Julien Tassin : objectif lune

Julien Tassin : objectif lune

Julien Tassin © Lucinde Wahlen

Julien Tassin se joue des codes et des classements : rock, jazz ou blues, tout est dans sa musique. Il suffit d’écouter son dernier opus « Moondancer », sorti chez IGLOO, pour s’en convaincre.

« Le guitariste le plus rock du jazz » à moins que ce ne soit le plus jazz du rock, quand on parle de son groupe « Run Sofa » qui monte, monte, monte. Julien Tassin nous parle de sa musique, de ses influences, de son trio…

La musique en famille.
Julien Tassin : « Dans ma famille, j’avais des oncles qui faisaient de la musique et c’est ce qui m’a donné l’envie de jouer. J’ai commencé par la guitare classique pendant dix ans et à la maison, j’ai découvert le blues, une musique à laquelle je me suis intéressé exclusivement pendant des années. Petit à petit, le rock et le jazz sont arrivés par ma famille où on écoutait pas mal de rock, Jimi Hendrix surtout, mais aussi du jazz. Il n’y avait pas vraiment de barrières musicales. La diversité est dans ma culture. »

«Dans ma famille, il n’y avait pas vraiment de barrières musicales. La diversité est dans ma culture.»

Les influences du début.
J.T. : « Dans les grandes figures, il y a les Beatles évidemment, qui ont repoussé les limites du rock. Ils sont les précurseurs du rock moderne. Et au même moment, il y a eu Jimi Hendrix qui faisait un peu la synthèse du blues, du rock psyché et aussi d’une certaine forme de funk. Il a apporté quelque chose de tout à fait nouveau, en ce qui concerne le son de la guitare. Kurt Cobain et Björk sont des légendes, des génies comme Miles. Tous ces gens ont fait avancer la musique, puis il y a tous les autres qui ont apporté leur pierre à l’édifice et qui m’ont aussi inspiré… »

«Kurt Cobain et Björk sont des légendes, des génies comme Miles. Tous ces gens ont fait avancer la musique.»

Et les guitaristes de jazz.
J.T. : « C’est une influence qui est venue plus tard, comme Marc Ribot ou Bill Frisell, Scofield aussi. Je suis très attiré par les ambiances cinématographiques, celles de Jim Jarmusch ou de David Lynch. C’est quelque chose qui m’inspire aujourd’hui. Chez Bill Frisell, il y a aussi une forte influence rock, les Beatles, Bob Dylan, c’est sans doute dû aussi à la guitare qui est l’instrument-phare du rock. Ce que j’aime chez ces guitaristes, c’est qu’ils repoussent les limites de l’instrument dans les sonorités. J’aime beaucoup Derek Bailey par exemple, qui travaille les textures. Toutes ces influences font qu’on va vers une autre musique. »

Julien Tassin © Robert Hansenne

Julien Tassin © Robert Hansenne

Le son plus que la mélodie.
J.T. : « Le son amène les choses. Je suis attiré par le son de l’instrument en lui-même, le son brut, plus que par les effets de pédales, il y a tant de choses à explorer sur la guitare. J’ai aussi envie d’explorer la guitare acoustique. Avec « Run Sofa », j’essaie aussi d’utiliser moins d’effets, Je privilégie des effets par soi-même sans passer par des systèmes, que l’effet soit organique. »

Rock ? Jazz ? Blues ?
J.T. : « Je pense qu’en 2020, ça n’a plus beaucoup de sens de dire que ça c’est du rock et pas du jazz, ou l’inverse. J’aime les musiques qui découlent de l’improvisation en tout cas, et où le rythme sous-jacent vient du blues et du jazz, c’est en ça que je dis que mon trio colle bien à l’étiquette jazz. »

«Nic Thys et Dré Pallemaerts, ce n’est pas seulement deux personnes qui accompagnent le soliste.»

Le trio avec Nic et Dré.
J.T. : « Ils ont une culture musicale qui colle à la mienne, la musique américaine, le blues. Ce sont des musiciens qui n’ont pas besoin de surjouer. De plus, ce sont des jazzmen qui peuvent jouer dans n’importe quel contexte. A la base, c’était ça. On a joué le premier album qui était un peu plus carré et en concert c’est devenu plus fluide, ils prenaient plus d’espace. C’est ce que j’ai souhaité dans le deuxième album, leur laisser plus de place : ce n’est pas seulement deux personnes qui accompagnent un soliste. »

Julien Tassin © Robert Hansenne

Une suite en ouverture.
J.T. : « En live, on joue les cinq premiers morceaux à la chaîne. Ils s’enchaînent sur l’album comme si c’était une suite, j’ai toujours aimé le côté « concept » d’un album comme chez Pink Floyd, ça donne tout son sens à l’album. Aujourd’hui, on est plus dans le format chanson parce que les gens ne prennent plus le temps d’écouter. J’ai envie d’aller à contre-courant de ça en donnant un sens à l’album, que les compositions soient connectées les unes aux autres, que les gens aient envie de passer au morceau suivant. J’avais déjà un peu défini ça avec l’album « Momentum », mais j’ai encore envie d’aller plus loin dans cette voie. »

«Chaque morceau a son inspiration, mais j’aime que les gens qui écoutent s’inventent leur propre histoire.»

Le côté cinématographique.
J.T. : « J’ai souvent des images, des ambiances dans la tête. Chaque morceau a son inspiration, mais j’aime que les gens qui écoutent s’inventent leur propre histoire. Ce n’est pas quelque chose de figé, je demande aussi aux musiciens d’apporter leur ressenti à ma musique. »

Une seule prise ?
J.T. : « Exactement, c’est bien ça ! Sur l’album il n’y a que des prises du premier jour, la musique est conçue pour ça. Ça doit être frais. En multipliant les prises, la musique perd de sa spontanéité, à la limite elle devrait être enregistrée « live ».

Julien Tassin © Lucinde Wahlen

Dichotomie et bipolaire (mots employés dans le dossier de presse)
J.T. : « Je pense que ça vient du côté psychologique, je suis quelqu’un qui peut être très positif, mais qui peut aussi avoir une face un peu sombre. Même si cet album est moins sombre que le premier, il y a toujours un côté clair-obscur, un son un peu mystérieux, avec des nuances. J’ai un peu de mal quand on me dit que c’est du rock. C’est juste quelque chose qui est honnête, qui est moi, qui peut être très explosif puis dans la seconde qui suit, plein de nuances, parce que la vie c’est des contrastes continuels. »

«Le cliché qui veut qu’être un artiste c’est pas vraiment du travail, ça fait un peu mal…»

Le contexte compliqué d’une sortie.
J.T. : « J’essaie de rester positif, mais on a tout de même des doutes quand on vit de son art. C’est une période étrange, je m’interroge sur la place de l’artiste. On est parmi les derniers à être pris en compte, et ça c’est pas facile à vivre. Le cliché qui veut qu’être un artiste c’est pas vraiment du travail, ça fait un peu mal. Les gens ont peu conscience qu’on bosse énormément. C’est un métier où l’implication est maximale, mais où on n’est jamais sûr du retour. Je ne me dirai jamais qu’écrire un livre, c’est facile : on se plante, on recommence, c’est un processus créatif difficile, comme la musique. »

Une collaboration Jazz’halo / JazzMania

La sortie au format CD + Vinyle est prévue le 27 novembre, précommandes sur le site d’Igloo avec promo.

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin