Joachim Caffonnette

Joachim Caffonnette

Joachim Caffonnette,

musiciens français, label allemand, album citoyen… 

« Vers l’Azur Noir », premier album en trio du pianiste Joachim Caffonnette vient de sortir. Six pièces personnelles souvent empreintes de mélancolie et qui dévoilent un réel talent de compositeur, et trois reprises forment un ensemble varié dont les couleurs et les variations harmoniques aiguisent l’écoute. L’album intègre trois pièces enregistrées en public, histoire de savourer la fraîcheur de la musique de l’instant telle que le pianiste l’a pratiquée depuis ses débuts. Rencontre avec un des pianistes belges qui pourrait marquer ces prochaines années sur la scène belge et européenne.

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin

Qu’est-ce qui fait qu’un jeune d’aujourd’hui se met au jazz ?

Ma mère est comédienne, et pour la musique d’un de ses spectacles, il y avait Steve Houben. Mais c’est une chose dont j’ai pris conscience plus tard. Mon père avait un cédé de medley de big bands, Count Basie et d’autres…. J’ai pris ensuite des leçons de piano et à un moment donné, lorsqu’on aborde les chiffrages, les accords, j’ai commencé à improviser assez vite et mes parents m’ont dit qu’il fallait que j’écoute du jazz. Dans la discothèque de mes parents, il y avait un disque en trio de Michel Petrucciani, un live au Village Vanguard avec Palle Danielsson et Eliot Zigmund, et là, ça a été le déclic. Je l’écoute encore maintenant, je le trouve toujours magique, c’est différent de ce qu’il a fait par la suite. On m’a trouvé un professeur de jazz, j’ai suivi les stages des Lundis d’Hortense. J’ai fait les humanités artistiques en classique et je suis entré dans la classe d’Eric Legnini, puis chez Kris Defoort pour la composition. 

Le conservatoire est un passage obligé ?

Le Conservatoire m’a fait rencontrer des gens, j’y ai acquis des bases, mais c’est vrai que le jazz dans un conservatoire, c’est un débat sans fin. J’ai énormément appris dans les clubs, je n’ai raté aucune jam du Sounds pendant des années. J’avais cours d’histoire de la musique à 8h30 le matin alors que j’étais au Sounds jusque cinq heures, j’allais dans un café prendre le petit-déjeuner avant d’aller au cours. Ce que je fais encore souvent aujourd’hui, c’est aller une fois par mois à Paris pour participer à des jams avec des musiciens d’un niveau incroyable, on y apprend beaucoup. Le conservatoire m’ a été très utile pour développer mon goût pour l’harmonie, ça m’a permis d’avoir des clés. Mais en soit, l’académisme est quelque chose qui ne me va pas. Avec Eric, c’est quelqu’un qui vous nourrit littéralement. La base des musiciens que je fréquente maintenant, comme Igor, sont des gens que j’ai connus au Conservatoire. 

Tu as donc eu Eric Legnini comme professeur.

Eric, j’admire le pianiste, il te donne tes pistes. Au début son cours est très structuré, et par la suite il t’ouvre des pistes. Certains de ses élèves sont inspirés par son côté soul, moi j’étais plus influencé par Bill Evans et Eric m’a donné plein de choses à écouter, des transcriptions. Eric a été très influencé par Kenny Kirkland et on a tous travaillé une improvisation de Kenny Kirkland avec lui, et quand tu rentres là-dedans, tu entres forcément dans l’esthétique d’Eric. Il y a des pianistes que j’admire comme Chick Corea, mais je n’entre pas vraiment dans son esthétique. 

Dans un morceau comme Inner Necessity, on entend bien ton attirance pour Bill Evans.

Sans doute inconsciemment. J’écoute Bill Evans toutes les semaines, et souvent les mêmes albums, les sessions au « Village Vanguard, je les écoute chaque semaine. Je transcris plein de ses morceaux. J’écoute aussi beaucoup Keith Jarrett ou Brad Mehldau, et on sent aussi que Bill Evans est présent chez eux. C’est quasi inévitable. Dans les cours d’Eric, on traverse aussi l’histoire du piano jazz de Art Tatum, de Duke Ellington… On se rend compte que tous sont passés par là : quand on écoute Brad Mehldau du début, on entend par moments Wynton Kelly.

On peut aussi penser à Brad Mehldau dans tes influences.

Le travail de la main gauche de Brad Mehldau est quelque chose qui a influencé beaucoup de pianistes actuels, c’est sans doute un effet pervers de l’écoute, mais c’est clair que son travail dans les voicings a amené quelque chose de nouveau, des accords qu’on n’entendait pas avant et sur lesquels on a flashé avec Eric et Vincent Bruyninckx. Le premier accord dans l’intro de Inner Necessity est un accord typique de l’esthétique de Brad Mehldau, il reprend des éléments plus traditionnels qu’il mélange avec de nouveaux accords. Fred Hersch au début, Keith Jarrett faisaient déjà ça et si on regarde les positions de voicings d’Art Tatum ou Oscar Peterson, on retrouve ces deux notes en même temps, mais jamais systématisées comme Brad l’a fait, il en a fait comme une recette. 

