Géraldine Laurent, At Work
Géraldine Laurent, At Work
(GAZEBO)
Géraldine Laurent fait partie de ces rares musicien(e)s dont je reconnais désormais le son, le phrasé, bref la présence, à la simple écoute d’un disque. Ce n’est pas rien. Non que je sois doté d’une oreille particulièrement exercée (au contraire, en tant que non musicien je n’ai que les repères incertains de mon organe d’écoute), mais la multiplication des solistes de talent rend la chose souvent très difficile, et la superposition des traits d’identification rend la plupart du temps le « blindfold test » très hasardeux. Essayons d’en dire quelque chose : le phrasé de la saxophoniste est repérable, à mon sens, à cette sorte de douce précipitation avec laquelle elle construit ses solos. Donc un « speed » très classique du bop, mais ici effectué de façon discrète et presque timide, comme si elle hésitait à tout dire et à tout montrer ce qu’elle sait faire. Dans ses lignes, les notes fantômes chères à Parker sont moins sous-entendues que réellement entendues dans les dessous. Autrement dit on les entend vraiment, mais dans une sorte de discours intérieur. « Odd Folk » est la parfaite illustration de tout ça. Le son de Géraldine Laurent est d’une très grande douceur, en même temps qu’il s’impose, s’affirme et se fait entendre. Elle n’hésite pas à le propulser vers l’avant, vers nous, mais sans la moindre intention d’en faire démonstration. Il y a comme une assurance, une certitude, mais en même temps une façon de retenir l’affirmation. « At Work », elle s’avance avec tranquillité, et comme une sorte de modestie. Cela retient et l’attention, et l’adhésion. Rien de plus inutile, quand on choisit un certain langage, que de l’affirmer avec ostentation. Dans les tempos retenus (« Another Dance », « N-C Way ») et bien sûr dans les ballades, la saxophoniste montre les qualités que nous venons de détailler, avec aussi une tendresse qu’elle s’efforce de cacher en partie. Petit à petit on s’attache à cette dame (puisqu’on sait que c’est elle) dont la forte présence est faite de toutes ces choses fragiles que nous aimons. Les solistes qui l’accompagnent, qui prennent leur part dans la construction de cette belle musique, partagent les mêmes intentions. Et l’on sait que Paul Lay a tant de talents que celui d’être juste là où il faut quand il faut ne peut lui échapper. Quant à Yoni Zelnik et Donald Kontomanou (entendus récemment auprès de Yonathan Avishai) ils savent aussi à la perfection être constamment présents sans occulter quoi que ce soit de la musique qui naît. Un disque magnifique, une musique dont on connaît bien les codes, mais qui surprend de nous dire tant de choses nouvelles. Le répertoire est constitué de compositions de Géraldine et de trois « standards » signés Jobim, Monk et Mingus. Très belles notes de pochette de Laurent de Wilde.