ONJ, Concert anniversaire 30 ans
Orchestre National de Jazz,
Concert anniversaire 30 ans
Vous voulez faire un cadeau à un proche, un tant soit peu amateur de jazz ou de création européenne contemporaine, et pourquoi pas penser à vous-même, ce coffret (cédé, dévédé, livret très détaillé) est un must. En 2016, l’Orchestre National de Jazz hexagonal fêtait son trentième anniversaire : 11 grandes formations successives, 10 chefs d’orchestre désignés (le guitariste Claude Barthélemy à deux reprises), la crème des musiciens français, soit plus de 150 férus de jazz mais aussi de nombreux invités européens, italiens comme Stefano Di Battista ou Gianluca Petrella, allemands comme Michael Riessler, britanniques comme Harry Beckett et deux Belges (Serge Plume et, à deux reprises, Phil Abraham), pour un total de 27 albums enregistrés.
Le concert hommage a eu lieu le 2 septembre 2016, dans la majestueuse salle de la Philharmonie de Paris, au sein de la Cité de la Musique. Tous les chefs d’orchestre successifs étaient invités à présenter l’un de leurs thèmes fétiches et à diriger l’actuel ONJ, celui du guitariste Olivier Benoît, avec en complément 7 musiciens du Conservatoire de Paris et deux de l’Académie norvégienne de musique (le dernier album en date n’est autre que Paris-Oslo, quatrième volet du projet européen d’Olivier Benoît), soit un orchestre de vingt musiciens, la taille des premiers ONJ, ceux de François Jeanneau ou Antoine Hervé. Tout cela nous donne un coffret en trois parties : un cédé reprenant les 11 compositions jouées lors du concert; un dévédé qui présente l’entièreté du concert, y compris les présentations et interviews des chefs d’orchestre menées par Arnaud Merlin et un livret hyper détaillé citant les titres joués, le nom des solistes et de tous les musiciens présents au concert mais aussi ceux des 11 ONJ successifs ainsi qu’un commentaire de chaque chef d’orchestre désigné. Le tout ponctué par une discographie complète et de très belles photos. On découvre ainsi 11 compositions reprises à l’un ou l’autre des albums enregistrés. Pour commencer, Jazz lacrymogène de François Jeanneau dans une version plus courte que sur l’album de 1986. Alors que Jeanneau avait dynamité la formule du big band aux sections assez rigides (trompettes, trombones, saxophones) avec sa formation Pandemonium, il revient ici à la structure classique du grand orchestre. Pas de soliste, à noter la présence de Denis Badault au Fender Rhodes.
Deuxième titre, Desert City d’Antoine Hervé emprunté à l’album ONJ 87, avec une intro-impro bruitiste de Sophie Agnel au piano préparé dialoguant avec les cordes pincées du violon de Théo Ceccaldi. L’orchestre développe ensuite un thème digne d’une B.O. de western, avec un lumineux solo d’Hugues Mayot au saxophone alto. Suit Real Politik de Claude Barthélemy qui, de 1989 à 91, a rompu avec la structure traditionnelle en sections figées pour un collectif de musiciens en “miroir” : deux trompettes, deux trombones, deux saxophones, deux guitares, en plus de la sienne, deux basses, deux batteries, piano, accordéon et tuba de Michel Godard. Le bouillant guitariste propose aussi une musique très électrique, avec ici un vertigineux solo de Théo Ceccaldi. Vient ensuite A plus tard, de l’album du même titre, composé par Denis Badault qui, à l’époque, est le premier à accueillir dans l’orchestre une voix (Elise Caron), un violon et un violoncelle. La composition est introduite par un long solo voltigeur d’Elise Caron, mêlant voix et sonorité fébrile d’une flûte. Une musique qui s’ouvre aussi aux sonorités électriques avec le Rhodes de Badault et la guitare d’Olivier Benoît.
