Mohy / Liégeois / Gerstmans : Sessions de nuit

Mohy / Liégeois / Gerstmans : Sessions de nuit

Ce n’est pas un trio comme les autres : c’est une famille qui, en période hors covid, se réunit à L’An Vert à Liège, pour des « slow sessions » avec ou sans invités et durant lesquelles ils relisent des standards du jazz. De ces sessions est né un disque composé essentiellement par Pascal Mohy (huit titres) avec une composition de Quentin Liégeois. Rencontre avec le pianiste et le guitariste.

Mohy ‐ Liegeois ‐ Gerstmans © Dominique « Goldo » Houcmant

«Le jazz, il faut tomber dessus. A priori quand tu nais en 1980.» Quentin Liégeois

Comment avez-vous débuté la musique ?
Quentin Liégeois : On pourrait appeler cela l’apprentissage sans goût… Tu te mets à la musique parce qu’on te met à la musique. J’ai vraiment commencé à être attiré par la musique quand j’ai découvert le jazz. C’est venu par Pascal et son père. J’étais à l’école avec Pascal, il y avait plein de disques chez lui et je repartais avec quelques trucs. Le jazz, il faut tomber dessus, a fortiori quand tu nais en 1980.

Comment avez-vous découvert le jazz ?
Pascal Mohy : Par le boogie-woogie, je trouvais ça sympa. C’était pas trop loin du blues, du jazz, alors du coup ça s’est fait comme ça…

Vous êtes tous les trois liégeois mais vous choisissez de faire vos études à Bruxelles.
Q.L. : On voulait faire le Conservatoire de jazz, mais il n’y en avait plus à Liège. Il y avait moyen de jouer à Liège, il y avait des lieux, mais pas pour apprendre. On a connu la fin du Lion S’Envoile où on a vu Dewey Redman avec Leon Parker, on avait environ seize ans.

Vous aviez un quartet qui a joué notamment au « Jazz à Liège » avec Marc Demuth et Max Silvapulle.
P.M. : Oui, c’est le premier quartet, puis Sam a remplacé Marc qui étudiait à La Haye, ça devenait compliqué d’autant qu’il est parti en Erasmus à Barcelone par la suite.

Pascal, entre ton premier disque « Autumn 08 », sorti chez Igloo en 2009 et celui-ci, pourquoi as-tu attendu si longtemps ?
P.M. : Je n’en n’avais peut-être pas trop envie… Je ne sais pas… Finalement, c’est l’occasion qui fait le larron… J’aurais peut-être pu en faire dix !

«Ce que j’aime dans le côté « travail à l’ancienne », c’est qu’on a créé des automatismes, bons ou mauvais, en jouant des standards.» Quentin Liégeois

Votre disque va un peu à contre-courant de ce qui se fait beaucoup maintenant : on compose, on répète, on entre en studio, puis seulement on se produit sur scène. Vous avez maturé le projet en jouant longtemps à L’An Vert dans ce qui s’appelait les « slow sessions ».
Q.L. : Oui. Pour le côté maturé, je mets une petite réserve : la musique du disque, les compositions de Pascal, on les a travaillées puis enregistrées. Ce que j’aime dans le côté « travail à l’ancienne », c’est qu’on a créé des automatismes, bons ou mauvais, en jouant des standards. En jouant les compositions de Pascal, il y a des choses qui interagissent et qui sortent d’une musique inspirée des standards. Mais ça sonne autrement, ça nourrit de jouer la musique qu’on aime bien. Au départ, c’est un groupe de travail qui a joué pour apprendre la musique, puis qui a joué selon les opportunités. Comme Pascal le dit : « l’occasion fait le larron ». On ne s’est jamais mis en avant jusqu’à aujourd’hui parce qu’on était tous dans des projets, comme Pascal avec Melanie de Biasio. Et puis le moment s’est présenté et c’était super.

Mohy ‐ Liegeois ‐ Gerstmans © Dominique « Goldo » Houcmant
Sam Gerstmans © Didier Wagner

Vous avez eu longtemps une expérience à trois avec les « slow sessions » de L’An Vert.
P.M. : Tout à fait, et le disque c’est comme une session, mais jouée chez moi. Dans la foulée de ce qu’on faisait à L’An Vert. On a fait ce répertoire qui n’était pas une musique qu’on jouait depuis cinq ans.

