Thomas Champagne’s Random House (feat. Adam O’Farrill) : Tide

Thomas Champagne’s Random House (feat. Adam O’Farrill) : Tide

Igloo records

Le quartet du saxophoniste alto Thomas Champagne a déjà un long parcours derrière lui : une galette de trois titres apparaît en 2014, avant le maxi 6 titres « Sweet Day » qui date de janvier 2016. Ce nouvel enregistrement, réalisé au Jet Studio de Bruxelles, peut être considéré comme l’acte de naissance d’un groupe parfaitement rôdé. Un quartet sans piano, où la voix harmonique est laissée à Guillaume Vierset, guitariste au jeu de plus en plus redoutable et aux influences rock bien marquées. Ruben Lamon, contrebassiste aux multiples intentions musicales et membre à l’époque du « Bravo Big Band » pour son versant jazz, et Alain Deval, batteur de l’excellent « Collapse » qui avait marqué le début de la décennie par son explosivité, formaient la rythmique de « Random House » dès ses débuts et sur l’album « Sweet Day » de 2017.

Alors pourquoi changer une formule qui a fait ses preuves et qui, au fil du temps, a pu travailler une cohésion sans faille ? Et comment aller plus loin dans le développement du projet ? En invitant une personnalité du jazz américain, le trompettiste Adam O’Farrill que Thomas Champagne rencontre à New York et invite pour une tournée en Belgique… Et la sauce a pris, comme en témoigne ce disque, à la fois résolument jazz et contemporain, à la fois respectueux d’une tradition qu’impriment les souffleurs, et empreint d’une vision contemporaine où l’influence du guitariste Guillaume Vierset est prégnante de bout en bout, tout comme le jeu créatif de O’Farrill (il faut dire qu’il a fait ses armes avec Rudresh Mahanthappa ou encore avec la guitariste Mary Halvorson). La musique est dense, vive, tendre aussi, et spontanée comme si les cinq musiciens suivaient déjà un beau parcours de complicité. Deux compositions du trompettiste, deux du guitariste et quatre du saxophoniste : un bel équilibre, un joli sens du partage dès le départ, et on est parti pour trente-huit minutes – je vous parlais de densité – d’un jazz inventif dès « Bad Date », où Adam O’Farrill entre dans la musique avec force et détermination, suivi par le jeu plus apaisé de Guillaume Vierset secoué par le staccato du trompettiste. Une entrée en matière forte. Le côté folk, voire « grungy », du guitariste ouvre sa composition « BreathBreath », où il faut tendre l’oreille sur l’accompagnement de Ruben Lamon lors du solo de O’Farrill. « Tide » est une ballade où les trois solistes y vont de touches impressionnistes, sans véritable solo – la pièce ne fait que trois minutes – et créent un univers intimiste que poursuit l’ « Interlude » d’à peine cent secondes, enchaîné par « Muse », autre moment où les subtilités du quintet traversent cet envoûtant moment de suspension musicale. « Looking Forward », composition de Guillaume Vierset, seul morceau avec « Bad Date » qui frôle les sept minutes, ouvre plus d’espace aux solistes, notamment un beau solo de Ruben Lamon sur un imperturbable tempo d’Alain Deval. Un nouvel « Interlude » et le bien nommé « Gentle Breeze » introduisent les sonorités aériennes de la guitare sur les jeux de toms, de cymbales frottées ou délicatement caressées, suivi d’une contrebasse qui rappelle le jeu grave de Charlie Haden, et des souffleurs tout en délicatesse, un moment de grâce et de finesse très réussi. Vivement entendre tout cela sur scène !

Retrouvez Thomas Champagne en interview dans JazzMania ce mercredi 30 juin.

Jean-Pierre Goffin