La Jungle : Transe, éco-anxiété et neuf frontières

La Jungle : Transe, éco-anxiété et neuf frontières

Le duo montois fonce, se forge une renommée d’incroyable groupe de scène où il délivre une transe irrésistible. De plus, il aligne de superbes albums avec une régularité métronomique. J’ai fait le point avec eux à l’occasion de la sortie du cinquième, « Ephemeral Feast ». Comme ils se sont partagés le temps de paroles, je n’attribuerai ni au guitariste Jim, ni au batteur Roxie la parenté des réponses, mais bien au groupe.

La Jungle © Studio Derville

Je pense que le nouvel album avait déjà été enregistré au moment de la sortie de « Fall of the Apex »…
La Jungle : Tout à fait, il a été enregistré deux mois avant cette sortie. Qui lui avait été enregistré plus ou moins à la même période l’année avant. Nous voulions sortir « Ephemeral Feast » fin 2021 mais il y avait du retard avec le pressage.

La pandémie a forcément eu un impact sur ces nouvelles compositions…
L.J. : Clairement. Nous ne pouvions pas répéter ou nous déplacer comme nous le voulions à cause du lockdown. L’album est peut-être un peu plus « froid ». Tout ce qui nous entourait s’est répercuté dans les chansons. Tout ce qu’on voyait à la télé, ce climat…

La Jungle © Carlo Van Den Heuvel

Yves Tassin a terminé la chronique du cd par ces mots « Dansez tant qu’il en est encore temps ! ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
L.J. : L’époque est au pessimisme et ce n’est pas nous qui le disons. On appelle cela de « l’éco anxiété », le truc qui rôde, qui plane et qui nous influe tous. Notre album est entre autres « éco anxieux ».

«Le nouvel album n’est pas un album qui fait danser. Il reflète une époque vraiment pas cool.»

Mais votre ADN reste toujours ancré dans l’envie de faire danser, de faire bouger, de pousser à la trance…
L.J. : Il y a l’album et il y a le « live ». Récemment une personne nous a encore dit : « Ce n’est pas que je m’en fous, mais je n’écoute pas trop La Jungle à la maison. Par contre, dès qu’il y a un concert, je viens parce que c’est la fête… ». Le nouvel album n’est pas un album qui fait danser, c’est un album qui reflète une époque vraiment pas cool. En concert, nous ne jouons qu’un ou deux titres de ce disque. Nous ne jouerons jamais cet album en « live » sinon ce serait trop calme, lent, pas forcément festif. Et nous, ce qu’on apprécie, c’est quand c’est plus « rentre dedans » ! On a cinq albums, on fait un set de 50 minutes avec des chansons hyper longues que l’on choisit dans toute notre discographie.

Sur cet album, il y a des vibrations africaines, du disco, du shoegaze, du psyché qui font bouger. C’était un choix délibéré ?
L.J. : Non, tout s’est fait de manière spontanée. On n’a pas cherché à faire plus de ceci ou de cela, on a fait comme d’habitude. On se voit, on joue et arrive ce qui sort ! C’est cool que tu retrouves tout cela dans notre musique puisque notre désir c’est de créer des choses différentes sur chaque album. Mais quand tu les enregistres, que tu les mixes, que tu les écoutes tellement de fois qu’à la fin, cela « te bouffe », tu n’arrives plus à prendre du recul pour entendre certaines choses.

«On arrive à la septième étape des neuf frontières écologiques… Mais nous aussi on fait beaucoup de dates, on met de la benzine dans le van…»

Le titre, ce « festin éphémère », c’est la vie finalement. Ou quelque chose d’encore plus amère ?
L.J. : J’aime bien ta définition et la pochette représente cet équilibre fragile. C’est comme les gens qui font de petites constructions avec des cailloux. Il suffit d’une petite pichenette pour faire écrouler toute la structure… Ce que beaucoup de scientifiques tentent de nous faire comprendre. On a déjà passé la sixième frontière, on arrive à la septième des neuf frontières écologiques. Pense-t-on encore aux enfants ? J’ai l’impression que les gens se disent qu’on est allé tellement loin dans l’exagération, dans l’outrance, que c’est trop tard. Comme si on se disait « on est allé trop loin, autant aller encore plus loin, de toute façon c’est foutu ! ». Voilà notre sentiment, personne ne fait d’efforts ! Mais nous aussi on fait beaucoup de dates, on roule beaucoup et on met de la benzine dans le van…

Mathieu Fiasse © Moon Hermans

C’est vrai que vous être très actifs, comme si La Jungle devait toujours avoir une actualité, quelque chose à proposer, comme cette nouvelle vidéo pour « Another Look to the Woman in the Gloom »…
L.J. : On a toujours fonctionné comme cela, on prend les décisions assez vite, et comme nous ne sommes que deux, cela facilite énormément les choses. Etre deux c’est plus facile pour les concerts. On en donne beaucoup, donc on est plus à l’aise. On peut développer l’énergie, le rapport au public. Tout devient instinctif, spontané.

«On préfère être reconnu pour notre sincérité que de connaître un feu de paille durant deux ans et puis plus rien !»

