Music 4 A While : rencontres

Music 4 A While : rencontres

Music 4 A While : entretienS

Une fois n’est pas coutume, l’actualité discographique, et son influence sur le calendrier des concerts, bouscule parfois les meilleurs plannings et les agendas de nos chroniqueurs.

Jean-Pierre Goffin ET Robert Sacre ont rencontré le pianiste, compositeur et arrangeur Johan Dupont, dans le cadre de la sortie du deuxième album de Music 4 A While, “Ay Linda Amiga”, publié par Igloo Records. Les “release concerts” se dérouleront le vendredi 10 mars prochain à  la Cité Miroir (Liège) et le jeudi 16 mars au Théâtre Marni (Bruxelles).

Fondateur de « Music 4 A While »,Johan Dupont se livre sur son projet, ses influences,sa conception de la musique. Rencontre.

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin

Quelles sont les principales étapes qui ont fait de vous ce que vous êtes en tant que musicien aujourd’hui ?

Au départ, on est déjà tous musiciens dans ma famille; ceci permettait déjà une façon de découvrir la musique au travers d’une transmission orale. Quand j’étais enfant, mon père était organiste dans une église en Gaume, et à partir du moment où j’ai été capable de faire le boulot, il me demandait d’y aller à sa place, ça m’amusait d’accompagner la chorale dominicale, j’ai fait ça de mes onze ans à mes dix-huit ans. Ma mère me chantait les chants de messe dans la voiture avant d’arriver à l’église et je les avais mémorisés pour jouer.

Par la suite, la rencontre déterminante au Conservatoire a été celle avec Garrett List qui a fait le lien entre la technique pure de l’approche classique et l’ouverture d’esprit qui permet de combiner ça avec  l’apprentissage oral. Le fait de travailler professionnellement avec lui à partir de 2007 a élargi mon spectre et m’a permis de rencontrer beaucoup de gens. Au Conservatoire, j’ai aussi rencontré Steve Houben avec qui j’ai commencé une collaboration qui se poursuit aujourd’hui avec « Unfixed »; c’est quelqu’un qui m’a aussi fortement influencé dans mon approche de la musique, c’est un grand improvisateur et, c’est assez paradoxal, mais si il a une approche très intellectualisée de la musique,  il la ressent de façon profonde qui me parle beaucoup. Il est aussi très ouvert. 

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Rendre populaire une musique parfois complexe, c’est un peu une philosophie proche de celle de Garrett que vous appliquez avec « Music 4 A While ».

Bien que je ne pense pas que la musique baroque soit une musique complexe. Je crois que c’est le poids des années qui se stratifie autour de la partition. C’est un peu le paradoxe d’une partition dont on pense qu’elle est le moyen unique d’aborder une musique, alors que cette musique était aussi une musique fort orale. J’ai envie de l’aborder en faisant fi de cet aspect du respect de l’écriture qui la rend peut-être complexe et la coupe de ces racines populaires. 

C’est un peu aussi le principe du téléphone arabe : en travaillant de cette façon là, on va vers l’essentiel. On pourrait faire ça aussi avec du Mozart ou du Bach, c’est juste la manière d’envisager les choses qui est différente. Je pense qu’à cette époque-là,  il y avait beaucoup de gens qui jouaient les pièces de façon différente, d’ailleurs beaucoup de partitions étaient uniquement chiffrées, un peu comme les standards de jazz aujourd’hui. Les gens faisaient un peu ce qu’ils voulaient avec la musique, du moment que l’esprit de base y était. C’est un peu ma façon de travailler aujourd’hui : sur mes compositions, j’aimerais que les musiciens se les approprient et fassent ce qu’ils souhaitent avec. Le respect d’une partition, elle l’est dans l’esprit et l’attitude qu’on adopte face à la musique. Sur le premier album, on m’a un peu reproché de vouloir faire du jazz avec de la musique baroque; ce n’est pas vraiment ça que je veux, ne pas mélanger deux esthétiques différentes. Ce qui donnait peut-être cette impression c’est que dans le premier album, le groupe était tout frais, cela pouvait paraître un peu conceptuel, un peu abstrait, voire didactique. Je trouve que dans le nouvel album, on a atteint un certain degré de maturité qui sonne plus naturel. 

Comment s’effectue le choix des compositeurs ?

C’est une source intarissable. Et je voulais aller au bout de la démarche par rapport au côté conceptuel du premier album dont on a déjà parlé.

Vous avez évité les compositeurs germaniques, Bach, Mozart…

Je ne sais pas pourquoi on n’a pas choisi ces compositeurs. Bach a pris une telle importance… En fait, le choix des compositeurs s’est fait plus en fonction des affinités de la  chanteuse Muriel Bruno qui a un tempérament plus tourné vers le sud, une légèreté dans la voix. 

Elle a aussi fait le tri en fonction des paroles ?

C’est important d’écouter les paroles, qui sont souvent humoristiques. Je pense que c’est intéressant de montrer aussi cette facette d’une musique baroque considérée à tort comme austère. 

