Richard Jones Trio : Angle Shades
Angle Shades (la Méticuleuse est l’insecte schématisé sur la pochette) est le premier album d’un trio de Mancheter, constitué en 2021 juste après la période de confinement, et composé de trois amis de longue date : Richard Jones au piano, Joshua Cavanagh-Brierley à la basse et Johnny Hunter à la batterie. Chaque musicien a apporté sa pierre à l’édifice en composant au moins un thème, mais dans tous les cas la musique a été retravaillée et développée collectivement, de manière à favoriser l’interaction et la créativité de chacun. Ce choix directionnel a aussi conduit à un répertoire homogène et distinct, testé sur des scènes locales avant d’être enregistré en une seule journée de juin 2022, et pour la plupart des titres en une seule prise, dans les Sansom Studios à Birmingham. Le résultat est probant : la musique est fraîche, spontanée et pleine de rebonds. L’improvisation est au cœur de cette musique, comme en témoigne déjà le premier morceau, « Eye’s Regret ». Si la mélodie exposée par le pianiste est au début facile à suivre, elle est vite mise en pièces par une section rythmique fougueuse, agitée et aussi insistante qu’une meute de loups affamés. La musique d’une incroyable dynamique en devient angulaire, soumise à une basse extrêmement mobile et aux polyrythmies d’une batterie incendiaire. On pense au trio du batteur Jim Black, avec Elias Stemeseder et Thomas Morgan, qui constitue d’ailleurs une des références assumées du Richard Jones trio avec le trio norvégien Moskus et le pianiste britannique Liam Noble. Sur « K.H. », le pianiste tempère quelque peu les humeurs de la rythmique pulsative et maintient le cap d’une musique qui reste malgré tout encline à une débordante expressivité, à la marge d’un jazz libre et volontiers véhément. La plupart des titres restants sont marqués par une réjouissante et luxuriante frénésie. Et sur « Thursday Afternoon in Newcastle », le pianiste pousse même la déstructuration encore plus loin, assumant un jeu percussif et éclaté qui renvoie, toutes proportions gardées, au paroxysme d’un Cecil Taylor. Par ailleurs, un morceau comme « 350 Million Herring » confirme bien que le trio est une entité organique mouvante dont les composantes unitaires sont sous l’estompe d’un jeu collectif embrasé qui complète, amplifie et réinvente chaque émancipation personnelle. Cette alchimie quasi constante est à la fois vivifiante et troublante à suivre.
Si « Angle Shades » est sans conteste un album résolument exploratoire, son souffle quasi ininterrompu, sa créativité permanente, sa densité et la haute mobilité de son flux sonore en garantissent une écoute passionnante sans aucun temps mort.