Laurent Blondiau, un hyperactif aux longs cours
Laurent Blondiau :
musicien hyperactif aux projets à long terme…
Entre répétition et concert de sa grande formation, Laurent Blondiau revient sur le projet MikMâäk, sur le double album enregistré pour le label WERF mais aussi sur ses multiples autres projets, comme cette carte blanche du 23 janvier offerte par le River Jazz Festival.
Propos recueilli par Claude Loxhay – Photos de Laurent Poiget (1)
Comment as-tu eu, en parallèle au quintet de Mâäk, cette idée un peu folle de réunir une formation de 16 à 17 musiciens?
Cela fait longtemps que j’avais cela en tête. MikMâäk existe depuis deux petites années mais cela fait au moins 5 ou 6 ans qu’avec les copains, on avait ce vieux rêve de faire un Mâäk élargi, une formation XL avec beaucoup de cuivres, de souffleurs. J’en ai parlé autour de moi et, avec Dirk Seghers du Recyclart, on a instauré un système de résidence. Evidemment, il fallait que tout le monde joue le jeu parce que, économiquement, ce n’est pas facile à mettre en place. Sans faire aucune concession, je me suis demandé quelle serait l’équipe de rêve, la “dreamteam”. J’ai appelé les musiciens par téléphone ou par mail: tout le monde a joué le jeu, en sachant qu’au départ, il n’y aurait pas beaucoup de moyens. C’est à la fois un ensemble mais aussi 16 à 17 personnalités très fortes, c’est cela qui est génial. A la fois, on peut écrire des choses très précises mais, en même temps, chaque musicien est un improvisateur, on a donc des parties beaucoup plus libres. Après les premiers concerts au Recyclart, on a pu jouer au Gaume Jazz Festival et au Middelheim, en août de l’année dernière, et maintenant, on a une résidence au Marni pour la deuxième saison, avec un concert par mois. Et puis, on a enregistré un double album pour le label WERF: un grand pari aussi mais nous étions prêts et il y a eu la magie qu’il fallait au moment d’entrer en studio.
A côté des musiciens de Mâäk, Guillaume Orti, Jeroen Van Herzeele, Michel Massot et Joao Lobo, on retrouve des musiciens que tu as croisés au sein de Rêve d’Eléphant Orchestra, d’Octurn ou du Dreamtime de Kris Defoort…
Oui, c’est le cas de Pierre Bernard, Bo Van Der Werf, Fabian Fiorini ou Geoffroy De Masure. Mais aussi au sein du MegaOctet comme Claude Tchamitchian, le contrebassiste français et des musiciens que j’ai croisés souvent comme Bart Maris et Jean-Paul Estiévenart.
Pour d’autres, comme Yann Lecollaire, Quentin Manfroy ou Niels Van Hertum, la rencontre est moins évidente…
Yann, je l’ai croisé dans le collectif Sound Painting, qui a existé pendant quelques mois et avec lequel j’ai travaillé. Le Sound Painting est un langage de signes. Quand j’ai pensé à une clarinette, le nom de Yann m’est venu à l’esprit tout naturellement: c’est un type super et un terrible instrumentiste. Quant à Quentin, je le connais depuis longtemps. Je ne sais plus exactement quand je l’ai croisé pour la première fois. Dans tous les cas, nous jouons ensemble dans un projet de Grégoire Tirtiaux avec des musiciens Gnawas. Pour moi, il me fallait deux flûtistes: Quentin est ainsi le “petit frère” de Pierre Bernard dans le groupe, c’est assez extraordinaire de voir leur complémentarité. Pour ce qui est de Niels, je pense que c’est le seul avec lequel je n’avais jamais joué. On m’avait parlé d’un super tubiste, je l’ai appelé et il s’est intégré très facilement.
La formation réunie sur le double album compte 17 musiciens mais n’est pas conçue comme un big band avec des sections figées…
J’avais envie d’avoir une grande formation dans laquelle on retrouve des trompettes, des saxophones, des clarinettes et flûtes, des trombones et des tubas, ce qui est plus rare dans les orchestres traditionnels. Je voulais constituer un grand ensemble atypique, pas classique, comme pour Mâäk: je voulais garder le même esprit “mâäkien” mais dans une formation beaucoup plus élargie.
Une formation avec un esprit très collectif: plusieurs musiciens, huit au total, sont aussi compositeurs…
C’est toujours la même idée, si je m’occupe de toute la logistique comme un leader, je ne veux pas, pour autant, amener tous les morceaux, tous les arrangements, je n’en ai d’ailleurs pas le temps. J’aime profiter de l’inspiration et du monde de chacun, que ce soit Guillaume, Fabian, Michel, Pierre, Yann, Claude ou Niels.
