Lina Allemano & Bloop : Proof

Lina Allemano & Bloop : Proof

Lumo Records

Le travail de musicienne et compositrice de Lina Allemano (Toronto) s’articule autour de l’improvisation et de collaborations (au sein du « power-trio » basse/batterie/trompette berlinois Ohrenschmaus – écoutez le tonique « Rats and Mice », ou encore de son quartet Lina Allemano Four qui a sorti, en 2021, également sur Lumo Records, « Vegetables », plus discipliné mais de bonne facture) qui n’abandonnent pas les éléments mélodiques et rythmiques sur l’autel de la liberté et ne sombrent jamais dans la démonstration virtuose.

Pour le projet Bloop, en tandem avec Mike Smith (live-processing, effets), elle s’aventure vers des territoires inconnus. L’ouverture de l’album – « Enchantments » – donne le ton avec une trompette qui rappelle par moment le son majestueusement venteux du défunt Jon Hassel, et joue gracieusement avec elle-même tout en sinuosité et volupté. Les traitements électroniques de Mike Smith privilégient économie et subtilité sur tout artifice complaisant et réussissent à nous emmener dans un ailleurs organique. Ils peuvent aussi occasionnellement donner un aspect ludique à des moments plus free (« Decanted » et « Recanting ») avec des manipulations texturales proches du sound art, qui dialoguent, à partir d’une belle écoute réactive, avec les torsions cuivrées de sa comparse, à l’aise en toute situation sonique. Dans « Nestlings » qui démarre sur un sifflotement aérien puis se mue en ronflement, en cri plus aigu, en écho de loup,… on ne sait plus qui fait quoi et ce doux imbroglio se conclut par le souffle retrouvé de la trompette reine.

Cet album rafraîchissant comme l’arpentage d’un paysage nordique à la beauté sauvage, aurait pu se terminer sur le solennel « Cremini Oracle » (plutôt que sur « The Summening » qui pêche par sa longueur excessive et semble se chercher davantage) avec les pistons qui là aussi se dédoublent pour mieux nous emmener dans une spirale au destin incertain. Mais Bloop réussit à ne pas se/nous perdre et revient, entre deux audio-explorations, vers une forme de centre mouvant et un battement de souffle essentiel.

Philippe Franck