Robin Verheyen, jazz forte !

Robin Verheyen, jazz forte !

Robin Verheyen, jazz forte !

(c) John ROGERS

« When The Birds Leave », le nouvel album de Robin Verheyen, vient de sortir ce 26 janvier et sera présenté en concert fin de ce mois à Anvers, Bruxelles et Bruges. Avec Marc Copland au piano, Drew Gress à la contrebasse et Billy Hart à la batterie ! L’occasion d’une rencontre avec le jeune et sympathique saxophoniste, aux opinions musicales fortes.

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin

Tu avais à peine 18 ans que je t’ai vu pour la première fois  dans le groupe « Vivaces » de Pierre Van Dormael : te souviens-tu de cette époque comme d’un passage déterminant ?

C’était déjà une période très importante parce que Pierre était quand même un mentor pour moi, quelqu’un qui m’a appris beaucoup, qui m’a aussi parlé de la philosophie de la vie. C’était une grande chance pour moi de travailler dans ce groupe avec lui, mais aussi avec Stéphane Galland qui était le batteur du  groupe. C’est une musique qui m’a inspiré beaucoup par la suite. A cet âge là,  j’étais encore dans une période que j’appellerais d’ « imitation » : tu dois apprendre des maîtres une façon de jouer, mais aussi développer l’écriture, et Pierre a semé les graines qui ont permis de me développer. « Vivaces » reste encore aujourd’hui une des plus belles expériences dans ma vie. 

Où suivais-tu les cours à cette époque ?

J’étais au Lemmens Instituut , Pierre  y donnait cours. Ensuite j’ai poursuivi mes études à Amsterdam, puis à Paris et ensuite à New York. A 15-16 ans, j’ai eu l’opportunité d’aller au Berklee College of Music de Boston, j’avais obtenu une bourse, mais mes parents ne pouvaient se permettre de m’envoyer là-bas. Réflexion faite, ça a été une bonne chose d’y aller plus tard. Berklee est une école extraordinaire, on y apprend beaucoup de choses, mais c’est en même temps une sorte d’usine, ça te développe dans une certaine voie. Alors qu’être ici et avoir la chance de jouer beaucoup avec des musiciens qui avaient un niveau supérieur au mien, ça m’ a permis d’apprendre en jouant tous les jours en concert. Si j’avais été à Berklee à 16 ans, je ne pense pas que j’aurais eu la chance de jouer avec des gens comme Pierre, comme Stéphane…  Aussi, Pierre était allé aux Etats-Unis, il m’apportait la connaissance des deux mondes, ça m’ a permis d’être plus fort dans mes opinions musicales, de développer quelque chose à moi  et par la suite d’aller découvrir toutes les superbes choses que contient la musique américaine, découvrir la tradition sur le terrain. 

(c) John Rogers

Tu as été très tôt attiré par le jazz « live »

On apprend beaucoup dans les écoles, mais c’est sur scène que ça se passe,  qu’on progresse. En jouant  avec des musiciens comme Stéphane Galland, Dré Pallemaerts, tu apprends tous les jours, c’est une expérience que tu ne peux pas remplacer par l’étude dans un Conservatoire.  C’est parfois étrange de rencontrer des étudiants du Conservatoire qui ne jouent pas sur scène, c’est pourtant là que tu apprends. 

Tu passes par Paris avant de partir pour New York : ça ne doit pas être simple de s ‘intégrer dans le milieu newyorkais.

J’ai vécu un an à Paris et je trouvais que les gens étaient plus enfermés dans leur truc qu’à New York.  Là, tu rencontres un musicien  et c’est tout de suite « Let’s play ! », c’est nécessaire d’y être ouvert pour jouer. Tu peux faire un gig avec trois musiciens et parmi eux se trouve peut-être  la nouvelle  star de demain.  Les musiciens américains ont cette ouverture à tout âge, même à 60 ou 70 ans. Quand j’ai rencontré Marc Copland pour la première fois, il avait déjà écouté un disque de moi, celui avec Bill Carrothers –  c’était mon premier disque sur un label réputé, « Pirouet », c’était important, la presse européenne s’est intéressée à ce disque. Cela aide bien sûr, mais si aujourd’hui à mon tour, je dis à Marc que j’ai rencontré un jeune batteur intéressant, il sera tout de suite intéressé pour jouer avec lui. 

Marc COPLAN (c) John ROGERS

Comment s’est passé ta rencontre avec Marc Copland ?

Un jour avec ma femme, on est allé au club « Kitano » dans un hôtel,  Marc y jouait avec Doug Weiss et Bill Stewart, et j’ai vraiment  aimé, on a parlé après le concert. Je l’avais déjà rencontré une première fois au Village Vanguard lors d’un concert de Bill Carrothers  avec Dré Pallemaerts  et Nic Thys.  J’adore ses harmonies, son écoute et j’ai proposé qu’on fasse une session ensemble. Il y a eu directement une connexion entre nous deux et depuis je joue régulièrement avec lui, en duo aussi, on fera sûrement un disque en duo dans les prochaines années…

Qu’est ce qui t’a accroché dans son jeu ?