Avec In Tempo de Laurent Cugny, qui surfe sur la lignée de son Big Band Lumière, on baigne dans une atmosphère très évansienne, tout en nuances : Cugny a collaboré, à diverses reprises, avec Gil Evans. Mais surprise : alors que l’ONJ de l’époque ne comprenait pas de violon, c’est à nouveau Théo Ceccaldi qui prend un solo fiévreux : preuve de toute l’emprise de ce musicien passionné sur l’orchestre. Pour Out Of, le contrebassiste Didier Levallet, qui à l’époque avait volontairement mêlé différentes générations de musiciens, fait confiance, pour les solos, à deux jeunes musiciens du Conservatoire, Jules Jassef (trompette), Raphael Olivier Beuf (guitare) et au Norvégien Kristoffer Alberts (saxophone).
Arrive ensuite une des plus belles mélodies de la soirée : Argentiera de Paolo Damiani. Tout auréolé de son rôle actif au sein de l’Italian Instabile Orchestra qui regroupait la crème du jazz italien, le violoncelliste avait été choisi pour diriger une formation qui faisait la part belle à la jeune génération : Médéric Collignon, Thomas de Pourquery, Régis Huby, Manu Codjia, Olivier Benoît, Christophe Marguet et Gianluca Petrella. Par précaution, l’Italien avait fait appel à une caution : François Jeanneau au saxophone et à la composition. Fi : l’ami de Barthélemy eut à encourir les foudres de “critiques” franco-français, à la tête desquels on retrouvait André Francis. Damiani présentait pourtant, avec l’album Charméditerranéen, un vrai projet cohérent : un ancrage méditerranéen qui peut tout aussi bien concerner l’Italie que la France (sauf peut-être un certain parisianisme). La mélodie lancinante d’Argentiera est introduite par Paolo Damiani lui-même et propose de beaux espaces de solo à Théo Ceccaldi et Alexandra Grimal au soprano.
Arrêtée avant terme, l’aventure de cet ONJ débouchera sur un deuxième mandat offert à Claude Barthélemy. Là aussi, une toute jeune équipe, avec Médéric Collignon, Geoffroy Tamisier (trompette), Vincent Mascart (saxophone) ou Nicolas Mahieux (contrebasse). Pour la soirée du 2 septembre, le bouillant guitariste a opté pour Oud-Oud, une composition au charme oriental avec son oud, le bugle de Fabrice Martinez, le sopranino d’Alexandra Grimal et, à nouveau, l’alto d’Hugues Mayot. C’est un vibraphoniste qui succèdera à cette équipe : Franck Tortillier, fort de son passage au sein du Vienna Art Orchestra. Très intéressé par la musique populaire, le vibraphoniste, principal soliste avec Luca Spiler au trombone, a opté pour sa virevoltante Valse 2. De 2008 à 2013, l’ONJ a accueilli à sa tête, non pas un instrumentiste, ni un compositeur, mais un directeur artistique : Daniel Yvinec qui a emprunté ses répertoires à divers univers, du chanteur Robert Wyatt au tango de Piazzolla. Ici, c’est une mélodie très prenante, parce que facile à retenir en mémoire, Shipbuilding qui a été choisie : elle chantée par Yael Naïm.
Pour clore la soirée et donc l’album, retour à un vrai projet cohérent : une célébration de l’Europe, au travers de grandes capitales (Paris, Berlin, Rome, Oslo…pas Bruxelles à l’image de l’absence de tout projet culturel d’envergure dans notre “plat” pays : nos ministres préfèrent Tomorrow Land). C’est Paris V du premier cédé qu’Olivier Benoît a choisi : une musique trépidante, avec des motifs obsessionnels, un univers hypnotique, véritable rampe de lancement pour un nouveau solo fiévreux d’Hugues Mayot. Bref, voilà un voyage au travers de dix personnalités, mais avec une constante : la parfaite cohérence de l’équipe d’Olivier Benoît, à laquelle se sont magnifiquement intégré les musiciens du Conservatoire et ceux de l’Académie d’Oslo. Une évidence aussi la riche personnalités des solistes, notamment Hugues Mayot à 4 reprises et, à 3 reprises, un Théo Ceccaldi omniprésent, en témoignent les images du dévédé qui montrent à quel point il vit intensément la musique.
Claude Loxhay