31ème édition du Festival Mithra Jazz à Liège : temps forts.

31ème édition du Festival Mithra Jazz à Liège : temps forts.

Succès de foule cette année, une affiche de haute qualité et une grande diversité dans la programmation. Quelques temps forts :

Brecker, Liebman, Copland, Gress & Baron © Robert Hansenne

Brecker Liebman Copland Gress Baron « Quint5t »

Randy Brecker © Robert Hansenne

Dire que le Troca accueillait deux (cinq) légendes du jazz n’est pas vain. Impossible de citer tous les groupes de Randy Brecker… « Blood Sweat & Tears » d’abord, puis le fabuleux « Breckers Brothers »… et sa participation dans le Quintet d’Horace Silver avant les Jazz Messengers, le « Bill Evans SoulBop Band » ( fabuleux concert à Gand avec Medeski, Martin & Woood ), et ses collaborations multiples et impressionnantes, du jazz pur et dur au rock, au funk etc… Quant à Dave Liebman, citons en rappel Miles Davis, Elvin Jones, Joe Lovano, John Scofield, Chick Corea, ce qui suffit pour situer l’énorme musicien qu’on a retrouvé assis et quasi immobile sur la scène du Troca. A leurs côtés, Marc Copland, Drew Gress et Joey Baron, une rythmique superlative.

Le public était nombreux à attendre ce qui pour beaucoup de jazzfans était l’événement du Mithra. Peu de surprises du côté du répertoire : en dehors de « All the Things You Are », le reste du répertoire consiste en la reprise des titres de l’album, dans l’ordre de celui-ci : « Mystery Song » de Duke Ellington puis des compositions personnelles, petits chefs-d’œuvre d’écriture pour certains hommages à leurs aînés : « Off A Bird » pour Charlie Parker, une composition de Liebman, un inventif « There’s a Mingus Amonk Us » aux citations multiples. Deux petits bijoux de Drew Gress et de Joey Baron, « Figment » et « Pocketful of Change ». Si la rythmique s’amuse, on a du mal à entrer visuellement dans le concert avec deux leaders visiblement fatigués mais qui, par moments, illuminent leurs solos de courtes citations, souvent subtiles du côté de Liebman, plus fortes chez Brecker. A la sortie du concert, les avis étaient partagés entre ceux qui auraient aimé retrouver l’énergie d’antan, ceux qui ont retrouvé (et j’en fais partie) dans les moments de lumière et d’invention, les subtiles citations de Liebman, et enfin ceux, trop sévères, qui évoquaient le jazz « gériatrique » tel que chanté par Randy Newman (« I’m Dead but I Don’t Know It »).

Intimité et grande classe

S’il ne fallait retenir qu’un concert de cette belle édition 2022, ce serait les 60 minutes du duo Fred Hersch / Avishai Cohen. Depuis leur concert au Leuven Jazz en mars, où le trompettiste remplaçait Enrico Rava, Hersch et Cohen ont eu l’occasion de peaufiner le répertoire, notamment la veille, au Bal Blomet à Paris. Et on a senti dès les premières secondes que l’empathie était totale. Comment mettre en avant un moment d’un aussi formidable concert où standards « Yardbird Suite », « Round Midnight »… se mêlaient à des compositions du pianiste ? Un concert d’une splendide élégance.

Fred Hersch & Avishai Cohen © Robert Hansenne

Complètement différent dans l’esprit et dans le jeu était le trio de Tigran Hamasyan. Visiblement heureux d’être à Liège (il s’est exprimé plusieurs fois en français), le pianiste proposait le répertoire de son tout premier album de standards. Lui qui nous avait habitué et séduit par ses chansons et ses fables inspirées par la culture arménienne dans des albums solos magiques, arrivait avec une relecture des standards aux détournements rythmiques et harmoniques constants. « Laura » en ouverture sur un tempo inhabituellement rapide laissait présager de beaux moments. Oserais-je avouer que je me suis un peu ennuyé par la suite, la répétition de structures, le peu de place laissée à la rythmique m’ont un peu lassé. « All The Things You Are » restera à mes oreilles le moment le plus intense du concert, par une version très lente aux couleurs impressionnistes qui m’évoquaient « La Mer » de Debussy. Cet avis très personnel n’était, semble-t-il, pas celui de la majorité des spectateurs, à entendre l’enthousiasme des applaudissements.

