
Le mot et le reste
Un zoom sur cette belle maison d’édition qui consacre une bonne partie de sa publication à la musique… en ratissant large.
On ne va pas se cacher derrière notre petit doigt. Au sein de l’équipe de la Maison du Jazz, la maison d’édition Le mot et le reste emporte des suffrages unanimes et répétés au fil des ans. Pourquoi donc ? Eh bien, on ne va pas s’empêcher de vous l’écrire avec tous nos doigts…
Yves Jolivet, fondateur de cette maison d’édition en 1996, déclare avoir commis toutes les erreurs qu’un éditeur devrait éviter. Heureusement, elles n’ont pas été fatales pour son entreprise et, dans une interview à Gonzaï en 2014, il explique ainsi le succès de ses publications. « Le marché du livre est en difficulté car celui-ci n’est plus le vecteur essentiel de reconnaissance sociale tel qu’il l’était auparavant. Reste qu’il s’en vend toujours pas mal et le marché du livre ne s’est pas effondré au même titre que celui du disque. En ce qui nous concerne, il me semble que nous avons pris la place de magazines tels que Rock & Folk à une époque, Les Inrocks à une autre. Nous sommes devenus un outil de référence pour bon nombre d’amateurs de musiques actuelles et certains, amateurs de vinyles, verraient d’un mauvais œil si nous passions en format poche, la version cd du livre en quelque sorte. A son petit niveau, Le mot et le reste semble devenir un marqueur social, notamment pour les amateurs de musique ».
Voilà pour le contexte, devenu favorable à ce qu’on appelle une niche. Quant à l’état d’esprit, il s’écarte de la tendance écrasante qu’est la spécialisation. « La déshérence de la presse musicale, sa segmentation forcenée, l’a appauvrie, l’empêchant de créer des chemins de traverse, des ponts entre les musiques. Au final, nous nous sommes insérés dans les interstices, créant peu à peu des liens entre les thématiques diverses et variées de la musique. Le mot et le reste est devenu un archipel dans lequel s’agrège la musique et ses histoires, petites et grandes », poursuivait Yves Jolivet dans la même interview. Avec l’objectif aujourd’hui revendiqué de documenter l’histoire des musiques populaires depuis le début du vingtième siècle, en proposant à la fois un contenu accessible et étoffé pour intéresser les fanas comme les curieux.
Car la notion d’amateurs de musique se comprend ici sans la moindre exclusive. A parcourir le catalogue, on découvre de tout, mais pas du n’importe quoi qui serait téléguidé par une mode ou l’air du temps. Oui, de tout : l’histoire du hard rock, Brian Wilson, les musiques du monde arabe, La Monte Young, la movida espagnole, le free jazz, le rock sudiste, une série « Streets of » (l’histoire du rock à Berlin, Londres, New York…), les chansons de Noël, le rock en URSS et la contre-culture, les musiques savantes en trois tomes, le folk et le néo-trad breton, la French Touch, les musiques ultramarines (Caraïbes, océan Indien, Pacifique), Saravah, Dalida, l’école de Canterbury, les musiques électroniques, le rap au féminin, le manuel musical du football… N’en jetons plus, la collection « Musiques » recense plus de 250 ouvrages ! Le catalogue se partage entre essais, biographies, mémoires, témoignages, discographies commentées et anthologies. Depuis peu sont apparus de la littérature sur la musique, comme « Little Louis » de Claire Julliard, l’histoire romancée de la vie de Louis Amstrong avant que survienne son succès en 1924, et de « beaux livres » avec, par exemple, un « Voyage au pays du blues » à paraître très prochainement.
C’est progressivement que la musique est devenue un des deux axes principaux de la politique éditoriale. La publication de livres sur la musique démarre effectivement en 2006 par « Un itinéraire bis en 140 albums essentiels », signé Philippe Robert. La vente ayant été correcte, le mouvement se poursuit avec trois à quatre ouvrages par an, puis une dizaine et jusqu’à vingt depuis une dizaine d’années. Le rythme actuel de parution est d’environ cinquante ouvrages par an, dont la moitié sur la musique. Si les sujets sur le jazz et le blues ne sont pas majoritaires, il y a très largement de quoi s’occuper les yeux.

Yves Jolivet © Le mot et le reste
Reste… le texte. Et à propos de reste et de texte, d’où cette maison tire-t-elle donc son nom ? « Je sollicitais des mots auprès de poètes et je m’occupais du reste, le titre de la maison d’édition a été simple à trouver », précise le fondateur. A une époque, les livres sur la musique contenaient beaucoup de photos et peu de textes. Actuellement, le récit est plutôt privilégié et c’est en tout cas la volonté déclarée de cette maison d’édition. Publiant aussi de la littérature, on y porte une attention soutenue à la tenue stylistique des ouvrages sur la musique. Jusque dans les titres tels « Sun Ra. Palmiers et Pyramides », « Jean-Claude Vannier. L’arrangeur des arrangeurs » ou « Field Recording. L’usage sonore du monde en 100 albums ».
La collection bénéficie en outre d’une image affirmée avec une charte typographique particulière et des couvertures très identifiées. Le grand format n’a jamais cédé la place à une édition poche et on ne rechigne pas sur la qualité du papier, le tout avec l’idée de présenter un objet que l’on conserve. Pour tout dire, Le mot et le reste développe une conviction forte dans l’avenir du livre et c’est aussi ce qui nous ravit. Disant être peu sollicité par des lecteurs qui souhaiteraient des formats hybrides, liant numérique et contenu multimédia, Yves Jolivet ne croit pas au tout numérique. Et son équipe effectue un travail inlassable pour défendre chacun des titres, que ce soit auprès des librairies, bibliothèques et autres lieux ou sur le web afin qu’il puisse trouver ses lecteurs. L’échange avec les lecteurs est lui-même une constante recherchée au travers de rencontres, lectures ou conférences.
« New Orleans. 100 ans de musiques », une des toutes dernières parutions, illustre la démarche de cet éditeur d’une façon emblématique. Une idée originale, et pourtant simple, celle de retracer l’histoire de la scène musicale de la ville en brassant les illustres anciens, nommés Louis Armstrong, Fats Domino, Little Richard ou Dr. John, les grandes familles telles les Marsalis et les Neville, et les contemporains comme Trombone Shorty, Jon Batiste ou Big Freedia. De la transversalité et de l’éclectisme, car creuset musical et lieu de métissage entre tous, la Nouvelle Orléans impose naturellement d’aborder toutes sortes de musiques. La structure du livre est celle qui est propre à leurs anthologies, comprenant une introduction, ici d’une cinquantaine de pages, suivie d’une centaine d’albums répertoriés et commentés ou, plus justement, racontés. Il est signé par Éric Doidy, sociologue, et Lola Reynaerts, une compatriote, photographe et vidéaste. Ce duo témoigne du fait que les auteurs maison ne sont pas nécessairement des journalistes ou des écrivains de profession. Chez Le mot et le reste, une œuvre est d’abord conçue par des passionnés pour un lectorat exigeant et avide.
En partenariat avec la Maison du Jazz
Steven Jezo-Vannier
Ma Rainey, La Mère du Blues
Le mot et le reste
276 pages
ISBN : 978-2-38431-072-2
23 €
Christophe Delbrouck
Weather Report ‐ Une histoire du jazz électrique
Le mot et le reste
480 pages
ISBN : 978-2-3843-1037-1
29 €
Sylvain Fanet
Philip Glass ‐ Accords & désaccords
Le mot et le reste
265 pages
ISBN : 978-2-36139-992-4
21 €