Label Bleu, Concert Anniversaire 30 ans

Label Bleu, Concert Anniversaire 30 ans

Label Bleu, Concert Anniversaire 30 ans

LABEL BLEU

En mars 2016, Label Bleu, un des fleurons de la production discographique en France, célébrait ses 30 ans d’existence à la Maison de la Culture d’Amiens qui fêtait, elle, ses 50 ans de créations artistiques (Label Bleu: 30 ans déjà). Pour célébrer cet anniversaire, qui de mieux placé qu’Henri Texier, avec une vingtaine d’albums au compteur et présent dans le catalogue du label d’Amiens dès 1986, avec l’album “Paris-Batignolles”, enregistré en compagnie de Joe Lovano, Louis Sclavis, Philippe Deschepper et Jacques Mahieux (Prix de l’Académie Charles Cros).

Pour cette carte blanche qui lui était offerte, le contrebassiste breton a décidé de réunir quelques fidèles compagnons de route mais aussi quelques révélations de la jeune scène française présente elle aussi sur Label Bleu. D’un côté, Michel Portal (saxophone, clarinette, bandoneons) que Texier a côtoyé dans le Michel Portal Unit et qu’il a invité sur l’album “An Indian’s Week”; Bojan Zulfikarpasic (piano, Rhodes) présent au sein de l’Azur Quartet puis quintet et dans le Sonjal Septet et Manu Codjia (guitare) qui a fait partie successivement du Strada Sextet, Red Route Quartet et Nord-Sud Quintet. De l’autre, Antoine de Pourquery (saxophone alto), membre du MegaOctet d’Andy Emler, leader de Supersonic et promu chanteur par le Red Star Orchestra, pour l’album “Broadways”; enfin, Edward Perraud, batteur du quartet de Sylvain Kassap et du trio Das Kapital. Tous réunis dans une totale complicité et avec une évidente envie de jouer.

L’album ne présente pas l’entièreté de ce concert de légende (ce qu’aurait permis un double album), exit les compositions de la première partie, O Elvin, SOS Mir, Sacrifice, Amazone Blues, Serious Seb et ce duo Portal-Bojan Z du répertoire de “Bailador”. L’album reprend ainsi les sept compositions originales de la seconde partie. Pour élaborer ce programme, Henri Texier a pioché à travers le répertoire d’époques différentes (une manière de revisiter sa riche carrière) : Colonel Skopje et le “classique” Desaparecido, dédié aux “folles” de la place de Mai à Buenos Aires, proviennent de l’album “Izlaz/Colonel Skopje” enregistré avec Joe Lovano, John Abercrombie et Steve Swallow; Don’t buy Ivory Anymore est extrait de “An Indian’s Week” gravé avec son Azur Quartet; Barth’s Groove a été coécrit avec Claude Barthélemy pour Strings Spirit, avec les cordes de l’Orchestre de Bretagne; Y’a des vautours au Cambodge ? a été composé pour le film “Holy Lola” de Bertrand Tavernier; Mucho Calor, le thème le plus récent, a été écrit pour le Nord-Sud Quintet et, joué en rappel, tel un retour aux sources, Noises est repris de l’album “Paris-Batignolles” de 1986 (pour découvrir les anecdotes liées à ces compositions, se reporter à l’interview “Henri Texier : 50 ans de bouffées de souvenirs“.

Réarrangé pour ce concert unique, ce répertoire illustre toute la richesse d’écriture d’Henri Texier: une véritable science des contrastes entre instruments acoustiques (les anches, piano et contrebasse) et instruments électriques (guitare, Rhodes), avec une palette sonore très large : alto dialoguant successivement avec un soprano, une clarinette ou clarinette basse, ou encore un bandonéon. Autre caractéristique : un équilibre parfait entre luxuriance des mélodies (Colonel Skopje, Don’t Buy Ivory Anymore, Desaparecido) et fulgurances rock (Mucho Calor, solo de guitare sur Desaparecido), une écriture savante, immédiatement identifiable par sa beauté mélodique mais qui laisse aussi de larges espaces d’improvisation (solos successifs de soprano, alto, guitare, piano, contrebasse et batterie sur Desaparecido).

L’album s’ouvre sur Colonel Skopje, belle alliance entre alto et clarinette basse dans un chassé croisé voltigeur; vient ensuite, en rupture de climat, la guitare saturée de Mucho Calor rejointe par l’alto et le soprano; suit alors une nouvelle rupture d’atmosphère avec un duo intimiste piano-guitare, auquel la contrebasse se joint au bout d’un moment, sur Don’t Buy Ivory Anymore. Barth’s Groove s’ouvre sur un piano funky rejoint par la clarinette basse, l’alto et la contrebasse qui prend un beau solo. Y’a des vautours au Cambodge ?, avec sa lumineuse intro de contrebasse, allie la sonorité nostalgique du bandonéon à l’alto; tandis que la mélodie pregnante de Desaparecido débouche sur une succession vertigineuse de solos de chacun, en guise de bouquet final. Mais le public n’est pas rassasié : en rappel, Texier propose Noises en mode caribéen, avec une clarinette aux allures new-orléanaises.

Au total, 70 minutes de musique intense et constamment inventive, saluées par de longues minutes d’applaudissements, des applaudissements qui font partie de la musique : le jazz se construit sur cette interaction constante entre musiciens et public. Comme disait Xavier Prévost dans Jazzmag: “ovation verticale et salut courbé de rigueur: le bonheur, vous dis-je.” Personnellement, en plus de 50 ans de passion jazz, un des plus beaux concerts auxquels j’ai pu assister. Un espoir : que les chiffres de vente incitent Label Bleu à produire un deuxième album reprenant la première partie du concert. A vous de jouer.

Claude Loxhay