Kim Myhr & Australian Art Orchestra : Vesper
Il est des disques – rares, précieux – où la notion de temps prend et perd à la fois de son sens. Cette prise de conscience et cette perte du temps ne sont pas antagonistes, elles se répondent entre elles. Au temps suspendu, distendu à l’extrême, répond le temps condensé, le temps qui déjà n’est plus. Ce n’est pas tant le temps en tant qu’unité de mesure de la durée musicale qui est ici à l’épreuve mais celui, plus général, qu’induisent l’observation et la perception. Dès l’écoute des premières notes de ce disque, on perçoit assez rapidement le jeu de ce temps. Mais c’est aussi l’espace qui s’ouvre, s’entrouvre pour laisser à chaque note la liberté de son étendue. Apprivoiser le flux, canaliser le reflux. L’indétermination d’une musique qui refuse d’indiquer ses destinations : voilà l’estampille de la démarche de Kim Myhr. Enregistré live dans la cadre du Melbourne International Jazz Festival de 2018, « Vesper » concrétise une collaboration sentie et mûrie entre le compositeur/guitariste norvégien et l’Australian Art Orchestra. Myhr a également convié Tony Buck, le batteur de The Necks, trio de Sydney célèbre pour sa musique en apesanteur. Buck y excelle avec son jeu caractéristique construit sur des rythmes épars tout en nuances et des cadences disséminées où prime la discrétion. Le disque se décline en trois parties qui totalisent près d’une heure de musique. Au final, ces vêpres ne nous obligent à aucun cérémonial et elles ne nous forcent à aucune célébration. Elles nous conduisent à un exercice d’écoute pleinement éveillé et enivrant.
Eric Therer