Jean-François Foliez : son terrain de jeux
Jean-François Foliez’s Playground
Au carrefour des styles et des disciplines artistiques.
Propos recueillis par Claude Loxhay
Photos de Robert Hansenne
Alors que sort “Lagune”, premier album personnel de Jean-François Foliez sur le label Igloo, rencontre avec le clarinettiste liégeois : il évoque son parcours, sa formation Playground, ses concerts, le premier à Bruxelles, le 23 avril, à la Jazz Station avec son quartet, le deuxième, le 29 avril, au Théâtre de Liège, avec son projet Creative Playground et son ensemble orchestral, ses invités musiciens (Steve Houben, Garrett List, Jean-Pierre Peuvion et Guy Cabay), des danseurs et un dessin animé conçu par Mathieu Labaye de Caméra Etc. Un musicien au carrefour des styles et des disciplines artistiques.
Au carrefour des styles, l’expression se vérifie déjà au niveau de tes études, d’abord à Maastricht, avec le saxophoniste et clarinettiste Claudius Valk…
Oui, je suis allé à Maastricht pour étudier le jazz. Avec Claudius Valk, j’ai fait essentiellement du saxophone. Je participais aussi à un projet de musique pour film muet : des films de Buster Keaton, par exemple. C’est pour cela que, pour Creative Playground, je tiens à intervenir avec l’image, d’être influencé par elle. On va jouer face à l’écran à ce moment-là.
Après, tu es passé au Conservatoire de Liège, dans la classe de musique de chambre de Jean-Pierre Peuvion…
Oui, avec lui, et avec Benjamin Dietel, j’ai étudié la clarinette classique. Mais Jean-Pierre Peuvion n’a pas été seulement important au niveau pédagogique mais aussi humain. Il m’a fait découvrir d’autres univers comme la musique de Webern, il m’a incité à faire des travaux de recherche. J’ai ainsi fait partie d’un ensemble de musique contemporaine, on a notamment joué une pièce de Pierre Bartholomée. L’enseignement au Conservatoire de Liège est décloisonné, j’ai pu découvrir d’autres horizons.
As-tu participé à la classe d’improvisation de Garrett List ?
Non, Garrett, je ne l’ai rencontré vraiment que lorsqu’il a fait ses auditions pour l’Orchestra Vivo : j’ai alors mis le pied à l’étrier.
Pourquoi as-tu choisi la clarinette ? S’il y a eu beaucoup de clarinettistes à l’époque du New Orleans et du swing, peu de musiciens choisissent cet instrument depuis la période bop…
J’ai toujours fait de la clarinette, depuis l’âge de 4 ans, plus ou moins en autodidacte et j’ai étudié le solfège à l’Académie de Huy. Je suis ensuite entré au sein du Big Band de Liège, où là j’ai dû jouer du saxophone plutôt que de la clarinette. J’y suis entré pour faire des remplacements. Là, j’ai commencé à improviser, à jouer des pièces de Glenn Miller ou de Count Basie. J’ai notamment joué à Chatel en Suisse L’orchestre a aussi rendu un hommage à Sadi, lors du Jazz à Liège de 2007, avec Guy Cabay en invité. J’ai ainsi mis le pied à l’étrier avec l’improvisation. J’ai aussi fait différents stages, notamment avec Eddie Daniels. Je me suis aussi inscrit à l’Académie d’Amay.
Si on regarde les groupes auxquels tu as participé, comme Music 4 a While, Gypsy Swing Quintet, Orchestra Vivo ou le projet Night Stork du guitariste Emmanuel Baily, l’expression « carrefour des styles » convient parfaitement, avec souvent des complices qui font le pont d’une formation à l’autre…
Oui, Music 4 a While, avec Johan Dupont (piano, arrangements), était tourné vers la musique baroque. J’y ai côtoyé Joachim Ianello (violon) et André Klenes (contrebasse) que j’ai retrouvés dans Gypsy Swing, un groupe avec lequel je ne joue plus beaucoup. Par contre, je continue avec Joachim et Johan dans les Swing Barons : on va faire un spectacle, dans la grande salle du théâtre de Malines en septembre, avec Renaud Crols au piano, Laurent Vigneron, le batteur de Big Noise et avec deux danseurs.
