Les Ondes à l’An Vert (Liège, 14-15/10/23)
Dire. Comment dire le dire ? Comment le mettre en scène, sur scène ? Comment faire sonner le dire ? Le faire raisonner ? L’arraisonner ? Comment faire pour que le dire s’oie, s’ouïsse, s’entende ? Pour que le dire s’entende dire ? Pas facile. Pas facile de dire le dire. Pas facile d’éviter qu’il ne tombe dans la trappe du qu’en-dira-t-on. Alors une petite équipe se dit qu’elle peut tenter le coup. Un roulement de dés en dit parfois plus long que de grandes palabres. Cette équipe se met en train. Elle convoque, rassemble des porte-voix, fait les choses à l’endroit en réquisitionnant l’An Vert.
Frédéric Saenen apparaît à la fois comme un présentateur de l’événement et comme un parrain bienveillant. Il en décline les préceptes. Le lendemain, il proposera un Arèdje! blind test littéraire en wallon d’Hollogne. Un jeu où on se prend la tête, où on pousse la devinette à qui mieux mieux, où on émet des hypothèses hardies ou hasardeuses, c’est selon. Et on rit. Et on en perd son wallon de Grâce.
Chris Miracle, soit Clarisse et Charly Michaux, frère et sœur dans la vie, revisitent « Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles » de Chantal Akerman. Charly pulse des sons, impulse des notes. Images à l’appui, Clarisse déroule des extraits de dialogues du film. Elle boucle, déboucle des phrases, avance, recule, comme si ses cordes vocales étaient une tête de magnétophone. Une étrange sensation nous gagne, celle de pénétrer dans l’intimité du mythique appartement avec un casque d’écoute posé sur nos oreilles.
Excursionnistes sonores hors pair, Vincent Tholomé et Gauthier Keyaerts sont fidèles à leur excursus précieux. Petits sons, petits mots enfouis et déballés au grand jour sans que l’on ait eu le temps de crier gare. On aimerait les écouter dans un train qui traverserait la Sibérie à la faveur d’une aurore boréale et les suivre jusqu’à leur destination. Pour peu qu’il en existe une.
A.C. Hello scrute son public. Elle éructe, invective, éjecte syllabes et voyelles de sa bouche. Des mots durs et durs. Sa colère n’est pas feinte, elle est, indécrottablement, ontologiquement politique. Anne-Claire se tient dans la pénombre, à un carrefour où la rejoignent G.W. Sok et Anne Waldman. Anger Speaking Woman ! Je ne pense pas l’avoir vu sourire de toute la soirée.
Johana Beaussart parle des langues, parle en langue. Sa glossolalie est énigmatique, dérobée, elle plonge ses racines dans un monde de l’infiniment audible. Johana rappelle les débuts de Laurie Anderson. Elle utilise des mots écornés, rétrécis ou parfois éblouissants, jetés dans la lumière, des mots collés, des mots décollés, des mots collages. Elle couine, laisse entrevoir ses canines. Elle se tient au pied de la lettre. Elle est la lettre. Elle est lettre.
Avec François Laurent, on se surprend à hésiter tant il est difficile de savoir s’il tient réellement une conférence. Ou si celle-ci, le cas échéant, est vouée à demeurer entre parenthèses, en live comme sur le carton d’invitation ? Fausse conférence ? Vraie séance de confrérie ? De contredire ? De contredits ? François, commis dévoué, voué à la noble cause de la prose. Commissaire en prose.
Et puis il y a les autres dont il est difficile de citer les faits et gestes in extenso dans ces quelques lignes : Anna Ayanoglou ; Héloïse Husquinet ; les deux Camille : Sova & Ruiz ; Charline Lambert ; Lucien Brelok ; Thibaut Creppe & Antoine Dawans… Tous inspirés, tous inspirant, respirant, perspirant à des degrés divers. Et puis il y a Catherine Barsics dont je loupe à nouveau – par un concours de circonstances fâcheux – l’intervention. Une performance qui la voit évoluer pour l’occasion avec la violoncelliste allemande Hanna Kölbel au sein de Foehn, une première. On nous en a rapporté de justifiés éloges.
« Faire découvrir ou redécouvrir la diversité de la poésie sonore belge ou française », tel était le credo des Ondes. Le Comptoir du Livre a démontré avec brio qu’il pouvait en être le porteur avisé, devisant, visant juste.