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Parmi les invités, le percussionniste prend plus de place que sur le premier album.

On a déjà fait plusieurs concerts avec Stefan Pougin, et j’ai aussi le projet « Unfixed » avec lui et Steve Houben. Son approche des percussions est très mélodique, ce qui est important dans notre projet. J’aime travailler avec des gens avec qui je m’entends, des gens qui comprennent mon approche et sont en empathie avec mon projet. 

On n’a encore rien dit sur la genèse de « Musi 4 A While »

Ce projet est venu d’une carte blanche en 2011 à Chiny. J’étais sensible à cette musique, c’est un peu comme de la pop, comme  Simon & Garfunkel, Angelo Branduardi… Sting a chanté Dowland et on pourrait croire que ce sont des compositions à lui. J’avoue que notre démarche est un peu complexe, surtout parce qu’aujourd’hui il faut classer les choses, mais je suis persuadé qu’un programmateur de festival qui a une ouverture d’esprit peut aussi bien programmer « Music 4 A While » dans un festival classique ou jazz, ou autre… Mais moi, j’ai envie que ça se passe comme ça, je n’ai pas envie de me conformer à un genre en particulier pour être diffusé, je trouve que c’est une mauvaise logique. Peut-être est-ce aussi une question de temps, les gens découvriront notre musique dans dix ans… 

Beaucoup de jeunes musiciens liégeois sont aujourd’hui dans une démarche musicale originale et créatrice. Y a-t-il aujourd’hui ce qu’on appelait une « école liégeoise » émergente comme on le disait à l’époque des Cassol, Debrulle, Massot… ? Et comment l’expliquer ?

Il y a un phénomène liégeois qui est que c’est une ville fort influencée par le monde extérieur, elle est très perméable et cela favorise l’émergence de choses qui viennent de nulle part. Il y a l’influence de Garret, c’est une chose, mais les gens sont aussi moins tournés vers des références. Si on veut aller dans une école de jazz, il faut aller à Bruxelles. En restant à Liège, on fait plutôt un parcours d’improvisateur. Avec Jean-François Foliez (clarinettiste de Music 4 A While), c’est un peu comme ça que ça fonctionne : il va à la recherche de gens, mas il reste sur sa ligne à lui, comme Manu Baily (guitare) ou Adrien Lambinet (trombone) qui, si je ne me trompe, n’a pas suivi de cursus jazz, mais qui va à la rencontre de gens qui l’intéressent, pour développer son jeu qui n’a rien à voir avec un jazz mainstream, qu’on entend à Bruxelles ou Paris où les choses sont peut-être plus codifiées qu’ici. Il y a toujours eu un esprit liégeois, c’est bizarre. 

Tu as évoqué « Unfixed », le trio avec Steve Houben et Stephan Pougin : que devient-il ?

Le projet est toujours en marche, on rejouera au Gaume cette année. L’an passé, on était partis de standards et de compositions de Steve principalement. Je crois que cette année on ira progressivement vers des compositions originales. Il faut trouver le temps pour tout cela… Pour l’instant, je joue aussi avec Sacha Toorop, un tout autre univers… mais c’est ce qui me plaît dans la musique, confronter différentes choses, mélanger différents univers, je trouve ça intéressant pour ne pas être classé dans un tiroir. 

Martin Lauwers - Johan Dupont - Muriel Bruno - JF Foliez - André Klenes

Robert Sacre a quant à lui rencontré Johan Dupont et son complice le clarinettiste Jean-François Foliez, dans le cadre de son émission radiophonique Crossroads. Extraits.

Jean-François Foliez : Le premier album de Music 4 A While est paru en Juillet 2013 et on a enregistré “Ay Linda Amiga” avec le même quintet, la chanteuse Muriel Bruno, André Klenes à la basse, Martin Lauwers au violon, Johan Dupont piano et trompette, moi à la clarinette et des guests comme Stephan Pougin (percussions), Adrien Lambinet (trombone)  et aussi trois membres du groupe Xamanek  dans le titre éponyme : Luis et Sergio Pincheira au chant et César Guzman au charango.  C’est Johan qui a fait tous les arrangements et c’est sa vision personnelle de la musique. Johan a pris des thèmes de musique baroque et c’est Muriel Bruno qui lui a insufflé l’idée au départ. Pour Johan, il s’agit de chansons, c’est souvent surprenant de constater ce qu’il peut faire à partir de ces compositions !

On a tous fait un travail de fond. On a travaillé sur ce projet près de 5 ans et on s’est réunis chaque semaine pour répéter. Finalement, cela a créé un son de groupe, à force de  se voir autant et de travailler autant ensemble. Notre but n’était pas d’aller puiser dans un répertoire de musique classique. Quand on essaie de mixer des styles, ce n’est pas toujours vraiment réussi. Ici, on a pris des chansons de musique baroque comme on aurait pu prendre n’importe quel thème musical, n’importe quel standard et Johan s’en est servi comme base harmonique. Il y a les textes aussi, on s’est servi de cela, mais on n’a pas essayé de mixer ou de rentrer dans des clichés. On a essayé de faire tout ça de la manière la plus naturelle et la plus sincère possible.