«J’aime bien jouer des standards en « Slow sessions » et de jouer une musique personnelle sur disque.» Quentin Liégeois

A travers les compositions de Pascal, vous êtes restés dans l’esthétique de ce que vous jouiez en « slow sessions ».
P.M. : C’est plutôt l’influence des formes simples. Quand je composais, je m’imposais d’écrire des choses simples, pas simples à jouer, mais un matériau comme des standards, et c’est pas parce que c’est simple que c’est facile à jouer. C’est un matériau simple de compréhension au départ. C’est ce que je voulais faire, des « ABA », des seize mesures, des huit mesures… Ça rentre vite dans l’oreille et entre nous, on se passait de partitions, comme pour un standard finalement. Quand on joue dans un groupe, on se retrouve parfois avec une ribambelle de partitions faussement compliquées qui souvent te bloquent. C’est un peu : « comment faire compliqué quand on peut faire simple ». Je voulais un truc simple. Quand tu écris une composition, elle peut vite partir dans tous les sens.
Q.L. : On est fort inspiré par le jazz des années 60. Moi, par exemple, j’adore le Miles Davis de ces années-là, cette époque où il joue des standards sur scène et où il n’enregistre que des compositions sur disque. Quand tu y penses, c’est hyper-détendu de faire les choses ainsi : quand tu as quelque chose à dire, tu en fais une galette, et quand tu es sur scène, tu joues une musique qui fait vibrer le public parce qu’il connaît les standards. J’aime bien de jouer des standards en « slow sessions » et de jouer de la musique personnelle sur disque. Et Pascal a un peu fait ça. Il y a tellement de belles versions de standards… Parfois le prologue, l’outro ou l’épilogue d’une composition de Pascal fait penser à un morceau connu. C’est un peu comme si il voulait faire référence à la musique qu’il aime, tout en restant très personnel.

Comme avec « In the Red » qui fait penser à Red Garland ?
Q.L. : Tout à fait.

Le chassé-croisé piano/guitare de Bill Evans et Jim Hall sur « Undercurrent », on le retrouve un peu sur « Wet Sun » ?
P.M. : Nous, on l’a beaucoup écouté et si il y a des passages qui te font penser à ce disque, c’est flatteur. A force d’écouter ce genre d’album, on en chope toujours un petit bout pour le rendre à notre manière.

«Si ta mère a un accent liégeois, à force de l’entendre, tu auras aussi l’accent liégeois.» Pascal Mohy

Le jazz est aussi une musique de citations. Ici, on peut parler de re-créations.
Q.L. : Si tu aimes le jazz, en écoutant ce disque tu peux trouver toute une série de références. Ce qu’on peut espérer, c’est qu’on y sente la sincérité du compositeur. J’espère qu’en écoutant le disque, on ressent une chouette émotion.
P.M. : C’est une musique qu’on entend comme ça. Si ta mère a un accent liégeois, à force de l’entendre tu auras l’accent liégeois !

Mohy ‐ Liegeois ‐ Gerstmans © Dominique « Goldo » Houcmant

«C’est très passionnant d’appendre à mixer, ne pas seulement être musicien et interprète.» Quentin Liégeois

Dans le disque on sent l’esprit famille. Et sur la pochette, on lit d’ailleurs « enregistré à la maison ».
P.M. : C’est enregistré dans mon salon sur mon piano, il y a deux grosses caisses avec de la laine dedans et quelques rideaux. A la base, c’est moins cher d’enregistrer chez soi…
Q.L. : On est à une époque où c’est assez facile de faire les choses chez soi sur le plan pratique. C’est très passionnant d’apprendre à mixer, ne pas être seulement musicien et interprète. Si tu n’as pas besoin d’une production particulière, tu as un résultat super. Tu y ajoutes la phase de confinement… Il y a une démarche à garder pour le futur.

La photo de la pochette et le titre de l’album ?
P.M. : C’est En Roture. On voulait une photo de Goldo, je la trouvais chouette. 53 c’est le numéro de ma maison.

Et le titre « Green Book », un lien avec le film ?
P.M. : Non, je n’ai pas vu le film. Les compositions de l’album ne sont pas dans mes cartons depuis dix ans. Quand on a décidé d’enregistrer, je m’y suis mis et je notais mes idées sur des papiers. Et quand je me suis décidé à compiler toutes mes idées, j’ai acheté un petit livre de partitions, et il était vert. C’est la première fois que je fais ça, mettre de l’ordre dans mes papiers… Maintenant j’ai ce petit livre avec une couverture verte. Il était écrit dessus « Music Book », j’ai barré Music et j’ai écrit Mohy !

Portfolio Sam Gerstmans, signé Didier Wagner, ce samedi 10 juillet dans JazzMania.

Concerts à venir (à vérifier en fonction de l’évolution des mesures Covid) :
25 juillet : Dinant Jazz Festival,
13 août : La Sauvenière ‐ Liège,
28 août : Ham Sessions, Gand,
1er septembre : Pelzer Jazz Club ‐ Liège.

Mohy, Liégeois et Gerstmans
Sessions 53
Igloo

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Claude Loxhay et Jean-Pierre Goffin