La thématique dans un album, c’est nécessaire ?

Je suis inscrit là-dedans, j’ai des choses qui me touchent et forcément quand j’écris, ça transparait. Kris Defoort m’a dit que je devais travailler la composition comme on travaille l’instrument et ne pas attendre l’inspiration : compose, compose, compose… J’ai écrit quarante morceaux pour le quintet, certains me prennent un mois. Quand j’ai composé, je choisi un titre et par rapport au sujet des migrants, j’y pense beaucoup. Quand j’ai le temps, je vais aider à faire à manger, ce sont des choses qui m’habitent. Je ne sais pas si ça m’inspire vraiment, mais ça correspond à l’état d’esprit dans lequel je me trouve à un moment précis. 

Il y a aussi un côté artiste maudit qui t’inspire : Rimbaud, Sixto Rodriguez, un artiste que tu es allé chercher où ?

J’ai vu le documentaire sur lui il y a déjà un moment. Lorsqu’ on a formé le trio, je n’avais que quelques compositions personnelles et j’ai cherché quelques reprises possibles pour un album. J’ai réécouté les Beatles, j’ai pensé faire une reprise de Jacques Brel. Puis j’ai réécouté ce vynil de Rodriguez, la mélodie est très forte, je l’ai réharmonisée, j’ai changé le rythme. J’ai aussi trouvé le morceau très inspirant, simple et fort comme la pop peut le faire. 

Et Hey Jude ?

C’est un morceau qui au départ ne se prête pas trop au jazz. Il y a des accords en triades qu’on a dans le gospel. Les premiers accords ne sont pas du tout ceux de l’original, j’ai changé le feeling, plus aérien et plus avec un ostinato avec une pédale. C’est un morceau plaisant à jouer, j’ai écrit une structure courte de huit mesures qui permet plus de liberté dans l’improvisation. 

Tu conserves trois morceaux « live ».

Le studio a été fait en novembre 2017, on avait 49 minutes de musique, donc assez pour un album. Le groupe a beaucoup joué par la suite et je me suis dit que présenter l’évolution du trio était une bonne chose. J’ai trouvé qu’un mix entre le studio et le live était une bonne idée. 

Tu n’as pas encore cité Monk et tu reprends « Monk’s Dream ».

Le morceau de Monk n’était pas prévu dans le cédé. On l’a fait dans le set de façon spontanée, je l’avais écouté le matin même et je trouve que cette version est pleine de fraîcheur, il y a beaucoup d’interaction, comme souvent en « live ». Monk est un cas à part, très atypique. 

Peux-tu me parler de tes partenaires français du trio ?

Alex Gilson a été installé à Bruxelles quelque temps, on a joué au « Sounds » ensemble, on s’est dit qu’on pourrait faire une tournée, il falllait trouver un batteur… Je lui ai dit de choisir quelqu’un que je ne connaissais pas et il m’a proposé Jean-Baptiste Pinet. On a mis deux ou trois concerts pour se trouver, mais au quatrième, à Thionville dans un petit club qui s’appelle le « Why Not », on s’est regardé à la fin du concert et là, on se trouvait de façon instantanée. L’année suivante on a mis en place une tournée de douze dates. Je cherche un équilibre dans le trio : avec Alex, ce qui l’intéresse c’est de swinguer, d’être en connexion avec la charleston du batteur, Alex tient la route, ce qui nous libère. Eux deux jouent du coup beaucoup ensemble, ce qui rend la cohésion du duo de plus en plus solide. 

Le problème en Belgique, c’est le manque d’espace pour s’exprimer en live.

On a peu de concerts en Belgique, 65-75% des concerts sont en France… Quand on était à Edimbourg (pour THRILL, une opération de promotion du jazz belge) et que Maaike Wuyts a fait l’inventaire de ce qui existe en Belgique, c’était impressionnant. Mais le problème qui existe en Wallonie et qui est très concret, c’est qu’on a du mal à s’exporter et à trouver des choses cohérentes au niveau du développement de la carrière, au niveau des agents, des managers… Si on veut que ça fonctionne, ça doit passer par des agents subventionnés pour se lancer, mais on en est loin. Pour un musiciens, c’est hyper-chronophage de prendre tout cela en charge. Dans mon cas, je m’occupe aussi des « Lundis d’Hortense » pour lequel j’ai des projets, mais il faut que je joue du piano, que je m’occupe de booking, que je fasse l’attaché de presse, le tour-manager… Pour le moment, je gère tout ça, mais ça ne peut pas durer des années. J’espère trouver un agent qui me déchargera de la gestion de tournées, de contrats, de cachets…

Tu es aussi membre actif du Facir.

Je suis membre du Facir en tant que président des Lundis D’Hortense. C’est une structure qui fait du bon boulot, qui va aborder les problématiques dont je viens de parler. Si on met en parallèle avec le milieu du théâtre, que je connais un peu, on a du mal à fédérer les gens dans le secteur musical. Si on allait ensemble défendre les musiciens, ça aurait plus de poids. Quand on voit la manne culturelle au niveau des musiques non-classiques, ce sont des cacahuètes. 
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