JAZZ THRILL FROM BELGIUM

JAZZ THRILL FROM BELGIUM

Du jazz belge en Écosse 

“THRILL : Jazz From Brussels in Edinburgh.”

Dr. Haftor Medboe (Univ. Edinburgh) - Maaike WUYTS (visit.brussels)

Edinburgh, capitale de l’Ecosse, c’est environ 500.000 habitants, un château prestigieux, un Tatoo qui l’est tout autant, une magnifique cathédrale, du haggis et des whiskies en veux-tu-en-voilà… et un Festival de Jazz & Blues de grande renommée, chaque année en juillet, avec une fréquentation que bien d’autres événements envieraient, septante-mille spectateurs en dix jours !  “Thrill” ou la note bleue au service du marketing urbain… serait-ce l’inverse ? Le débat reste ouvert. En tout cas, du 07 au 09 février, le jazz a été le porte-drapeau de Bruxelles dans la splendide ville d’Edinburgh. Après l’art contemporain à Paris, la danse contemporaine à Berlin et le cirque à Turin, le ministre en charge de la promotion de Bruxelles, Rachid Madrane (PS), tenait à mettre en avant les talents de la scène jazz du plat pays. Lors d’une rencontre réservée à la presse, Rachid Madrane, batteur à ses heures, nous confiera même que la musique a sans doute joué un rôle salvateur dans son parcours de vie !

« Depuis quelques années, de plus en plus de groupes de jazz émergent à Bruxelles. Une scène florissante composée à la fois de jeunes talents tels qu’Antoine Pierre, Jean-Paul Estiévenart, Mélanie De Biasio ou encore Esinam Dogbatse qui illustrent la créativité et la mixité bruxelloise mais aussi des figures de proue telles que Aka Moon ou Philip Catherine. Sans oublier la légende du jazz bruxellois, Toots Thielemans qui a fait résonner le nom de Bruxelles dans plusieurs albums légendaires de grandes stars américaines. Edimbourg, ville connue internationalement pour son festival de jazz, qui accueille chaque année des milliers de visiteurs, possède un réseau important de salles et de partenaires dans le milieu, ce qui permettra à nos artistes de se produire dans des lieux prestigieux, d’avoir le plaisir de jouer avec des musiciens écossais et d’élargir ainsi leur audience. » (Rachid Madrane)

Mâäk Spirit @JazzBar

Près de cinquante musiciens étaient donc du voyage, du jazz combo classique au collectif MetX (mooving music). La grande diversité de la palette jazz déployée sur Bruxelles a ainsi été révélée au public écossais habitué à de grandes manifestations culturelles comme le fameux Edinburgh International Festival qui se déroule chaque année au mois d’août.

Laurent Blondiau sera le premier à ouvrir le bal dans le cadre d’une masterclass à la University of Edinburgh, invité par Dr. Haftor Medboe, musicien et professeur associé du département des “Musical Studies”. Expérience riche et concluante pour Laurent Blondiau et Mâäk, même s’il nous dira que les étudiants étaient peu au fait de sa musique et de l’histoire de Mâäk Spirit. Mais c’est le Dr. Haftor Medboe qui résumera le mieux ce rendez-vous : “On était dans l’expectative d’entendre des musiciens de jazz belge. Et en réalité, ils nous ont apporté le monde.” !

Haftor MEDBOE

Le deuxième jour du « Thrill » festival, les professionnels de la profession étaient conviés pour une rencontre au centre Creative Scotland, un service public au service des arts, de la musique au théâtre, en passant par les arts plastiques. Les musiciens, les agents d’artistes, les responsables de salles de concerts et de festivals, d’Ecosse et de Belgique, ont ainsi eu l’occasion de se parler pour mieux connaitre les enjeux sur chaque territoire et donc appréhender les conditions de travail des musiciens de part et d’autre de La Manche. Les artistes belges se sont ainsi rendu compte que le très imparfait et fort mal nommé statut de l’artiste était plutôt envié par leurs collègues écossais ! Il ne faudrait pas en conclure que la réglementation chômage pour les artistes belges est un modèle, mais plutôt un point de départ pour tirer l’ensemble des artistes européens vers le haut. La rencontre s’est terminée par l’énumération des lieux permanents et des festivals dédiés à la note bleue. Pour les artistes belges ce fut l’occasion de se rendre compte de l’existence d’un maillage assez serré. De toute évidence, les opportunités d’échanges et donc de poursuite de la dynamique de “Thrill” ne manquent pas (voir ci-dessous l’opinion de Toine Thys, un des fondateurs du FACIR (Fédération des auteurs, compositeurs et interprètes réunis).