Quand je veux travailler avec un musicien, c’est souvent suite à un coup de cœur.  Quand Marc joue en accompagnateur c’est quelque chose d’extraordinaire. Il y a des pianistes qui jouent super bien,  mais quand ils jouent derrière un saxophoniste ça ne marche pas toujours, ce ne sont pas toujours des pianistes qui te poussent à faire de ton mieux. Marc  possède ce don, sans doute parce qu’il était saxophoniste au départ, il y a un enregistrement de John Abercombie dans les années soixante où Marc joue du saxophone. 

Billy HART (c) John ROGERS

Tu as joué au Middelheim avec lui, Joey Baron et Gary Peacock : c’était déjà une rythmique hors normes.

Oui, jouer avec cette section rythmique était fantastique. Mais ce qui s’est passé c’est que c’était un mauvais timing : le projet du disque de Gary Peacock chez ECM était en route, il avait 80 ans, c’était son moment et je ne pouvais pas reprendre les mêmes musiciens pour jouer en quartet. Je ne voulais pas être dans le chemin de son trio. Marc et moi avons alors joué pas mal en duo, puis l’opportunité est arrivée de faire ce quartet. Billy Hart,  je l’ai connu au stage à Dworp quand j’avais douze ans, il a aujourd’hui 77 ans, c’était le moment de jouer avec lui, pour ne pas avoir de regrets. Il ne faut pas rater ce genre d’occasion : j’ai eu à un moment donné la possibilité de jouer en trio avec Bill Carrothers et Paul Motian , mais il est décédé peu de temps avant… 

« Melody for Paul » c’est pour lui ?

Oui, tout à fait.  Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de jouer avec Paul, on a parlé ensemble. Je l’ai vu un nombre  incroyable de fois, il jouait régulièrement au Village Vanguard. Le trio avec Joe Lovano et Bill Frisell je l’ai vu trente fois au moins… 

GRESS-HART-VERHEYEN-COPLAND (c)John ROGERS

Jouer avec une rythmique américaine procure une sensation, un feeling particulier ?

Oui surtout quand on parle de cette génération Billy, Paul. Dans la tradition en Belgique, il y a Dré Pallemaerts, puis dans les plus anciens Félix Simtaine. C’est presque inexplicable quand une section rythmique fonctionne, que tu peux flotter dessus, qu’il y a  tellement de drive. La tradition qu’on ressent chez Billy, le beat de Drew , c’est tellement fort. Ce n’est pas nécessairement mieux, c’est différent, on sent toute la tradition qu’il y a là derrière. Dans nos conservatoires, il y a pas mal de jeunes batteurs qui ne connaissent pas ça.  Peut-être sont-ils intéressés par des grooves différents comme Stéphane joue , ce qui est super, mais ce n’est pas la tradition.  Avec les marching bands dans les écoles, il y a déjà une tradition qui s’apprend très tôt chez les Américains. Et quand ils arrivent au conservatoire, ils ont déjà une technique fantastique, un contrôle, un sens de la tradition afro-américaine , on ne peut ressentir cela ici… 

Toutes les compositions de l’album sont de toi ? Qu’est ce qui inspire les titres ?

Oui, sauf une, « Vesper », qui est de Drew Gress, un morceau qu’il a apporté et que j’ai tout de suite aimé. « Jabali’s Way » vient du surnom de Billy Hart lorsqu’il jouait avec Herbie Hancock. « Stykkisholmur » est le nom islandais d’une petite ville  où je suis passé,  un lieu incroyable. Je suis souvent inspiré par les lieux que je visite; j’écris sur la route, dans la chambre d’hôtel… 

Sur l’album, tu joues à la fois du  soprano et du ténor : y a-t-il un instrument qui t’inspire plus que l’autre ?

Je ne peux pas faire de choix, ça dépend des périodes. L’autre jour j’avais un étudiant qui jouait l’alto et j’ai repris mon alto. Je me suis spécialisé dans le soprano à un moment parce que j’avais une bonne connexion avec l’instrument.  J’ai suivi des cours avec Branford Marsalis, j’ai payé pour la première leçon puis après je venais pour rien et j’ai joué plusieurs fois dans son groupe… C’est un musicien fantastique et quelqu’un de très généreux. 

Encore quelques mots sur un autre projet qui te tient à cœur : « Musical Offering » de JS Bach.

C’est un projet qui évolue pour le moment. Je suis très content des premiers concerts à Bruges. C’est quelque chose qui demande un gros travail  d’écriture. Pendant longtemps, la préparation a été le plus difficile, j’ai mis des mois pour étudier la partition et par la suite j’ai essayé d’une manière spontanée de tirer de l’œuvre les choses qui m’attiraient et d’en faire autre chose.  Après, c’est  pas du Bach, c’est du Robin Verheyen, où on peut reconnaître Bach par moment, mais ce sont aussi des mélodies à moi et le Bach est un peu plus loin. Les musiciens apportent beaucoup à ce travail : Benoit Delbecq a fait une préparation subtile au piano  sur ce que j’ai écrit, Toma Gouband  apporte aussi de l’originalité à la batterie avec des sons très différents, et Clemens van der Feen qui est bassiste jazz mais aussi classique  joue fantastiquement à l’archet. On rejoue en septembre et on enregistrera par la suite, ça va évoluer encore beaucoup je crois. 

Concerts du quartet sera en concert le 22 février au Roma à Anvers

 le 23 à Bozar, Bruxelles et le 27 à De Werf à Bruges.