Veryan Weston – Trevor Watts
Veryan Weston – Trevor Watts
At Ad Libitum
(FOR TUNE)
Dialogues For Ornette
(FMR)
Quatrième et cinquième album de ce duo, sous le signe du Dialogue. Ces enregistrements apportent encore une part de lyrisme, de fougue, de réflexion supplémentaires à l’art d’improviser. Nos duettistes sollicitent toutes les ressources musicales et instrumentales des saxophones alto et soprano et du piano. L’hommage à Ornette Coleman c’est parce que Trevor Watts s’en était fortement inspiré dans les années 1960. On dira que cette musique n’est pas neuve. Il s’agit du bon vieux free-jazz de papa dans sa version libérée. D’accord en théorie. Mais en pratique, celui qui a visité les continents discographiques qui témoignent de l’évolution de cette musique conclura qu’il s’agit bien d’une démarche singulière, et rare. Comptez le nombre d’albums du soit-dit jazz libre enregistrés et publiés avec un saxophone et un pianiste, écoutez et comparez leurs contenus ? Vous verrez qu’on tient ici un véritable diamant à la fois brut et taillé d’innombrables facettes qui s’emboîtent à merveille. Et quelle merveille ! Tous les affects de la relation entre deux improvisateurs à l’écoute l’un de l’autre, leur concentration, leur imagination, la sensualité du saxophoniste, la logique du pianiste, l’émotion et leur entente, tout concourt à faire de leurs albums autant de chefs d’œuvre. Trevor Watts, le saxophoniste et Veryan Weston le pianiste ont collaboré aux plus ambitieux orchestraux de Coleman, Moiré Music, et le pianiste en était la pièce maîtresse pour ce qui concernait la contingence des multiples rythmes et la construction harmonique de cette tour de Babel syncrétique. En l’écoutant trois décennies plus tard, on se pince en se disant que ce n’était donc pas un mirage. On croyait Trevor Watts perdu dans ses Moiré Drum Orchestra, en compagnie du batteur Liam Genockey et des maîtres percussionnistes africains de l’Ouest, pour une kyrielle de festivals de musiques du monde entre l’Amérique Latine et le fin fond de l’Asie.
Mais après avoir été séparé par les aléas de l’existence, Trevor a retrouvé Veryan en 2001 pour les superbes “Six Dialogues”, publiés chez Emanem et non réédités depuis. Le duo avait fonctionné à plein régime dès ce premier jet. Sans doute avaient-ils travaillé au préalable. Pour Trevor Watts, c’était son premier retour dans l’improvisation totale, depuis l’époque héroïque et l’album Japo avec John Stevens, Howard Riley et Barry Guy, “Endgame” (1979). Mais il vous dira qu’il n’a jamais cessé d’improviser dans son exploration de la composition, basée sur les rythmes complexes ! Car, comme il tient à le préciser, il n’a jamais quitté, ce faisant, l’esprit communautaire de la free -music dont il est un des pionniers en Europe avec Fred Van Hove, Alexander von Schlippenbach, Peter Brötzmann, Han Bennink, Willem Breuker, François Tusquès et cie. Il leur reste un autre album studio, “5 More Dialogues” (Emanem 5017) aussi magnifique que le précédent, car depuis, comme pour bien montrer que ce duo est une aventure musicale primordiale pour eux, ils ne produisent plus que des enregistrements de concerts, dont une superbe vidéo publiée en dévédé par FMR : “Hear & Now” où le duo est complété par le tandem John Edwards (contrebasse) et Mark Sanders (batterie), ainsi qu’un extraordinaire double album “Dialogues in Two Places” (Hi4Head). Aujourd’hui, un enregistrement live, capté en 2013 à Varsovie “At Ad Libitum”, et un autre en hommage à Ornette Coleman enregistré au Bimhuis (Amsterdam), montrent combien leur capacité à improviser est phénoménale. L’invention à l’état pur. Veryan Weston jongle avec de très nombreuses formules rythmiques et une conception étendue de l’harmonie au clavier. Tous ses arpèges et doigtés sont mus par une articulation puissante qui construit une architecture tridimensionnelle dans l’espace d’une grande clarté. Le saxophoniste peut s’envoler comme un oiseau, rugir comme un lion avec un son rutilant d’une plénitude rare, fractionner le spectre sonore… avec une des plus belles sonorités qui soit. Cette sonorité exemplaire, même quand elle anime des motifs mélodiques évidents, ne tombe jamais dans la joliesse, grâce à cette propension à étirer les notes avec un sens précis des commas qui altèrent les intervalles, créant ainsi des tonalités et des modes éminemment personnels. Bref, on le reconnaît dès la première écoute. Sa maîtrise musicale lui permet d’éviter les tics et les emprunts à lui-même. Une fois conquis par le lyrisme de ce duo, vous le réécoutez et parcourrez leurs albums. Watts et Weston vous subjuguent par ce renouvellement constant de leur inspiration. Dans l’album “Dialogues For Ornette”, il y a aussi deux plages enregistrées au Brésil où Veryan Weston joue sur un clavier électronique, ce qui vaut son pesant de cacao (Quantum Illusions). Prions que ce duo rare puisse enregistrer dans d’autres grandes villes européennes, et nous envoyer ainsi d’autres moments de pur bonheur de ce calibre !
Jean-Michel Van Schouwburg (Orynx Blog ICI)