Belgian Jazz Meeting 2013
Belgian Jazz Meeting
Jazz is not dead and it smells Fonck !
Petit rappel: pendant quelques années, la Flandre a invité la presse et les programmateurs de clubs et de festivals à venir découvrir tous les deux ans le meilleur de la scène jazz flamande. En 2011, changement de cap – que Rik Bevenage en soit remercié – et ouverture au jazz du Sud avec une première édition très réussie du « Belgian Jazz Meeting », premier pas vers une alternance prévue entre les régions du pays. C‘était donc cette année ( les 6, 7 et 8 septembre) au tour de Liège d’organiser ce « showcase » où se retrouvaient une soixantaine d’acteurs internationaux du jazz ( programmateurs, organisateurs,journalistes…venant de toute l’Europe, mais aussi des Etats-Unis et du Canada) et tout ce que compte la Belgique d’activistes bleus.
Après les rebondissements concernant le lieu décidé pour l’événement, c’est finalement au Manège de la Caserne Fonck que se déroulaient les concerts… Et ce nouveau lieu allait sans doute jouer un rôle important dans la réussite de ce week-end : grâce à une judicieuse exploitation de l’espace, un travail non négligeable sur l’acoustique du lieu (la sono était aux mains et oreilles de la talentueuse Christine Verschorre) et son côté architecture post-industrielle, tout était en place pour des rencontres sympathiques et détendues. Une nouveauté liée à l’espace ainsi créé : la place laissée aux différents labels belges, aux agents, mais aussi à une belle exposition de photos de Dominique Houcmant et de dessins d’Yves Budin, placée dans le couloir menant à la scène, histoire de plonger visuellement dans l’ambiance avant d’y tremper ses oreilles.
On n’allait d’ailleurs pas attendre la fin du lunch du dimanche à l’auberge Simenon pour recueillir les commentaires positifs non feints de pas mal d’invités étrangers, certains comme Pascal Anquetil se réjouissant de cette fusion entre Nord et Sud de notre petit pays. Et si la « Val Dieu » contribuait à la bonne humeur générale, on avait aussi pensé à fermer le bar pendant les concerts, histoire de rappeler pourquoi on était là ! On ne peut pas non plus oublier les nombreux bénévoles qui se sont investis dans le projet, une mobilisation efficace et dans la bonne humeur. Confier le rôle de « Master of Ceremony » à Georges Tonla-Briquet faisait aussi partie de ces bonnes idées qui ont fleuri à Liège ce week-end : non seulement Georges est un des plus fins connaisseurs du jazz en Belgique, mais par son multilinguisme, représente un lien pertinent entre le Nord et le Sud, la Communauté Flamande et la ville de Bruges prenant d’ailleurs une part active dans le financement de l’événement.
Quant à la partie musique, elle allait forcément nous emmener vers de belles choses. Difficile toutefois pour un autochtone qui voit pour la quatrième fois en douze mois le quintet de Fabrice Alleman ou le trio d’Igor Gehenot d’imaginer l’effet que leur prestation respective provoque sur un auditeur « vierge »… On reste de toute façon sans voix à l’écoute du trio du pianiste tout comme aux envolées du saxophoniste tant au soprano qu’au ténor, au groove de Reggie Washington, au toucher de Nathalie Loriers et à l’enrobage envoûtant concocté par Lionel Beuvens ( qui allait aussi proposer un set drôlement convaincant le lendemain) ; deux groupes déjà bien ancrés dans le paysage belge, donc. Quant à « Mâäk », leur prestation intégralement acoustique offre toujours autant de rebondissements et d’impression de joyeux charivari sur scène : entrée ou sortie de scène en fanfare sont devenus quasi un inévitable passage dans une performance du groupe. Acoustique aussi la prestation tout en finesse et retenue de Ben Sluys entouré des excellents Brice Soniano à la contrebasse et Christian Mendoza au piano.
Avec Igor Gehenot, trois autres trios piano-basse-batterie étaient sélectionnés, soit un tiers de la programmation : trop peut-être ? Oui et non dans la mesure où chacun développait un jeu personnel, même si parfois trop typé : pour qui a découvert Bram Delooze avec le « Lab Trio », on pouvait être étonné de ce retour aux sources vers des standards magnifiquement interprétés et arrangés, mais qui sonnaient « déjà entendus». Sublime mélange des genres avec Kris Defoort : musique contemporaine, jazz, impro, pop (« Walking On The Moon »), le pianiste déploie un paysage sonore poétique où le temps se retrouve parfois suspendu, dans l’attente d’une note et où le silence surprend, tout comme le jeu de Lander Gyselinck, qui fera s’étonner Pierre Villeret (AJMI) de la qualité des jeunes batteurs belges ( on avait entendu la veille un déroutant Antoine Pierre dans le trio de Jean-Paul Estievenart). C’est vrai qu’on a trouvé dans nos drummers un moteur propre à secouer la plupart des concerts : si Mélanie de Biaisio fascine, c’est chez son batteur Dré Pallemaerts qu’on trouve la pulsion, l’invention et la surprise ; si Jean-Paul Estiévenart épate par la qualité de ses compositions, son jeu énergique et débordant d’idées, il faut un batteur comme Antoine Pierre pour enrober et pousser la musique dans ses moments les plus fous ( Sam Gerstmans a pour sa part apporté un soutien et quelques solos de derrière les fagots !) ; que Igor Gehenot plane ou dégaine, Teun Verbruggen colore sa musique avec justesse ; si le quartet de Lionel Beuvens épate, c’est aussi par la façon qu’a le batteur de faire prendre la sauce, de groover sans trop en faire, de créer les espaces pour ses partenaires ; enfin si Kris Defoort emmène l’auditeur là on ne l’attend pas, c’est aussi par le drumming audacieux, créatif et très personnel de Lander Gyselinck ; enfin, l’humour et la dimension iconoclaste de « Too Noisy Fish » – une découverte ! – tient aussi au déploiement impressionnant d’accessoires mis en place par Teun Verbrugge
Reste à espérer que le week-end liégeois ne résonne pas seulement comme le souvenir de rencontres sympathiques, mais offre des opportunités à nos artistes. Quand on parle à Michel Debrulle des retombées de l’édition brugeoise de 2011, celui-ci se montre plutôt positif ; les quelques musiciens rencontrés à Liège après leur performance semblent eux aussi avoir déjà des contacts prometteurs, mais à confirmer… Un bilan lors de la prochaine édition, donc.
Jean-Pierre Goffin