Romain Dugelay trio : Chim​è​res

Romain Dugelay trio : Chim​è​res

Compagnie 4000 / Inouïe

Le bestiaire médiéval en contenait quelques-uns : griffon, basilic, manticore,… des monstres fabuleux composés de plusieurs parties d’animaux distincts. La graphiste Rama Taupia en a créé d’autres, encore plus bizarres comme l’écurion, le marmoquin ou encore l’éléphon qui illustre la couverture de l’album. Cette faune fantasmée a inspiré le compositeur et saxophoniste Romain Dugelay qui s’est associé au tromboniste Simon Girard et à la pianiste Anne Quillier afin d’explorer ce nouvel imaginaire mêlant réel et merveilleux. On s’en doutait un peu : les huit pièces musicales ainsi créées affichent une fantaisie, une invention et un syncrétisme qui n’a rien à envier à leurs correspondants visuels.

Le « choiseau » qui ouvre le répertoire combine ainsi des passages évoquant la légèreté de l’oiseau avec d’autres, plus proches du trottinement des canidés. Dans la même veine, le « marmoquin » associe la nonchalance de la marmotte avec la dramaturgie d’un squale en chasse tandis que pour « l’écurion », c’est la sauvagerie du lion qui cohabite avec l’hyperactivité de l’écureuil. Néanmoins, de telles interprétations relèvent entièrement du pouvoir d’imagination d’un auditeur curieux qui s’amuserait à chercher des liens entre les deux visions artistiques, aussi oniriques et absurdes soient-elles. Après tout, « Chimères » est aussi un livre-disque de 56 pages qui invite à ce genre d’activité.

Pour les autres plus terre à terre susceptibles de négliger l’aspect féérique de l’entreprise, la musique peut aussi très bien suffire. On l’a déjà décrite comme riche en contrastes, mais, entre jazz et musique de chambre, elle séduit également par son large spectre de références musicales (un peu comme dans le trio de Jimmy Giuffre en 1957), par son énergie ainsi que par l’alliance chatoyante des timbres de trois instruments rarement combinés. Dans le monde réel gouverné par la technologie, les intérêts économiques et la recherche du pouvoir, « Chimères » ressemble à une utopie graphique et musicale d’un autre âge. Vous allez adorer !

Pierre Dulieu