Orchestra Vivo, le tout est plus grand (1)

Orchestra Vivo, le tout est plus grand (1)

Une fois n’est pas coutume, nous republions cet entretien, en deux parties, en hommage à Garrett List, décédé ce vendredi 27 décembre 2019.

Orchestra ViVo : « Le tout est plus grand… que la somme de ses parties »

Cette maxime empruntée à Aristote est aussi le titre du double dévédé que l’Orchestra ViVo vient de publier pour le compte de l’ASBL liégeoise World Citizens Music.
Selon Garrett List, le concepteur/Directeur artistique de cet orchestre, il ne faut surtout pas réduire la pensée du philosophe grec à une banale anomalie arithmétique… En vérité, cet aphorisme est avant toute chose une leçon de vie qui s’applique aussi bien aux êtres humains qu’aux musiciens du ViVo.Mais nous voulions en savoir tellement plus !
Quelques jours avant le concert donné au Manège Fonck de Liège pour célébrer la sortie de ce dévédé, Jazz Around a rencontré le compositeur américain chez lui. Manu Louis (compositions, chant et guitare) assistait activement à notre conversation depuis Valencia (Espagne)… Merci Skype !

Orchestra Vivo en concert au Manège Fonck

(10 février)

C’était une gageure de réunir près de trente musiciens (venus d’horizons divers) pour une soirée exceptionnelle qui, on l’espère, en appellera beaucoup d’autres dans les saisons à venir… Si la sentence « (The Whole Is Greater than) The Sum of Its Parts » se vérifie, l’espace disponible sur la (néanmoins) grande scène du Manège ne suffira pas… Finalement si : le piano, la batterie, la contrebasse, les cordes, les cuivres et les chanteurs trouvent aisément place, dans un schéma préétabli et, il faut le souligner, avec une très belle maîtrise du son. Par contre, les organisateurs ne s’attendaient sans doute pas à un tel succès populaire. On a distribué un (tout petit) peu trop de tickets. Certains spectateurs trouvent refuge dans les escaliers qui mènent aux gradins… Nous nous en réjouissons tous finalement… Ce succès, l’Orchestra ViVo ne le doit qu’à lui-même, et au travail de sape effectué dans l’ombre du tutti par quelques bonnes âmes animées par la passion.. Outres les compositions que l’on retrouve sur le dévédé, nous aurons également droit à quelques extraits du cédé paru sur le label Igloo il y a quelques années. L’Orchestra pioche allègrement dans ce vaste répertoire pour alterner les styles (le swing façon Broadway, le jazz, la musique de chambre, la chanson, la musique pop, …) et les chanteurs (dont Sacha « Zop Hopop » Toorop en guest). Les musiciens s’en donnent à cœur joie dans les variations, sous la direction (quoique…) d’un Garrett List qui règne en qualité de maître de cérémonie, mais qui sait aussi se faire discret lorsqu’il s’agit de céder le relais à un soliste (Jean-François Foliez, Adrien Lambinet, Johan Dupont) ou à un chanteur. Visiblement, musiciens et spectateurs (qui en redemandent…) y ont trouvé mieux que leur la somme de leurs comptes…

Entretien chez Garrett List

(06 février)

Garrett, pour quelles raisons avez-vous créé l’association World Citizens Music dans un premier temps, et l’Orchestra ViVo ensuite ?

Notre Monde dysfonctionne… Nous souhaitons soumettre des sujets de réflexion aux gens qui nous écoutent; contribuer au renforcement des relations qui existent entre l’art et le Monde dans lequel nous vivons. Notre répertoire porte un message, parfois très spécifique en ce qui concerne mes compositions. Grâce au format court (par exemple, des chansons de quatre minutes), et grâce au vaste éventail de styles musicaux que nous utilisons, ce message devient accessible pour tous…

Cet éclectisme dont vous parlez contribue à la richesse du projet ?

Exactement ! Celui qui s’intéresse à la musique classique contemporaine remarque que généralement, le compositeur laisse à d’autres le soin d’interpréter sa musique… Nous travaillons différemment. Dans l’Orchestra ViVo, on y rencontre des compositeurs/auteurs/interprètes d’horizons divers… Nous sommes les vecteurs de notre propre message.

Manu Louis : nous jouons une musique créative qui, si possible, doit donner au public qui l’entend l’envie de créer à son tour.

G.L. : il faut rendre la confiance aux gens, leur montrer qu’ils ont eux aussi la capacité de le faire… Les gens ont peur de créer.

C’est ce que vous appelez la « nouvelle musique populaire » ?

G.L. : oui, mais l’expression « musique populaire » provoque un malaise, y compris au sein même de l’Orchestra… Si notre musique était si « populaire », nous vendrions des milliers de disques et nos concerts afficheraient « sold out » (nous sommes à quelques jours du concert. Garrett List s’attend à ce que le Manège Fonck ne soit pas rempli… Il se trompe… – NDLR). Le mot « populaire », au sens où je l’entends n’a aucune connotation commerciale. En vérité, il faut le situer dans un contexte de « communication avec le public ». Il devrait en principe s’agir d’un objectif à atteindre pour tout artiste. J’ai décidé de quitter l’avant-garde il y a quarante ans pour cette raison. Mais il m’en a fallu vingt pour y arriver. La musique contemporaine est écrite par des compositeurs qui communiquent avec un langage volontairement incompréhensible pour la grande majorité des gens ! Il existe des exceptions, de belles compositions récentes qui touchent un grand public (il cite la troisième symphonie du compositeur polonais Henryk Gorecki, nous enchaînons avec Arvo Pärt – NDLR).

M.L. : la « musique populaire » a une signification différente selon l’angle depuis lequel on l’aborde. L’Orchestra ViVo est un orchestre de configuration « classique »… Mais, en ce qui nous concerne, nous utilisons des matériaux qui sont en principe interdits, voire tabous, au niveau de la musique contemporaine : le groove, le format chanson et la mélodie. Par contre, les musiciens qui proviennent du milieu « pop » ne voient pas en quoi notre musique sonne « populaire ». Les musiciens de jazz nous comprennent sans doute mieux car eux-aussi, en dehors des standards, sont les interprètes de leur propre musique. C’est d’ailleurs dans ce milieu-là que nous sommes le plus souvent accueillis ou associés. En vérité, nous fonctionnons comme un « big band » avec un son occidental.

Garrett semble vouloir mettre l’accent sur les improvisations… Ça doit être particulièrement complexe d’improviser au sein d’une formation aussi fournie ?

G.L. : je ne pense pas que je mets un accent particulier sur les improvisations. Il y en a, de différentes sortes, parfois collectives. Mais il y a surtout un canevas d’ensemble à respecter. Pour les improvisations proprement dites, on peut compter sur le talent des solistes.

Quelle est la liberté d’action dont chaque musicien peut jouir au sein de la formation ?

G.L. : je ne parlerais pas de « liberté ». J’évoquerais plutôt « l’investissement » de chaque membre de l’Orchestra ViVo, qui contribue à la création d’une musique qui n’a encore jamais été entendue. Nous avons un son particulier. J’ai beau écouter beaucoup de choses, je ne rencontre ce son-là nulle part ailleurs…Pour y arriver, nous avons d’ailleurs dû solutionner certains problèmes techniques…

Yves « Joseph Boulier » T. 

Reportage photographique de Diane Cammaert