Jam Session @JazzBar

Les concerts.

Une cinquantaine de musiciens se produisaient donc pendant trois soirées sur les scènes de la capitale écossaise. Trois lieux à la configuration différente accueillaient les groupes belges pour présenter une vitrine du jazz belge, bruxellois en particulier. Et disons-le d’emblée, ce fut une très belle réussite.

Une soirée d’ouverture que le groupe Mâäk a rendue un peu moins académique : on a l’habitude en Belgique des concerts mis en scène du quintet de Laurent Blondiau et la méthode a été chaleureusement accueillie avant les discours officiels au King’s Hall. Deux lieux du centre-ville attendaient les musiciens pour la première soirée : le « Queen’s Hall » plein à craquer recevait « Les Violons de Bruxelles » ovationnés à la fin de leur prestation, un concert apprécié au point de voir le groupe vendre la totalité de ses cédés en quelques minutes ! Dans une configuration tout autre, le « Jazz Bar » est un des lieux renommés de la ville pour sa programmation avec jusqu’à quatre concerts par soirée. L’escalier mène au sous-sol où une petite salle bondée peinte en noir longée d’un bar bien garni mène la voie vers la scène. En ouverture, le sextet « Thrill » composé de trois musiciens écossais et trois belges donnait son second concert après celui donné à Flagey quelques jours plus tôt. Suivait « Mâäk » pour une prestation d’une énergie de tous les instants.

Jean-Paul ESTIEVENART-ANTOINE PIERRE (URBEX)

Deux lieux aussi pour la deuxième soirée du festival belgo-écossais, la jeunesse étant au rendez-vous autant au Jazz Bar qu’au St Bride’s, une ancienne église récemment reconvertie en lieu culturel –ce qui semble être une vocation d’Edimbourg puisqu’en se promenant en ville, on vit trois lieux de culte reconvertis. Dans la première salle, un jeune groupe écossais « Strata » plein d’énergie a préparé le terrain avec enthousiasme à la prestation de « URBEX », le projet d’Antoine Pierre : un jazz plein d’idées par des musiciens enthousiastes dont le répertoire devrait s’affiner avec la pratique. Programmé en quintet, « URBEX » a littéralement soufflé le public à la fois par la créativité des compositions du leader, l’interactivité constante entre musiciens et… le sens de l’humour d’Antoine Pierre dont les commentaires collaient à merveille à l’humour British (not English, please !). Pour avoir vu le groupe à plusieurs reprises dans sa version large – septet/octet –, cette formule avec le seul Jean-Pol Estiévenart comme souffleur apparait comme plus libre de ses mouvements, constamment inspirée par le drumming du leader, la basse de Félix Zurstrassen dont la discrétion n’est qu’illusion tant il insuffle des accords d’équilibriste sans fil, le toucher tout en finesse de Bram De Looze, et l’attaque « rock » du guitariste amstellodamois Reinier Baas qui fut une découverte pour tous. Avant le concert d’URBEX, juste le temps de voir la prestation de l’ « Oriental Project » de Marie Fikry, tout en finesse et élégance; le répertoire personnel de la pianiste a séduit clairement le très nombreux public du club – une longue file à l’extérieur du club attendait en vain que des places se libèrent, mais personne ne voulait rater ce moment de jazz mixé aux influences maghrébines de Marie Fikry, un quartet à deux percussions qui vibrent entre le jeu apaisé de Daniel Jonkers et la frappe virevoltante de Simon Leleux sur son derbouka. Voilà un groupe dont le style s’affirme de concert en concert avec une indéniable originalité.  C’était la soirée piano puisque suivait le trio de Martin Salemi que je n’ai pu voir puisqu’il se déroulait en même temps que le concert d’ « URBEX »… D’où je revenais pour la prestation d’Esinam, seule en scène avec sa flûte, ses percussions et son appareil électronique, une musique qui colle parfaitement à l’ambiance fin de soirée de ce genre de lieu, plus d’un spectateur y allant de mouvements de danse frénétiques, histoire de visualiser ce que signifie peut-être  le délire à la Rowan Atkinson! (né pas si loin de l’Ecosse d’ailleurs…)

