Nina Simone : Nina’s Blues 1959-1962

Nina Simone : Nina’s Blues 1959-1962

Frémeaux et Associés ‐ Référence catalogue : FA 5807

A mon humble avis, Eunice Kathleen Waymon a.k.a. Nina Simone (1), née en février 1933 à Tryon en Caroline du Nord et décédée en France en avril 2003, fait partie du top 10, voire du top 5, des plus grandes chanteuses / pianistes africaines-américaines de son temps. Ses enregistrements ont été, en partie, réédités dans diverses collections, mais dans le désordre. Ce sont des compilations puisant ici et là dans les concerts enregistrés et dans les séances de studio. C’est peut-être le moment de penser à le faire dans l’ordre chronologique ?

Patrick Frémeaux et ses collaborateurs ont fait le premier pas dans la bonne direction. Entre 1959 et 1962, Simone a enregistré 7 albums, dont 3 «live» et quelques 45 tours. Les voici réunis dans un coffret de 4 Cds avec un livret très bien documenté, illustré et écrit par Olivier Julien (il ne manque que la liste complète des musiciens accompagnant Nina Simone tout au long des 77 faces).

Tout commença en 1959 avec un 33 tours Bethlehem Records SCP6028 intitulé « Little Girl Blues » (1) et d’emblée elle y déploie une force émotionnelle hors normes, une délicatesse dans la voix et une diction impeccable. Un timing sans faute et une justesse dans son jeu de piano doublée d’un swing dévastateur qui ne se démentiront plus jamais par la suite. On y retrouve un « Love Me or Leave Me » bien enlevé, un « Good Bait », slow et bien syncopé, un très beau blues instrumental « Central Park Blues » et déjà un hit, « My Baby Just Cares for Me » qui fut repris, tel quel, en 1987 par Ridley Scott pour illustrer musicalement une publicité pour Chanel n°5 et lequel, ressorti en single, devint un hit mondial et assura à Nina Simone une notoriété plus que méritée.

En 1959 toujours, mécontente de la promotion lacunaire de Bethlehem, elle passa chez Colpix Records et grava 2 LPs : Colpix SCP 407 « The Amazing Nina Simone » et Colpix SCP 409, un live, « Nina Simone at Town Hall ». Le premier est très jazzy, avec des classiques du genre (« Stompin at the Savoy », « Willow Weep for Me », …), mais aussi un gospel en tempo vif (« Children Go Where I Send You ») et « You’ve Been Gone too Long », un excellent blues syncopé, en medium, boosté par une section cuivres au top et composé par John Sellers.

Au Town Hall, Simone donne libre cours à une fougue festive et à une fantaisie roborative, avec 4 faces instrumentales dont un « Return Home » fougueux et enlevé, mais aussi un « Cotton Eyed Joe » bluesy en tempo lent, un ironique « You Can Have Him » où sa gouaille fait merveille, et elle conclut avec une belle version du « Fine and Mellow » de Billie Holiday.

En 1960, paraît son 3è album Colpix (SPC412) « Nina at Newport », un live qui démarre avec une version intense du blues « Trouble in Mind » et se poursuit avec « Blues For Porgy », en version slow blues introverti et dramatique (I’m changing my style…). Manifestement à l’aise et contente d’être sur cette scène prestigieuse, c’est avec un fou-rire et une franche rigolade qu’elle introduit « Little Liza Jane », un air traditionnel traité de façon frénétique et festive. A noter encore « Nina’s Blues », un blues instrumental syncopé, en médium et « In The Evening by the Moonlight » une sorte de farandole enjouée et virevoltante.

En 1961 paraît « Forbidden Fruit » (Colpix CP419) avec des chansons dont le thème principal est l’amour. Il faut dire que c’est l’année de son mariage avec Andrew Stroud, un policier new-yorkais. Le titre éponyme est enjoué, complice et… coquin. Le « Work Song » de Oscar Brown est mené tambour battant et Simone donne une belle version en medium du blues « Gin House Blues » de Bessie Smith.

En 1962, elle enregistre un 5è album pour Colpix, « Nina Simone Sings Ellington » (SCP423)… tout est dans le titre. Elle y donne ses versions vocales de classiques du Duke (sauf un instrumental « Satin Doll ») déployant sa grande maîtrise du piano et la précision de ses modulations vocales avec « Hey Buddy Bolden » et « You Better Know It » rondement menés tous deux et avec un « Merry Mending » aux accents mozartiens (2).

La même année sort un live « Nina Simone At The Village Gate » (Colpix SCP421). Le concert est riche en ballades jazzy sur tempo lent (quoique « Bye Bye Blackbird » démarre en slow puis change de rythme) et en conclusion, Simone reprend le gospel « Children Go Where I Send You » déjà enregistré en 1959, mais ici elle en donne un version plus longue (7’47’’).

Le CD 4 du coffret offre aussi l’occasion de découvrir 7 faces n’ayant été disponibles qu’en singles, dont « African Mailman » (Bethlehem, 1960), un instrumental au rythme africain bien scandé, ludique et guilleret, une face gospel « He’s Got the Whole World in His Hands » (Bethlehem,1960) sur tempo lent avec foi et dévotion, une belle version de « Nobody Knows You When You’re Down And Out » (Colpix 1960) repris, entre autres, à Bessie Smith, et aussi un savoureux « Come On Back Jack » (Colpix,1961) qui est la parodie géniale du « Hit the Road Jack » de Ray Charles, version féministe en contre-pied, avec chœur mâle, en opposition à Charles et ses Raelets… Et, pour finir, une composition personnelle de Simone, « I Want a Little Sugar in My Bowl » (Coplix,1962) érotique, à double-entendre où fait merveille la voix suggestive, canaille et aguichante de la chanteuse. Quatre Cds à savourer de bout en bout sans modération.

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(1) Nina = Little Girl – Petite Fille et Simone en hommage à Simone Signoret vue dans le film « Casque D’Or ».

(2) L’éducation musicale de Nina Simone a commencé par des chants religieux à l’église (sa mère était Pasteure) et par une formation classique très poussée. Elle rêvait de devenir la première concertiste classique noire américaine et s’y prépara sans ménager sa peine à la célèbre Julliard School Of Music, mais elle fut refusée à l’Institut Curtis, victime de la ségrégation raciale.

Ce dimanche 7 novembre sur notre site, retrouvez à nouveau Nina Simone avec la biographie que Frédéric Adrian (Le Mot et le Reste) lui consacre.

Robert Sacre