Solal/Lubat, In & Out

Solal/Lubat, In & Out

Martial Solal – Bernard Lubat, In & Out

LA HUIT ÉDITION

Une captation, effectuée à Sons d’Hiver en janvier 2014, et un exercice, réalisé avec chacun des pianistes à leur domicile en aval du concert, consistant à leur diffuser le film du concert en leur demandant de réagir à ce qu’ils voient et entendent. Le concert lui-même permet d’apprécier chacun des pianistes en solo, Martial Solal ayant choisi de ne jouer ce soir là que des compositions personnelles, et développant un jeu très articulé, Bernard Lubat improvisant à son habitude, d’une manière qui associe le bop le plus pur et, en permanence, la présence au second plan de schémas rythmiques où l’on devine le batteur derrière le pianiste. Puis, en une assez brève séquence suivie d’un « encore », les deux maîtres se prennent au jeu du dialogue. Ce dernier moment n’est pas le plus palpitant du concert, même si la musique interprétée est sans défaut, mais de véritable rencontre il n’y a pas vraiment. Les deux séquences en solo absolu sont, elles, tout à fait excellentes et bien filmées. Mais c’est l’exercice d’expression qui vaut vraiment le détour, puisque chacun des musiciens s’exprime sur ce qu’il a joué, expliquant ce qui s’est passé, et comment cela est advenu. Solal est impressionnant d’écoute de lui-même, et de capacité à faire partager ce qui se passe dans une improvisation. Très étonnante aussi, sa capacité à montrer les défauts éventuels de tel ou tel passage, et la facilité qu’il manifeste à indiquer les pistes qui auraient pu donner un meilleur résultat ! Bref, c’est bien Martial Solal, pianiste d’une rare intelligence, doté d’au moins deux cerveaux en acte, celui qui joue et celui qui analyse en temps réel. Parfaite illustration de ce que la pensée reste l’instrument de découpe le plus fin de tous. Quant à Lubat, dont on pouvait craindre la propension à cacher ce qu’il pense vraiment derrière des formules destinées à amuser la galerie, il se laisse aller en deux ou trois moments à dire ce qu’il en est pour lui de ce jeu solitaire, savoir que le pianiste – comme nous l’avons souligné plus haut – est tributaire du batteur, voire du « joueur de tambour » qui gît au plus profond de lui-même. Une façon plus explicite de parler de « jazzcogne ». Et rien que ça, c’est énorme.

Philippe Méziat