Les compositions sont d’inspiration très différente: elles sont le reflet de la personnalité de chacun des compositeurs…
Oui, je pense que c’est cela qui assure des couleurs différentes: le résultat est étonnant. Mais il n’y a rien de disparate parce qu’on partage la même idée de partage entre écriture et improvisation.
En dehors des compositions des membres de la formation, le double album comprend un thème d’Andy Emler…
Oui, Black and Force: c’est un thème qu’il a écrit, au départ, pour un ensemble de tubas autour de François Thuillier, Tubafest, ce n’est pas un thème du MegaOctet. Un jour, en discutant avec lui, lors d’une session de répétitions du MegaOctet, il m’a dit qu’il aimerait bien écrire une composition pour MikMâäk: Andy est un compositeur incroyable. J’ai tout de suite accepté. Il m’a demandé quelle était l’instrumentation exacte de MikMâäk et il a arrangé cette pièce pour nous.
Depuis l’enregistrement de l’album, y a-t-il de nouvelles compositions?
On a encore des compositions qu’on n’a pas mises sur l’album et qu’on doit encore travailler. Comme on ne joue pas toutes les semaines, et qu’il y a parfois des remplaçants, il est difficile d’organiser des répétitions spécifiques pour travailler ces pièces. Fabian est aussi en train d’écrire de nouveaux morceaux. Guillaume et moi, nous en avons aussi. Mais il faut du temps pour concrétiser tout cela.
Il y a d’autres projets de festival?
On joue le 13 mai au festival Jazz à Liège: c’est officiel.
Une telle formation n’est pas concevable sans projet de résidence…
C’est une volonté. On pourrait attendre juste les concerts dans de gros festivals mais ce n’est pas cela l’esprit que j’ai envie d’avoir pour cette formation. J’adore l’idée de jouer régulièrement: c’est non seulement une réunion de copains, mais une joie de jouer ensemble. Tous les musiciens sont contents de se retrouver à intervals réguliers. Musicalement, cela permet d’évoluer, de créer de nouveaux morceaux.
Le 23 janvier, au River Jazz Festival, tu as obtenu une carte blanche…
Oui, c’est une soirée un peu spéciale où je vais jouer avec trois projets complètement différents et dans trois endroits distincts, avec un laps de temps assez court entre chaque concert. L’idée, c’est de faire autre chose que du Mâäk. Le premier concert se déroule à la Jazz Station, à 18 heures, en quartet avec de vieux comparses: Kris Defoort au piano, Nic Thys à la contrebasse et Dré Pallemaerts à la batterie. C’est l’idée d’un quartet un peu plus traditionnel mais qu’on va arranger à notre manière. Ensuite, à 20 heures, au Senghor, je reprends le projet avec Ghalia Benali au chant: le quintet de Mâäk, plus Ghalia, Moufadhel Adhoum à l’oud et Firas Hassan aux percussions. On termine au Marni, à 22 heures, avec un sextet inédit, un peu plus jazz, plus festif, avec des morceaux plus ouverts. Il y aura Grégoire Tirtiaux au baryton, Quentin Manfroy à la flûte, Niels Van Hertum au tuba, Sam Gerstmans à la contrebasse et Eric Thielemans à la batterie: des musiciens de générations différentes.
Si on revient à Ghalia Benali, elle avait fait partie d’une formule de Mâäk à deux chanteuses avec Anne Van Der Plasch…
Oui, c’était un chouette groupe, avec Jeroen, Nic Thys à la contrebasse et Eric Thielemans à la batterie. On avait joué ensemble pendant quelques mois.
En février et mars, tu participes, avec Mâäk au Jazz Tour. Avec de nouvelles compositions par rapport à l’album Nine?
Oui, on a cette chance-là. On a une bonne dizaine de concerts. On va en profiter pour travailler un tout nouveau répertoire mais en reprenant aussi d’anciennes compositions. L’idée est d’amener au minimum un morceau chacun. Moi, je vais essayer d’en amener deux. Tout cela, avec le projet d’enregistrer un nouvel album, sans doute début 2017.
En parallèle, tu continues à jouer dans le MegaOctet d’Andy Emler qui vient de sortir un nouvel album: Obsession 3…
Oui, avec cette idée de proposer tous les morceaux en trois temps. L’album précédent s’appelait E total parce que tous les morceaux étaient en mi. Pour Obsession 3, Andy a tout écrit en trois temps. C’est assez comique…
Pour Andy Emler, la contrainte semble avoir un côté ludique et devenir une source d’inspiration, comme pour Perec en littérature…
On n’en a jamais parlé, je ne sais pas d’où cette idée vient mais ça donne quelque chose d’assez particulier. Tous les morceaux se lisent en trois temps, même s’il y a parfois des changements: ça sonne parfois en quatre.
