Robert Wyatt : Rock Bottom, UK 1974

Robert Wyatt : Rock Bottom, UK 1974

Virgin / Hannibal

En 1973, l’ex-batteur de Soft Machine se retrouve coincé dans une chambre d’hôtel à Venise où il patiente en cherchant des mélodies sur un petit piano portable, au rythme des clapotis que font les vaguelettes sur les pierres grises. Plus tard, après avoir fait une chute qui le laissera paralysé des deux jambes, il se souviendra des chansons inspirées par la Cité des Doges et adaptera son approche musicale en fonction de sa nouvelle condition. Dans une ferme du Wiltshire, il enregistre en solitaire les chansons qui composent le disque « Rock Bottom » : une voix haut perchée, un piano minimaliste plus frappé que caressé, des percussions sur des objets inusités comme des verres à vin, un tambour d’enfant ou un plateau, des textes qui parlent d’amour mais en expérimentant avec les mots qui deviennent à l’occasion des onomatopées. Il invitera par la suite d’autres musiciens à apporter leur contribution à son œuvre : les bassistes Hugh Hopper et Richard Sinclair, Gary Windo au sax ténor et à la clarinette basse, le Sud-Africain Mongezi Feza au cornet de poche, Fred Frith au violon, Mike Oldfield à la guitare et la voix de sa future femme, Alfreda Benge (Alfie), qui semble omniprésente en filigrane de cet étrange album dont elle a aussi dessiné la pochette. Quant à la production, elle fut confiée à Nick Mason, le batteur du Pink Floyd, qui parvint avec bonheur à agencer les multiples couches sonores en préservant le côté intimiste des compositions initiales (il produira encore d’autres disques pour Wyatt mais aussi pour Gong et Steve Hillage).

Dans ses notes de pochette pour la réédition en CD, Wyatt prend soin d’indiquer que « Rock Bottom » sortit le 26 juillet 1974, date du 21ème anniversaire de l’attaque sur Moncada qui fut la première action menant à la Révolution Cubaine. Clin d’œil de la part du leader socialisant qui enregistra un jour « Little Red Record » en croyant, comme Charlie Haden, que la musique pouvait contribuer à changer les choses. Il existe quelques disques rares qui vous entraînent dans des mondes subaquatiques comme « Swimming with a Hole in My Body » (ECM, 1979) de Bill Connors ou « Seventeen Seconds » (Elektra, 1980) de The Cure. Bien que ces musiques ne se ressemblent guère, elles engendrent la même mélancolie par leur minimalisme dans leurs genres respectifs, une poésie de la flottaison entre deux mondes dont l’un est liquide. La piscine pour Connors, la pluie pour The Cure et la lagune pour Wyatt… Into the water we’ll go head over heel !

En collaboration
avec le magazine DragonJazz

Pierre Dulieu