Met-X (street parade)

Sur le Royal Mile, à quelques pas de la cathédrale, la « Street Parade » mêlait musiciens belges et écossais dans une joyeuse sarabande rythmée par les musiciens gnawas qu’Esinam et Jean-Paul Estiévenart rejoignaient pour la fête devant un public nombreux et ravi. La soirée du samedi naviguait entre jazz dans la tradition avec les deux groupes écossais du trompettiste Colin Steele – un jazz propre, bien interprété, mais sans surprise – et de la saxophoniste Laura McDonald dont le nom du programme « History of Sax » n’avait pas besoin d’explication. Entre ses deux prestations, Toine Thys présentait son tout nouvel album en trio avec le guitariste Hervé Samb en « special guest ». « Bravo », « The Optimist », « Tête Brûlée », « Masks and Feathers » sont toutes des compositions du nouvel album du saxophoniste, une musique chaleureuse riche en couleurs et en moments de grâce avec ce guitariste fabuleux qu’est Hervé Samb et l’organiste Arno Krijger.

AKA MOON

Qui ne connait pas « Aka Moon » en Belgique et même sur le continent ? La surprise fut réelle en tout cas pour une partie du public écossais : mes voisins, par exemple,  d’abord ébahis, se sont révélés conquis par la puissance de la musique du trio, Michel Hatzigeorgiou étant dans une forme éblouissante… tout comme ses partenaires d’ailleurs ! Aucun temps mort ni commentaire dans un set dont la force et l’audace nous sont coutumières, mais nous laissent à chaque reprise bouché bée. Du côté, du Jazz Bar, la nouveauté était au pouvoir : « Brandhaard » (Steven Delannoye, Jean-Paul Estiévenart, Antoine Pierre et Reinier Baas) et « Echoes of Zoo » (Nathan Daems, Bart Vervaeck, Lieven Van Pée et Falk Schrauwen) emmenaient le public dans le « new jazz » de nos jeunes loups bruxellois.

AKA MOON

Cette collaboration entre « visitbrussels », « Creative Scotland » et le « Jazz&Blues Festival » s’est révélé être un gros succès à la fois musicalement et humainement, et une belle opportunité pour mettre en valeur la scène belge du jazz.

Jean-Pierre Goffin & Philippe Schoonbrood

Toine Thys, le FACIR et la condition du musicien belge en 2019

“C’est bon pour l’image du jazz belge, c’est sûr, c’est bien aussi pour le ministre… Il s’associe aux artistes et c’est très bien. Au niveau du statut d’artiste, il y a des lobbies pour en discuter… au Facir on milite pour faire avancer la cause. Les choses sont assez tendues, il y a énormément de musiciens, il y a du travail, mais pas assez pour tout le monde. Ce sont les petits lieux qui sont très importants car c’est là que la musique vit et se développe. Mais, les cachets y sont aussi petits. J’ai du mal sur cette question car je ne veux pas me montrer pessimiste…”

“Du côté du Facir, on a des résultats, mais c’est compliqué, avec un petit poids pour pratiquer le lobbying. On n’a pas les moyens de faire avancer les choses sur les questions des barêmes par exemple. On  n’a pas la légitimité, ni la formation pour ça. Le combat du Facir c’est plus comment  prendre conscience, mettre en valeur nos artistes et toutes les belles productions de chez nous, sans protectionnisme. Développer le marché, l’économie, et donc la qualité des productions, ce que la RTBF ne fait pas du tout, par exemple. On n’est pas très soutenu par les politiques, mais grâce au lobbying, on bénéficie de soutiens, car depuis cinq ans environ, on est reconnu et considéré comme indispensable et légitime dans toutes les lieux de concertation. Il y a cinq ans on ne demandait pas l’avis des artistes, des musiciens pour prendre des décisions importantes les concernant.”

“Beaucoup de gens vivent avec peu de moyens, d’autres sont aussi très productifs. Il y a en tout cas un manque criant d’encadrement, peu de managers, peu de tourneurs, peu de journalistes qui suivent l’actualité des musiciens, le développement stratégique d’une carrière est quelque chose dont on manque cruellement.”

Marie FIKRI'S ORIENTAL JAZZ