Pépites #9, around jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Stein Urheim & the Cosmolodic Orchestra,
Utopian Tales
… et la Norvège n’en finira donc JAMAIS de nous envoyer ses musiciens de jazz valeureux ! Après tant d’autres, au tour du guitariste/chanteur/bassiste/percussionniste/et cætera Stein Urheim d’envahir nos contrées. Bon, pas tout à fait un inconnu non plus : Stein Urheim a déjà enregistré une dizaine de disques sous son nom, ainsi que quelques duos avec la chanteuse Mari Kvien Brunvoll (présente ici). On le retrouve aussi ça et là au générique de quelques albums produits par les labels Jazzland et Rune Grammofon, notamment pour le compte de Gabriel Fliflet (encore un Norvégien). Tout ceci nous donne une idée déjà un peu plus précise de ce qui nous attend. Mais si vous aimez les découvertes (puisque vous lisez ces « pépites »), vous aimez aussi les références claires (on ne stigmatise pas un musicien nordique aussi facilement). Et elles sont nombreuses. La palette sonore de Stein Urheim est aussi riche que vaste. Pour le fond, ce disque hétérogène et aventureux s’inspire de la littérature de science-fiction (les contes d’une communauté norvégienne). Pour la mise en forme musicale, on citera Vini Reilly (« Ustopia – Part One »), le Floyd psychédélique du début des seventies (« Just Intonation Island », « Ustopia – Part Two »), ou encore le Miles de « Bitches Brew » (« Trouble in Carnaticala »). Rien que des beaux noms en somme !
Jahwar, Winrah Marah
L’homme est né dans la banlieue de Tunis, bercé par les musiques de Oum Kalsoum et de la star nationale, Anouar Brahem. Aujourd’hui, il partage son existence entre sa ville natale et la Belgique. Et entre les disciplines. Un premier album en anglais («When Rainbows Call, My Rainbows Fly ») rencontre un succès inattendu qui le déstabilise. Les Inrocks lui consacrent un article dithyrambique en le comparant à Nick Drake (rien que ça!). Jahwar Basti (pour être complet) se dit « peu préparé au monde professionnel de la musique » et s’en retourne quelques années à ses premières amours : le théâtre. Bien vite rattrapé par le virus du chant, Jahwar revient avec un premier album «Qibla Wa Qobla » (2013) suivi du tout récent « Winrah Marah » qu’il interprète cette fois en arabe (de Tunisie). Ses chansons folks sont douces et mélancoliques, mais les thèmes abordés peuvent fâcher certains grincheux. Le radicalisme, la pression sociétale (« Winrah Marah » raconte l’histoire d’une femme qui s’invente un fils pour échapper aux préjugés) ou encore la dépression post-printemps arabe qui frappe le peuple tunisien, sont des sujets développés en filigrane. Tout en légèreté et en délicatesse (comme une chanson de Nick Drake, en effet) Jahwar mixte ses origines (le Chaâbi) aux nôtres pour un résultat à la fragilité charmeuse. A découvrir en concert : le dimanche 24 juin au Musée de l’aviation (Fête de la musique, Parc du Centenaire à Bruxelles); le dimanche 1er juillet (Copacabana Festival à Gand) et jeudi 2 août (Micro Festival à Liège).
Joshua Trinidad, In November
Les plus attentifs d’entre vous l’auront sans doute remarqué, la rubrique « pépites » de Jazz Around est fréquemment alimentée par les disques radicaux et/ou audacieux que le label londonien RareNoise nous adresse régulièrement par-delà la Manche. A la une cette fois, un trompettiste natif de Denver, Colorado, quasiment inconnu en Europe malgré une carrière solo déjà bien remplie (« In November » constitue son septième effort personnel). Pour l’occasion, Joshua Trinidad (puisque c’est de lui qu’il s’agit) s’est entouré de deux excellents musiciens norvégiens (encore!) : le batteur Stale Liavik Solberg (très discret en vérité) et le guitariste Jacob Young. Il a emprunté cette formule (sans basses) peu courante à son mentor et compatriote Ron Miles qui partageait, avec Miles (qui d’autre?) et Lee Morgan ses premières sources d’inspiration dans la musique jazz. A l’écoute de ce « In November » à la beauté ténébreuse, on note clairement chez le trompettiste de nouvelles attirances vers le jazz nordique en tête duquel on ne peut éviter de citer Nils Petter Molvaer. Ici, le ton est apaisé; les moments d’apesanteur mélancoliques succèdent aux silences lourds de sens. La musique harmonieuse de Joshua Trinidad, qui pourrait figurer dans le catalogue ECM, doit s’écouter comme elle s’est jouée : confortablement installé et sans artifices.
Joseph « YT » Boulier