Tinariwen, Elwan
+|O:| (Tinariwen), Elwan
Oublions un instant le jeu mercantile des obligations promotionnelles et les stratégies commerciales finement élaborées. Tinariwen n’est PAS un produit marchand; Tinariwen s’élève largement au-dessus des débats… Petit rappel historique : il y a très très longtemps, Ibrahim ag Alhabib et Alhousseini ag Abdoulahi, tous deux originaires des contrées désertiques qui couvrent le Nord du Mali et le Sud algérien, créent Tinariwen (« les déserts » en langage tamasheq), un groupe de blues berbère. Ces deux-là ne se contenteront pas « d’amuser la galerie »… Mieux qu’un groupe de musiciens doués, le duo s’est attaché à bâtir un concept culturel touareg à géométrie variable… Celui qui souhaite se joindre (de près ou de loin) au projet sera le bienvenu… Citons à titre d’exemple Mohamed ag Itlal (dit le « Japonais ») qui a composé de nombreuses chansons sans jamais avoir participé aux tournées mondiales du groupe…
Les chansons de Tinariwen parlent d’exil, de souffrance et des conditions de vie précaires que connaissent les peuples nomades. De nombreuses cassettes enregistrées circulent dans les poches des voyageurs du Sahara. Les chansons qui s’y trouvent diffusent un message de résistance et participent à la rébellion touareg des années nonante. Il fut un temps même, où le groupe se déplaçait avec armes et guitares (financées par le Mouvement populaire de l’Azawad) en bandoulière, pour faire face à la répression du Gouvernement malien (voir à ce sujet le documentaire « Teshumara, les guitares et la rébellion touareg », signé par le vidéaste français Jérémie Reichenbach).
Puis, de festivals en festivals, leur renommée atteindra une dimension internationale : Robert Plant leur apporte un soutien personnel (concert au Bataclan en 2007) ; ils participent à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de football en Afrique du Sud (2010); avec « Tassili » le groupe obtient le prix du meilleur album dans la catégorie « Musiques du Monde » aux Grammy Awards (2012). Et aujourd’hui ? Plus que jamais le message d’espoir et la musique de résistance que nous délivre le groupe (cette fois en exil pour échapper aux représailles de milices islamistes) nous est nécessaire. Tinariwen force l’admiration et l’empathie. Kurt Vile, Mark Lanegan et d’autres rockers ont d’ailleurs tenu à participer à cette veillée de camp. « Elwan » (Les éléphants, en référence métaphorique à ceux qui, par leur puissance, détruisent tout sur leur passage…), leur huitième album, est l’aboutissement flamboyant d’un savoir-vivre et d’un savoir-faire qui réunit anciennes et nouvelles générations autour d’un même combat.
Quelques riffs abrasifs sortis d’un vieil amplificateur réglé avec des gants de boxe suffisent à planter le décor. Des embryons de mélodies viennent s’y greffer; les chants s’élèvent majestueusement, appuyés par des chœurs généreux. La suite peut couler comme la source dans l’oasis, limpide et salutaire. Une à une, les chansons nomades émergent du halo de poussière qui s’élève des dunes abruptes pour dégager un parfum elliptique. « Elwan » et ses plages de rhythm’n’blues touareg postulent au titre de « chef-d’œuvre de l’année », et nous invitent à une danse triste, victime d’une modernité qui dissipe à petit feu les rêves de sable. Le progrès sans doute…
Joseph « YT » Boulier