Et le succès suit. Il y a toujours beaucoup de monde aux concerts…
L.J. : Cela dépend ce que tu entends par « beaucoup de monde ». C’est une notion qui est toute relative. Demain on peut aller jouer dans un pays comme l’Espagne ou le Portugal, où nous sommes allés deux fois et parfois il n’y a pas grand monde. C’est une notoriété toute relative, il faut être prudent avec cela. En Belgique, en France, aux Pays-Bas, cela marche mieux. Cette semaine, on va jouer aux Vieilles Charrues, un festival familial… On ne va pas jouer devant notre public, mais bien pour des gens qui ne nous connaissent pas. Et si la mayonnaise prend ce sera vraiment chouette. Ils nous ont prévu une scène centrale au milieu du public ! C’est vrai qu’il y a de la demande venant d’un nouveau public, mais jouer devant mille ou trente personnes cela peut être tout aussi bien ! C’est comme un passage en radio, ça n’arrivera pas, on n’y pense même pas ! On a été « éduqué » avec des groupes comme Fugazi. Des groupes qui ont tourné, et tourné encore, donné plein de concerts et ne sont jamais devenus « mainstream » ! On préfère être reconnus pour notre sincérité, notre honnêteté que de connaître un feu de paille pendant deux ans et puis plus rien !

On a aussi reçu un cd 15 titres nommé « Sampler ». C’est uniquement pour la promo ?
L.J. : Non. Il y a avait la promo puis nous nous sommes dit que cela pouvait être intéressant pour les gens qui ne nous connaissent pas. Au stand de merchandising on nous demande parfois quel est celui qu’on trouve le meilleur, le plus intéressant. Du coup on peut leur dire prend celui-là. Il y a deux ou trois extraits de chaque album et des titres issus de split singles. Une façon de les aider à faire un choix pour l’acquisition d’un autre album plus tard.

La Jungle © Elodie Bathels

J’ai aussi quelques questions plus « légères » pour suivre. Quel est l’endroit le plus improbable où vous vous êtes produits ?
L.J. : On a joué sur une petite passerelle accrochée entre les arbres avec des cordes ! Deux mètres carrés pour nous mettre, batterie comprise. C’était un peu marrant, tu dois monter là-dessus par une échelle et puis on retire tout et tu es en lévitation (rires)! Mais c’était du playback, pour un court métrage de dix minutes. Sinon on a fait des concerts sur une péniche et joué « par terre » au milieu du public. C’est incroyable. On a joué sur des plages, dans des montagnes. C’est compliqué de trouver l’endroit improbable, on a dépassé les 550 concerts !

Dans la vidéo « Du sang du singe », on aperçoit l’humoriste Freddy Tougaux, un fan ?
L.J. : En fait c’est surtout une connaissance du réalisateur et je pense qu’il a voulu faire un clin d’œil à la belgitude. Mais nous ne l’avons pas rencontré, il a juste collaboré avec le réalisateur.

Votre nouvelle vidéo pour «Another Look to the Woman in the Gloom » est vraiment étonnante…
L.J. : C’est encore le résultat d’une belle rencontre avec quelqu’un qui est devenu un ami. Il nous a proposé de faire ce clip avec une animation de marionnettes. Un truc auquel nous avions pensé sans le concrétiser et finalement c’est splendide !

«On fait la fête avec chaque organisateur de concerts… T’imagines une tournée de 40 dates…»

La Jungle © Studio Derville

Faut-il une bonne condition physique pour jouer dans La Jungle ?
L.J. : (Rires) Cela dépend de ce qu’on a bu la veille ! Et comme on fait la fête avec chaque organisateur de concerts, t’imagines une tournée de 40 dates ! Mais cela nous fait autant de bien que d’aller dans une salle de gym ! Sur scène on transpire, on évacue le « mauvais » et cela permet de se sentir mieux ! Et on n’est jamais les derniers pour faire la fête par après ! (rires) Finalement, c’est comme les joggeurs : au plus tu coures au plus tu as envie de courir !

Vous resterez fidèle à l’artiste américain Gideon Chase pour illustrer vos pochettes ?
L.J. : Oui et non. Non, parce que pour le prochain, il y a déjà tout un processus engagé avec des personnes porteuses de handicap. On a fait tout un travail graphique d’art brut avec eux. On se pose encore la question de savoir comment on va restituer tout cela. Mais nous demeurons fidèles à Gideon car son travail donne une continuité à notre ligne d’albums. Les gens font rapidement le lien entre eux.

Il est aussi question d’une tournée en Australie…
L.J. : C’était prévu pour cette année mais avec la pandémie c’est très fermé là-bas. On espère pour l’an prochain, d’autant que l’album est sorti chez eux sur un label de Perth nommé Stock. Ils nous voulaient vraiment, donc on croise les doigts pour 2023…

Vos albums sortent sur beaucoup de labels différents…
L.J. : Oui. Il y a les indécrottables comme Rockerill et Black Basset qui nous aident un peu sur la logistique, les répétitions et la promo. Nous avons un bon ancrage en France avec le label « A tant rêver du Roi » et nous faisons jouer nos réseaux pour trouver de nouveaux partenaires au niveau international. Mais nous restons les maîtres à bord ! A l’inverse de ce que font certains groupes, ce n’est pas le label qui fait les disques. Nous, on fait tout ! Ce sont les labels qui nous prennent les disques !

Un petit mot sur le nouvel album…
L.J. : Il est déjà composé !

Quand on vous dit que ce groupe est incroyable !

La Jungle
Ephemeral Feast
Rockerill / Black Basset / A tant rêver du Roi / Stock

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Claudy Jalet