Toc & Jean-Luc Guionnet : quelques idées d’un vert incolore dorment furieusement

Toc & Jean-Luc Guionnet : quelques idées d’un vert incolore dorment furieusement

Circum Disc / Les Allumés du Jazz

Lors de l’une de ses interventions où il trace un parallèle entre la musique et la philosophie, Gilles Deleuze dit : « La musique n’est pas seulement l’affaire des musiciens dans la mesure où elle n’a pas pour élément exclusif ou fondamental le son. Elle a pour élément l’ensemble des forces non sonores que le matériau sonore élaboré par le compositeur va rendre perceptible de telle manière que l’on pourra même percevoir les différences entre ces forces, tout le jeu différentiel de ces forces. » Je ne peux m’empêcher de convoquer cette réflexion à l’écoute de ce disque qui propose à l’auditeur davantage un matériau sonore qu’une composition au sens communément admis du terme. Tout commence par ce titre qui tient en une phrase énigmatique : « quelques idées d’un vert incolore dorment furieusement ». Elle pourrait provenir d’une strophe d’un poème dadaïste ou d’une des innombrables instructions que l’on retrouve dans les propositions du courant Fluxus. Elle est en réalité empruntée à une phrase célèbre de Noam Chomsky et donne l’impulsion de ce qui est ici à l’œuvre. Toc, trio lillois précédemment chroniqué dans nos pages, réunissant le claviériste Jérémie Ternoy, le guitariste Ivann Cruz et le batteur Peter Orins, s’acoquine pour l’occasion avec le saxophoniste (alto) Jean-Luc Guionnet. Capté live à La Malterie à Lille en mars 2024, cet enregistrement se résume à une seule pièce d’une grosse demi-heure au cours de laquelle « les musiciens plongent dans une transe abrasive où chaque geste sonore est à la fois provocation, construction et effondrement » nous avertissent-ils. Il vous faudra les oreilles bien attachées pour aller jusqu’au terme du disque. C’est un matériau brut, chauffé à blanc, ductile, soumis à de hautes contraintes, mais irréductible à la somme des artisans l’ayant élaboré qui nous est donné à saisir.

Eric Therer