin dans la diversité de notre offre. Ainsi, cette année, la programmation de midi se concentre autour de grands maîtres européens des musiques improvisées : Han Bennink, Vincent Courtois, Andy Sheppard…

Les concerts de la salle de musique de chambre, avec son magnifique Steinway, sont avant tout dédiés aux grands noms du piano. Après Bollani, Bojan Z, Nabatov ou Mengelberg, qui vient cette année ?

Cette salle “shakespearienne, avec ses loges ascendantes en forme de spirales, dispose d’une acoustique parfaite qui permet au piano Steinway d’exprimer toutes ses qualités sonores et toute s musicalité. Pour cette édition, nous avons de nouveau invité des pianistes du top européen, avec, à côté de « notre » Nathalie Loriers, Georg Graewe d’Allemagne, Rita Marcotulli d’Italie et Lucian Ban de Roumanie.

Concertgebouw Salle de Musique de Chambre

 

Le festival reste toujours une extraordinaire vitrine du jazz européen contemporain. Combien de pays sont représentés cette année ? Avec une ouverture vers de nouveaux pays…

Seize formations sur la scène principale avec des musiciens de dix-sept pays différents, parfois de pays moins réputés pour leur scène jazz comme l’Albanie, la Roumanie et l’Estonie.

Jazz Brugge reste aussi un des rares festivals à ouvrir ses portes à l’héritage du free jazz européen. Est-ce encore le cas ?

Les amateurs de musiques improvisées et de jazz plus aventureux se réjouiront d’entendre le groupe Atomic, formé de musiciens suédois et norvégiens, ou encore le trio de Georg Graewe, Ernst Reijseger et Gerry Hemingway. Mais aussi Andy Sheppard, Han Bennink et Vincent Courtois, trois musiciens que l’on peu classer dans cette catégorie.

Han Bennink

On peut aussi découvrir des musiciens scandinaves…

Oui, en plus du groupe Atomic, je veux mentionner tout particulièrement le trompettiste virtuose Verneri Phjola, de Finlande. Ce sera sans aucun doute, une des révélations du festival.

A côté des découvertes, il y a aussi des retours (Marcotulli, Biondini, Garcia Fons) mais dans de nouvelles formules…

En effet, même si, à chaque édition, nous essayons de présenter des nouveaux noms, certains artistes sortent tellement du lot que nous tenons à les réinviter. Tant Marcotulli que Biondini ont donné des concerts exceptionnels à l’occasion de précédentes éditions. Ensemble, ils ne pourront que créer un vrai feu d’artifices. Aucun contrebassiste ne sonne comme Renaud Garcia-Fons ! Et son répertoire dans “La Linea Del Sur” transcende tous les genres musicaux.

Et deux grands noms de la trompette: Paolo Fresu et T. Stanko…
Et en même temps, deux mentors du jazz européen ! Et je suis convaincu qu’on pourra bientôt compter Pohjola sur ce podium.

Une autre découverte, ce sera E. Duni, une chanteuse albanaise qui revisite des chants traditionnels au sein d’un quartet qui laisse beaucoup de place au pianiste Colin Vallon…

Voilà déjà plusieurs années, alors qu’elle était encore une inconnue, Elina Duni a donné un excellent concert dans la salle du centre culturel De Werf, entourée de son trio suisse. Et, ici, c’est bien le trio du pianiste Colin Vallon qui va dialoguer avec la chanteuse albanaise Elina Duni, fortement inspirée par les traditions de son pays. Tant Duni que Vallon sont des artistes du label allemand ECM.

Elina Duni Quartet

Comme il y a deux ans, on retrouvera le Collectif de l’ARFI (Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire)  le dimanche à 15 h. Avec quel projet ?

Il s’agit d’un spectacle “familial”, donc pour tous, à partir de 8 ans. L’ARFI va interpréter des musiques sur “Koko Le Clown”, des films d’animations restaurés, réalisés par les frères Fleischer, les créateurs de Popeye, de Betty Boop… Ces films, des années 1920, ont donc presque 100 ans, mais ils continuent de surprendre par la maîtrise technique, la liberté et la créativité de leurs auteurs. Pour ce qui me concerne, il s’agit d’une vraie découverte !

Financièrement, le montage d’un tel festival ne reste-t-il pas problématique ? 

En effet, c’est bien l’aspect le moins agréable dans l’organisation d’un festival comme celui de Jazz Brugge. Il faut, à chaque fois, recommencer la bataille pour réunir les subventions nécessaires auprès des autorités compétentes, et nous survivons grâce à l’engagement du Centre Culturel De Werf., du Concertgebouw et des Musées de Bruges. Il n’est pas évident de naviguer, ici et maintenant, à contre le courant dominant de la commercialisation de la culture.