Tu retrouves aussi ces complices dans Orchestra Vivo…
Oui, je retrouve Johan et André au sein de Vivo, mais aussi certains musiciens présents sur Lagune, comme Adrien Lambinet.
Et dans Vivo, il y a Emmanuel Baily…
Oui, on s’est connu au sein de l’orchestre, Garrett est un peu l’instigateur de ce processus de recherche. Il m’a beaucoup influencé et inspiré sur le fait de rassembler des gens dans une constante recherche de création, de découverte de choses nouvelles. Night Stork est aussi un beau métissage de traditions musicales : clarinette et cornet à bouquin, guitare et oud.
Comment as-tu rencontré le pianiste Casimir Liberski ?
Je l’avais rencontré lors d’un stage de jazz, il y a environ 20 ans, j’avais alors 16-17 ans et il m’avait déjà beaucoup marqué à l’époque. C’était déjà la star du groupe au stage. Puis il est parti aux États-Unis, j’ai un peu suivi son parcours par internet mais je n’avais pas encore vraiment joué avec lui. Quand il est revenu à Bruxelles, j’ai vu qu’il avait joué avec un ami, le vibraphoniste Martin Méreau. Je l’ai contacté et je lui ai demandé de venir jouer avec moi à Liège : on a testé une première rencontre, on a notamment joué à la Caserne Fonck, lors de l’anniversaire de la Maison du Jazz, avec Vilmos Csikos, le contrebassiste de Roby Lakatos. A partir de là, je lui ai demandé de participer à mon projet.
Pendant combien de temps ce projet a-t-il mûri ?
Ca a évolué : j’ai commencé à écrire certaines compositions alors que j’étais toujours au Conservatoire de Maastricht. J’avais 17 ans, je testais déjà des formules. J’ai formé un groupe avec Johan Dupont au piano, Félix Zurstrassen à la basse et Laurent Delchambre à la batterie. On a joué au Gaume Jazz, c’était déjà mes compositions. Le projet a évolué pour démarrer vraiment il y a un an et demi, avec Casimir.
Comment as-tu choisi le bassiste Janos Bruneel ?
C’est sur un conseil de Casimir qui avait déjà beaucoup joué avec lui. On était à la recherche d’un contrebassiste qui lisait parfaitement la musique et était très efficace pour décortiquer les arrangements, notamment au niveau de la polyrythmie. Il va jouer, aux Pays-Bas, avec le guitariste Kurt Rosenwinkel (il a joué avec Brad Mehldau et Mark Turner). Ils jouent tous avec des stars : Casimir avec Stanley Jordan (guitare), Jeff Tain Watts et Tyschawn Sorey, deux redoutables batteurs.
Et Xavier Rogé ?
C’est via Manu Baily que je l’ai rencontré. Il m’a dit qu’il venait d’arrêter de jouer avec Ibrahim Maalouf, il était à la recherche de nouveaux groupes. Il était intéressé par le projet. On a fait un test qui s’est très bien passé : c’est un redoutable batteur aussi.