Johan Dupont : Sur le morceau éponyme Ay Linda Amiga, attribué à un anonyme espagnol du 16e sicèle, par exemple, je voulais qu’il y ait un chœur. J’avais dans la tête les deux frères Luis et Sergio Pincheira du groupe Xamanek, pour qu’ils viennent faire un background vocal sur la voix de Muriel. Ils m’ont alors spontanément proposé César Guzman qui est venu agrémenter le tout avec son charango qui est une sorte de luth traditionnel, pour donner une couleur encore plus sud-américaine à ce morceau-là. Oui, il y a une belle variété de thèmes. J’ai arrangé tous les morceaux, entre autres les deux morceaux écrits par Henri Purcel , Dido’s Lament et Mock Marriage ( ‘Twas Within A Furlong Of Edinborough Town) sur une idée de Thomas d’Urley (1695). Sur ce titre, on m’entend aussi à la trompette, avec Muriel, André Klenes, Martin Lauwers et Jean François ainsi qu’Adrien Lambinet au trombone. Non, ce n’est pas moi qui ai choisi tous les titres, on travaille beaucoup en collectif et, en général, c’est la chanteuse, Muriel Bruno, qui propose le répertoire et on sélectionne ensemble ce qui nous parle le plus. En général, le choix des morceaux est assez rapide. Il y a des morceaux qui me touchent plus que d’autres et c’est décidé assez vite… ah oui, celui-là on va le faire, il me plait bien.. et c’est comme cela qu’on travaille. Tous ces morceaux font partie de ce qu’on appelle la musique ancienne, c’est un peu le concept du projet, déjà le titre Music 4 A While, c’est le titre d’une chanson fort connue de Purcell. C’est un peu le fil rouge de ce groupe : reprendre des chansons de l’époque Baroque, Renaissance, même parfois un peu Médiévale et de les réarranger, de montrer, à travers ce projet-là, que 300 ans, ou plus, sur l’échelle musicale, à l’échelle humaine, ce n’est, finalement, pas grand-chose. J’ai toujours été attiré par cette musique-là, parce que j’y retrouve des harmonies que j’entends dans des morceaux de Brassens, par exemple, ou de Gainsbourg, même de Johnny ou de Jean-Jacques Goldman ou peu importe… Moi, j’entends des choses qui sont très anciennes en réalité, je pense que le temps n’a pas d’incidence là-dessus. En fait, cela n’a de baroque que pour ce qu’on en fait, c’est plutôt la manière dont on va la traiter qui fait que cette musique est baroque ou pas. Il y a aussi des titres qui sonnent un peu plus jazz, d’autres qui sonnent plus easy-listening, mais avant tout je voulais traiter cela comme de la chanson, en respectant l’idée originale du compositeur et en y mettant ma patte personnelle, donc en l’actualisant, comme pour Je Vivroie Liement de Guillaume de Machaut qui a vécu entre 1300 et 1377, les deux titres de John Dowland ( 1603)  The Lowest Trees Have Tops et Shall I Sue et encore Chiome D’Oro de Claude Monteverdi (1619), etc .

JF Foliez : ce qui est génial avec Johan, c’est qu’en répétition, il peut écrire 3 ou 4 voix, comme cela, sur l’instant, et il peut le faire avec de la drum base et de la techno qui passe derrière, il le fait sans problème et c’est assez impressionnant… En répétition, il peut finaliser un arrangement qui va sonner directement et cela m’impressionne beaucoup, il déborde d’idées !

J.Dupont : oui, mais je fonctionne un peu par flashes, ce sont des idées qui me viennent comme cela et j’ai besoin d’aller au bout de chacune d’entre elles, quand cela arrive… Mais parfois, je peux aussi rester quelques jours sans en avoir, donc, dans ces cas-là, je ne fais rien, j’attends… mais ça revient toujours, je n’ai pas encore la peur de la page blanche.

JF Foliez : Je joue sur tous les morceaux, parfois plus en avant, d’autres fois plus en retrait, mais je suis là sur chaque titre; on reste sur la formule de base, le quintet, chaque membre participe à chaque morceau, les guests eux n’interviennent qu’ici et là.

J.Dupont :  Muriel Bruno ? On s’est rencontrés au Conservatoire Royal de Liège quand j’étais étudiant. Elle travaillait là-bas, et on s’est réunis autour de cette musique baroque qui m’attirait aussi depuis un bon bout de temps. Javais envie d’explorer cette musique-là, et Muriel a fait la transition, en proposant un répertoire, en me disant que cela faisait longtemps qu’elle avait envie de travailler sur cette période musicale. Cela s’est fait comme ça.      

Music 4 A While : Early Music In A Modern Way (2014)