Jean-Paul Estiévenart, Wanted

Jean-Paul Estiévenart, Wanted

Jean-Paul Estiévenart, Wanted (Werf)

Wanted… Ce titre répond bien à une réalité : cet album était désiré autant par le public que par Jean-Paul Estiévenart lui-même. S’il a d’abord étudié la trompette avec son grand-père, avant de rejoindre l’Académie de Saint-Ghislain où il a découvert le jazz, Jean-Paul Estiévenart a surtout forgé sa personnalité au fil des rencontres. A moins de trente ans, le Montois a participé  à plus d’une quinzaine de formations, du quartet colemanien de Collapse au Tuesday Night Orchestra, en passant par le quartet de Fabrizio Graceffa, le quintet bop de Manu Hermia, le septet de LG Jazz Collective ou le Marockin’Brass.

Il est aussi le champion des remplacements au pied levé : ainsi a-t-il remplacé Bert Joris, au sein du quartet de Nathalie Loriers, lors du Jazz à Liège de 2010. Comme il le dit lui-même :  C’est très simple: les gens m’appellent et je viens jouer. C’est un challenge à chaque nouveau projet.” Il a aussi participé à plus d’une quinzaine d’albums, que ce soit avec le quintet Al Orkesta de Joe Higham, le Summer Residence de Bernard Guyot ou le Jazz Station Big Band. Mais, si l’on excepte, en 2008, l’album de “Four in One”, quartet dont il était le co-leader avec le guitariste Lorenzo di Maio, et dont il avait écrit quasi tout le répertoire, il n’avait jamais enregistré d’album à son nom propre. Pour “Wanted”, il a choisi une formule sans filet, un trio sans instrument harmonique, piano ou guitare : une formule certes fréquente chez les saxophonistes, de Sonny Rolllins à Mark Turner, mais guère chez les trompettistes, si l’on excepte le trio de Don Cherry avec Johnny Diani et Okay Temiz. Pour cela, il ne faut pas se choisir une simple rythmique mais de vrais compagnons de route, pas seulement accompagnateurs mais solistes à part entière. Avec Sam Gerstmans à la contrebasse et Antoine Pierre à la batterie, Jean-Paul forme un vrai trio à l’interactivité constante. Ainsi que le dit Antoine Pierre :  “On a passé beaucoup de temps sur ce projet, on voulait vraiment avoir une énergie de groupe.”

Un groupe au sein duquel chacun peut être soliste à part entière. Pour vous en convaincre, écoutez le solo de walking basse de Sam Gerstmans sur The Man ou la belle intro de Between The Curves. Quant à Antoine Pierre, il occupe une place prépondérante (pensez au drive inflexible d’Elvin Jones dans ses trios avec les saxophonistes George Coleman et Joe Farrell) : il est omniprésent et précis, comme sur cet Am I Crazy, avec un passionnant solo, et il réalise un vrai travail sur les sonorités, notamment au niveau des cymbales.

Qu’en est-il du répertoire ? Un très beau Lazy Bird de Coltrane, introduit par la batterie, bientôt rejointe par la trompette pour un dialogue complice, avant que ne vienne s’ajouter la contrebasse. Pour le reste, dix compositions originales qui illustrent bien toute la richesse d’écriture de Jean-Paul Estiévenart : des thèmes qu’il qualifie lui-meme de “simples et joyeux” à la manière d’Ornette Coleman (The Man, Bird) mais aussi des pièces “harmoniquement plus complexes” (SD et Doms avec une intro solo de trompette), une mélodie très lyrique (Amok avec un beau passage de trompette bouchée) ou un Am I Crazy au groove échevelé mais aussi des atmosphères plus sombres et mystérieuses (Between The Curves et Witches Waltz) et, enfin, pour clore l’album, ce Wanted qui démarre déjà sur les chapeaux de roue avant de déboucher sur une envolée free.

Si le trio à lui seul dégage une énergie folle, celle-ci est décuplée par la présence, sur trois plages, du saxophoniste alto espagnol PERICO SAMBEAT. Un petit mot sur ce musicien de cinquante ans à qui Jazz in Time, à son époque (n°46 d’octobre 1993), avait consacré un “Portrait européen”. Comme Jean-Paul, Perico Sambeat avait commencé à pratiquer son instrument en autodidacte avant de rejoindre le célèbre Taller de Musics de Barcelone dont il avait intégré le Big Band. Par la suite, il a rejoint les Etats-Unis où il a poursuivi sa formation auprés de Joe Lovano et de l’altiste Lew Tabackin. A son actif, il a une bonne vingtaine d’albums, de “Punto de partida” (avec le trompettiste Wallace Roney et le pianiste catalan Tete Montoliu) ou le neo-bop de “Uptown Dance” (avec le pianiste américain David Kikoski) aux albums Barcelona Crossings (1993) et Friendship (2003) avec Brad Mehldau ou le récent Elastic avec Eric Legnini.  Bref une fameuse pointure que Jean-Paul avait croisé, lors d’une carte blanche, au Gaume Jazz Festival de 2011. Ici, Perico Sambeat rejoint le trio d’abord sur Bird, où son alto virevoltant se lie à la trompette pour un beau passage joué à l’unisson, puis sur Witches Waltz où il se fait plus lyrique et, enfin, sur Guerilla avec une intro incisive de l’alto bientôt rejoint par la trompette. Au total, une vraie réussite pour l’un de nos meilleurs solistes actuels. 

Claude Loxhay