Michel Mainil : Richard Rousselet ‐ La passion des notes bleues

Michel Mainil : Richard Rousselet ‐ La passion des notes bleues

Richard Rousselet est un musicien emblématique du jazz belge. Avec plus de 65 ans de carrière, il a traversé, en sideman ou en leader, différentes époques marquées par des personnalités et des styles musicaux différents. Des petites et moyennes formations aux grands orchestres (notamment avec le fameux ACT Big Band), du new orleans au hard bop (avec le groupe Ecaroh en hommage à Horace Silver que je me souviens avoir vu au club Travers à Saint-Josse) en passant par le swing et la fusion électrique (avec deux groupes légendaires dont les albums, aujourd’hui encore réédités, ont contribué à un élargissement de la musique improvisée telle qu’on l’interprétait chez nous : Solis Lacus et Placebo), le trompettiste a joué dans de nombreux projets impliquant une multitude de musiciens qui constituent la crème du jazz « rouge jaune noir » même si l’on y retrouve souvent quelques noms privilégiés comme Michel Herr, Fabrice Alleman ou Bruno Castellucci. Enfin, Richard Rousselet est également un enseignant renommé qui, pendant plus de 40 années, a transmis sa passion et ses connaissances à d’innombrables étudiants dont certains sont aujourd’hui devenus des collègues (Laurent Blondiau, Jérémy Dumont, Marie-Anne Standaert, Michel Paré …). Tout ça valait bien un livre, travail de mémoire entre essai et compilation de souvenirs réalisé de façon exemplaire par Michel Mainil, lui-même musicien, qui s’est abreuvé à toutes les sources possibles.

On ne trouvera pas ici de ragots croustillants. Dans ce sens, le livre de Michel Mainil ressemble plus à la biographie de Duke Ellington (« Music Is My Mistress ») qu’à celle de Miles Davis (« The Autobiography ») : ce sont les valeurs positives des personnes qu’a côtoyées Richard Rousselet qui sont mises en valeur plutôt que d’éventuels aspects conflictuels. Certes, le contexte du jazz en Europe n’est pas le même qu’aux Etats-Unis, mais, surtout, Richard apparaît comme un personnage enthousiaste, droit et généreux (confer l’épisode du change en Suisse, ou celui où il refuse une tournée au Japon pour ne pas abandonner l’orchestre du West Music Club), cultivé et travailleur, modeste et fidèle en amitié. Il semble donc normal qu’il n’ait gardé que des bons souvenirs de ceux avec qui il a travaillé et qu’en retour, ses collègues lui fassent part d’une estime réciproque.

En revanche, le livre fourmille de détails et d’anecdotes qui raviront ceux qui aiment le jazz. En voici deux à titre d’exemple. Fan de Clifford Brown, Richard raconte comment il distribuait des bouts de papier aux jazzmen de passage pour leur demander d’écrire ce qu’ils pensaient du trompettiste. Richard a gardé ces amusants documents dont certains sont reproduits dans le livre comme celui de Cecil Payne qui a écrit « Brownie mangeait plus de crème glacée que n’importe qui d’autre que j’ai connu. Et il jouait de la trompette de la même manière ». Plus loin, Richard explique comment Marc Moulin avait abordé Herbie Hancock dans un bar à Bruxelles pour lui faire relire sa transcription personnelle de « Maiden Voyage ». De bonne grâce, Herbie apporta quelques amendements, mais, le lendemain, avant un concert à Anvers, Herbie voyant Marc en coulisses se dirige vers lui pour lui signaler que « hier, j’ai fait une erreur dans une de mes corrections ! Voilà ce que tu dois jouer ». Incroyable anecdote éclairant la belle personnalité, à la fois sérieuse, conviviale et respectueuse, d’un des géants du jazz.

L’histoire de Richard Rousselet est abordée sous différents aspects : biographie, témoignages, interviews, relevés de presse, extraits de livres, rencontres, réflexions sur divers sujets (l’enseignement du jazz, le jazz comme modèle de société, jazz wallon et jazz flamand …), discographie commentée par des experts (qui donne envie de réécouter quelques anciens vinyles), photographies, bibliographie, etc. Le style est direct, clair et sans fioritures, mais le texte est vivant comme un chorus de jazz et les différents chapitres ouvrent l’horizon en abordant des thèmes divers. Si l’on souhaite résumer tout cela en une seule phrase, il suffit de reprendre celle écrite par le pianiste Michel Herr dans sa préface : « Michel Mainil a méticuleusement retracé son parcours et recueilli ses témoignages inspirants. C’est une mine d’or ». Après « Memories of You », un premier livre dédié au contrebassiste José Bedeur, l’auteur passe le cap de son deuxième essai. Jamais deux sans trois, dit le dicton, mais, en attendant, « La Passion des Notes Bleues », bien documenté, sincère et rigoureux sans être austère, fait partie des belles pages du jazz belge qu’on ne peut que recommander.

Michel Mainil
Richard Rousselet ‐ La passion des notes bleues
Bossa Flor Editions

272 pages
25,00 €

Retrouvez la playlist consacrée à Richard Rousselet et inspirée par le livre.

En collaboration
avec le magazine DragonJazz

Pierre Dulieu