Thelonious Monk : The Classic Quartet
1963 fut une bonne année pour Thelonious Monk. Non seulement elle connut les éditions successives sur le prestigieux label Columbia de deux albums majeurs du pianiste (« Monk’s Dream » et « Criss Cross »), mais ce fut aussi l’année de la reconnaissance internationale de son talent original d’interprète et surtout de compositeur. Ce fut également l’année d’une tournée triomphale en Europe qui passa par la Belgique avec un concert unique donné le 10 mars au Palais des Beaux-Arts. Et le 9 mai 1963, Monk s’envolait avec son quartet pour le Japon où il était attendu comme le nouveau messie du jazz. En plus d’y donner une série de concerts mémorables, le quartet y enregistra un album live le 21 mai à Tokyo (« Monk in Tokyo ») avant d’être invité deux jours plus tard à l’enregistrement d’une émission de télévision pour TBS (Tokyo Broadcasting System). Les Japonais eurent ainsi le privilège de découvrir un combo soudé comprenant le contrebassiste Butch Warren, le batteur Frankie Dunlop, l’inamovible Charlie Rouse au sax ténor et un Thelonious Monk exalté et fantasque, avec chapeau et long pardessus, qui attaquait le clavier avec vigueur avant de se lever pour danser pendant les solos de Rouse. C’est la composante audio de ce programme que reprend cet album.
Le répertoire comprend « Epistrophy », immédiatement reconnaissable à ses accords percussifs si particuliers ; une version rare en live du malicieux « Ba-Lue Bolivar Ba-Lues-Are » que Monk enregistra en 1956 avec Sonny Rollins pour Riverside ; « Evidence », basé sur les accords de « Just You, Just Me » ; l’indispensable titre joué en piano solo, ici une interprétation du célèbre standard « Just a Gigolo » déconstruit et reconstruit par le pianiste sans mettre pour autant en péril son pouvoir émotionnel ; et, pour conclure, une version longue, lente et bluesy de « Blue Monk » sublimée par un solo musclé de Rouse et un autre de Monk qui parvient encore à sonner frais et spontané après l’avoir joué tant de fois. Sur ce répertoire familier dédié à la « Monk’s Music » (pour reprendre le titre d’un autre de ses grands disques), ce quartet en pleine forme est imbattable.
Cet enregistrement a fait l’objet de multiples éditions dont la qualité sonore n’a jamais été enthousiasmante. Mais cette fois, le travail de restauration, effectué pour le label Candid par l’ingénieur du son plusieurs fois récompensé, Bernie Grundman, fait la différence : la basse et la batterie en particulier, bien mises en avant, rehaussent considérablement l’impact de la musique. Sans être indispensable, « The Classic Quartet » n’en constitue pas moins, dans cette nouvelle édition, un ajout recommandable à toute discographie monkienne.