Yotam Silberstein : Standards

Yotam Silberstein : Standards

Jojo Records

L’Israélien Yotam Silberstein, né à Tel-Aviv mais aujourd’hui basé à New York, s’est fait une place de choix au panthéon des guitaristes modernes grâce notamment à des albums comme « Future Memories » (2019) et « Universos » (2022) qui puisent leur constellation de nuances dans différents endroits de la planète. Ce nouveau projet, le premier à paraître sur le label Jojo Records créé à Jérusalem par le guitariste Simon Belelty pour promouvoir un jazz international de qualité, marque un changement d’orientation puisque Yotam y délaisse ses propres compositions pour réinterpréter à sa manière unique huit standards. La bonne nouvelle est qu’il ne s’agit pas de scies mille fois entendues, mais de morceaux choisis non seulement pour leurs splendides mélodies mais aussi, dumoins pour certains d’entre eux, pour leur relative discrétion au sein du répertoire jazz, comme « Serenata » jadis interprété par Joe Pass, « Beija Flor » de Nelson Cavaquinho, ou « Eclypso » de Tommy Flanagan joué autrefois par Coltrane et Kenny Burrell.

D’emblée, le son pur et clair de la guitare emporte l’adhésion d’autant plus que le leader est accompagné par deux vétérans qui savent mettre en valeur, avec autant de talent que de modestie, les projets auxquels ils ont accepté de collaborer : le contrebassiste John Pattitucci (64 ans) et le batteur Billy Hart (83 ans). Après l’énoncé de la splendide mélodie de « Serenata », à l’origine une sérénade au style latin écrite pour orchestre en 1947 par le compositeur américain Leroy Anderson et popularisée par Nat King Cole, c’est un plaisir d’écouter la délicatesse du toucher et le phrasé fluide de Yotam qui s’envole dans de gracieux chorus. Le tapis rythmique est à la fois riche et dynamique : John Pattitucci, qui joue ici exclusivement de la contrebasse marquée par une sonorité douce et boisée, y prend un solo d’anthologie tandis que Billy Hart témoigne tout du long d’une extraordinaire réactivité, délivrant vers la fin des breaks à couper le souffle. Les mêmes qualités sont réitérées dans les six titres joués en trio, mais il y a une surprise : deux plages sur lesquelles le leader a invité un autre vétéran, le saxophoniste ténor George Coleman – celui-là même dont Miles disait « qu’il peut tout jouer avec une quasi-perfection » – qui est venu avec une de ses compositions, « Low Joe ». À l’âge de 88 ans, son jeu sur la ballade « Never Let Me Go », un standard de Jay Livingston, est resté aussi lyrique et prenant qu’autrefois.

Du swing au be-bop et du jazz latin à la ballade, cet album rend certes hommage au jazz classique, mais il le fait avec une fraîcheur inouïe. Ce qu’on a la chance d’entendre dans ce répertoire rappelle qu’avec du talent, les standards du jazz peuvent encore être exaltés. Une très belle leçon de style !

Pierre Dulieu