Tigran Hamasyan © Diane Cammaert

La Danse Danse Danse de l’Eléphant

Rêve d’éléphant Orchestra ‐ Michel Massot © Robert Hansenne

Oui, oui, on connait « Rêve d’Eléphant Orchestra », dirons ceux qui n’étaient pas au concert de la Cité Miroir. Bon, ok, ils sont sur le circuit depuis des années (sans vouloir offenser les plus anciens d’entre eux !), mais le plaisir est toujours au rendez-vous, à la fois sur scène et dans la salle. « Quarte Blanche » et « Post Scriptum », « La Complainte de Bernard » ou « Danse, Danse, Danse », tous des titres de leur dernier album, sont revus avec de grands moments d’inspiration, ainsi ses interventions électroniques sur les multiples pédales du bassiste Louis Frères, ou les joyeux sifflements de l’ensemble, ou, plus visuel, la danse déjantée de Pierre Bernard. Comme semblait le regretter Michel Debrulle, quand on joue dans un festival, il faut respecter le timing… Et on était nombreux à le regretter tant l’Eléphant nous a fait rêver cette fois encore. Et qu’on dise à ceux qui pensent connaître REO qu’ils ne savent pas tout.

Rêve d’éléphant Orchestra ‐ Christian Altehülshort © Robert Hansenne

Fraternité

Belmondo Quintet ‐ Lionel Belmondo © Robert Hansenne

Comme l’a rappelé à plusieurs reprises Jean-Paul Schroeder, il a été plusieurs fois question de fratrie lors de cette édition 2022 du Mithra Jazz. Avec Randy, on a évoqué Michael Brecker, avec Avishai, on a parlé du concert des Three Cohens au Palais des Congrès, et puis le premier soir, il y avait Lionel et Stéphane Belmondo ! Leur récent album « Brotherhood » ne porte pas ce titre pour rien : non seulement il y a une fraternité génétique, mais l’autre, la musicale, a été présente de bout en bout lors cet épatant concert. Ces deux-là ont à coup sûr des racines de l’autre côté de l’Atlantique, tant leurs compositions sont imprégnées de culture américaine. Inspiré par des monuments comme Wayne Shorter (« Wayne’s Words »), Yusef Lateef (« Yusef’s Trees ») avec qui ils ont joué et enregistré, ce nouveau répertoire était au cœur de ce concert où non seulement les deux frères étaient en évidence, mais aussi leurs brillants partenaires : Eric Legnini bien sûr, envoûtant, surprenant, toujours dans le groove et l’esprit soul, magnifique de bout en bout ; Sylvain Romano, contrebassiste inventif à la sonorité chaude ; et Tony Rabeson qui propulse ses confrères avec la vitalité et la force d’un Elvin Jones. Un quintet qui irradie. Un grand moment du festival !

Belmondo Quintet ‐ Eric Legnini © Robert Hansenne

NB : Parce que le jazz se nourrit d’autres styles musicaux (le rock bien sûr, mais aussi le rap, la musique classique, le dub, …) et que les goûts et les couleurs se mélangent – y compris au sein de la rédaction de JazzMania – d’autres comptes-rendus vous seront proposés durant toute la semaine, ceux-ci différant (vous l’aurez deviné) de ceux que Jean-Pierre vous présente ici. Cerise sur ce gâteau déjà bien copieux, nous vous proposerons également les portfolios de nos photographes (leur vision du festival étant tout aussi intéressante). ‐ Y.T.

Jean-Pierre Goffin