Pour Obsession 3, il y a un changement dans la formation: Guillaume Orti remplace Thomas de Pourquery…
Oui, d’abord Guillaume a souvent été invité comme remplaçant et Thomas développe fort sa carrière personnelle, ses projets et ses propres groupes. Du coup, les premières répétitions et les premiers concerts d’Obsession 3 se sont faits avec Guillaume. A ce moment-là, Andy a décidé que c’était plus logique d’enregistrer avec lui.
Le MegaOctet a une identité forte: on reconnaît la ‘patte’ d’Andy Emler dès les premières mesures…
C’est évidemment la plume du compositeur mais aussi, comme dans Mâäk, il y a cet esprit de fraternité, de continuité: les gens se connaissent et travaillent ensemble depuis longtemps. On s’amuse beaucoup aussi dans ce groupe. Chacun a une bonne place dans le groupe.
Dans l’album, tu as pas mal de solos…
J’ai une belle intro sur Trois total où je peux m’amuser avec des sonorités originales, comme j’aime le faire et puis, il y a une ballade: Balallade 2. Avant d’écrire, Andy m’avait demandé ce que je voulais comme thème. J’ai choisi une ballade, avec des accords, pour ne pas jouer free.
Cette volonté participative se voyait très bien dans le DVD Zicocratie de Richard Bois…
C’était assez étonnant comme projet. Lors des répétitions d’E Total, il avait invité des personnalités de domaines très différents: la politique, le sport, l’armée, la communication. Mais tous avaient une fonction de management. L’idée était d’observer la manière de gérer un groupe. Les gens étaient très étonnés parce qu’ils ne s’imaginaient pas du tout comment cela fonctionnait en musique, ils ne s’imaginaient pas tout le travail qu’il y a en amont. Comme je suis “extérieur gauche” dans la formation, j’étais toujours à côté d’un invité. C’était chouette, parce que, durant les répétitions, j’expliquais le rôle de chacun. C’était une belle expérience. Andy est le compositeur et c’est lui qui doit trancher lorsqu’il y a des décisions à prendre, mais il n’est pas un despote qui décide de tout, il laisse les choses assez ouvertes, il intègre les suggestions de chacun: cela rejoint la démarche de Mâäk.
Dans le DVD, on voit que tu interviens souvent pour donner ton avis…
Comme dans Mâäk, j’assume en partie un rôle de leader des souffleurs: j’ai l’habitude de faire des signes, de signaler des démarrages.
Tu as encore d’autres projets?
Le nouveau projet qu’on va présenter avec Mâäk, au Théâtre 140, le 30 septembre et 1er octobre 2016 et puis dans différents endroits: c’est une nouvelle formule avec cinq danseurs de Ouagadougou. Cela fait plus de 15 ans qu’on travaille avec les musiciens traditionnels africains autour des musiques de transe: les Gnawas du Maroc, les chasseurs bambara du Mali, les Vaudous du Bénin et, au Burkina Faso, j’ai rencontré un super chorégraphe qui s’appelle Salia Sanou, il est très connu dans le milieu de la danse. En me promenant dans un centre chorégraphique, qui s’appelle La Thermitière à Ouagadougou et dans lequel je suis souvent allé, j’ai adoré l’énergie, tout ce qui émanait de cet endroit et j’ai proposé à Salia Sanou de faire un projet avec des danseurs. C’est le projet Electro Kawral, un quintet avec Giovanni Di Domenico au Fender Rhodes, Nico Roig à la guitare basse, Joao à la batterie, Lynn Cassiers à la voix et aux effets électroniques, plus moi à la trompette, avec des tas d’effets, des pédales d’effets, des loops, les cinq danseurs et un éclairagiste qui est sur scène avec nous, qui peut se promener, changer les éclairages de place. On sort de dix jours de résidence. C’est un très chouette projet. Hier, j’ai fait une conférence de presse à Paris parce que le projet va être présenté à la Biennale du Val de Marne, dans un grand centre qui s’appelle La Briqueterie, en 2017.
D’autre part, lors de certains voyages, notamment au Burkina Faso, j’ai rencontré des “soufflants”, ce qu’on appelle là-bas des “Ventistes”: trompettes, trombones, tubas, saxophones. L’idée était de fédérer ces musiciens, de travailler ensemble. On a fondé un projet avec une école d’art sur place, appelée les Ventistes du Faso que je mène avec Toine Thys. Nous les voyons 3 à 4 fois par an, avec 30 à 50 soufflants et il y a une personne responsable sur place, le saxophoniste Robert Tengueri, qui les dirige quand nous ne sommes pas là. C’est un projet soutenu par Wallonie-Bruxelles International et qui va sûrement perdurer jusqu’en 2020. Les projets ne manquent donc pas.
(1) Les illustrations de cet entretien sont tirées du reportage photographique réalisé par Laurent Poiget, à l’occasion du concert donné par Mâäk Spirit, le 24 novembre 2015, au Centre Wallonie Bruxelles de Paris, dans le cadre du Be.jazz Festival.