L’album comporte dix compositions originales…
Oui, une de Janos, une de Xavier, et j’ai composé les 8 autres. La première composition, Lagune, est une pièce qui s’apparente à la musique de film. A la base, j’avais composé le thème pour 30 musiciens. On l’a enregistré avec un ensemble de musiciens issus de l’Orchestre Philharmonique ou de l’Orchestre de l’Opéra de Liège. Je trouvais que la musique se prêtait à un support visuel : j’ai donc investi dans un clip qui coûte cher et que j’ai financé sur fonds propres. J’ai demandé à Mathieu Labaye du studio Caméra Etc de réaliser le film. Dans un premier temps, Lagune va être distribué avec la version enregistrée en studio puis il y aura une version live : on va jouer en direct, ce qui permettra de comparer les deux versions. Dans la version live, on sera influencé par les images, on ne jouera pas de la même façon : on doit être raccord avec les images et, pour cela, chacun aura une oreillette. Platinum est un mélange de klezmer et de musique latine : je suis influencé par des musiciens comme Paquito D’Rivera ou Tito Puente. Labirinos est une composition plus vieille, une ballade que j’ai écrite il y a quelque temps. Germination est une composition plus récente, qui est en 7. Turquoise, c’est la composition de Janos, avec une version orchestrale aussi : c’est un hommage à Blue In Green de Miles Davis, d’où le titre. Electrotest, c’est vraiment du swing, assez vif au départ : quand je l’ai écrit, je pensais à Caravan Palace (groupe français de musique électro influencé par la musique manouche). C’est sur ce morceau que les danseurs vont faire leur performance : Sep Vermeersch et Alexia Legoueix. Africana est un thème avec des rythmes africains, une harmonie assez complexe sur laquelle Casimir joue du Fender Rhodes, avec un son un peu différent. Mr Moustache s’apparente plutôt au tango et à la milonga. D’ailleurs, j’avais d’abord pensé à faire appel à des danseurs de tango, puis cela ne s’est pas concrétisé. Récurrence, le morceau de Xavier, est écrit en 17, c’était assez gratiné pour l’ingurgiter mais le résultat final est très réussi. Le morceau est très bien écrit. Et Waltz 50 sticks, la valse, est le premier morceau que j’ai écrit, quand j’étais encore au Conservatoire de Maastricht.
Sur Lagune et Turquoise, tu as invité un ensemble orchestral réunissant un quatuor à cordes mais aussi des bois et des cuivres…
Oui, un quatuor constitué des violonistes Maritsa Ney, Martin Lauwers, Violaine Miller et François Deppe mais aussi une flûte (Marie Watelet), un basson (Joanie Carlier), un hautbois (Sébastien Guedj), Adrien Lambinet au trombone et Johan Dupont… cette fois à la trompette ! Au Théâtre, Antoine Dawant le remplacera.
Pour la sortie de l’album, tu as prévu deux concerts…
Oui, le premier, le 23 avril, à la Jazz Station de Bruxelles, avec le quartet, puis le 29 avril, dans l’écrin du Théâtre de Liège pour Creative Playground, avec différents invités : Steve Houben Garrett List, Jean-Pierre Peuvion et Guy Cabay. Je ne les ai pas choisis par hasard : c’est des gens qui m’ont beaucoup aidé, inspiré et influencé. Jean-Pierre Peuvion a été mon professeur de clarinette au Conservatoire mais pas seulement : il m’a donné des becs, il m’a poussé dans certains travaux de recherche. Steve Houben, chaque fois que je le voyais, il me donnait des conseils sur le phrasé, sur l’harmonie. C’est un musicien précieux, un des grands maîtres en Belgique et au niveau international. Guy Cabay, j’ai été chez lui plusieurs fois, pendant plusieurs heures, il me montrait des choses au piano. Je l’avais croisé au sein du Big Band de Liège mais aussi à la Fête du Coucou à Polleur. J’ai d’ailleurs une photo sur laquelle on nous voit tous les trois avec Steve. Garrett List m’a incité à m’intéresser à la musique d’orchestre, ce que je peux pratiquer avec le Vivo mais aussi à écrire de la musique pour orchestre. On va écrire une pièce pour l’inauguration du nouveau Musée d’Art Moderne de la Boverie à Liège. On va faire une promenade antiphonale. Il faut que j’écrive quelque chose pour l’occasion. Le but c’est de jouer en fonction de la disposition du lieu pour réaliser quelque chose de particulier. On a procédé de la même façon pour le Musée Curtius : je m’étais inspiré de l’Aria de Bach, en distribuant des voix de manière à créer des relais en huit qui circulaient sur deux étages.
Le thème de l’exposition pour la réouverture du musée, c’est « En plein air », en collaboration avec le Louvre…
Oui, on écrit à partir de tableaux. Moi, j’ai choisi une Veduta, à l’époque du défrichage des forêts, des tableaux sur Paris. Les gens du Louvre seront là : c’est un projet très motivant. On réalisera ainsi un nouveau mélange entre disciplines artistiques. Pour la pochette, on s’est inspiré de Dali, avec une démultiplication de la clarinette. A côté de la photo du groupe faite par Jos Knaepen, la photo de couverture est une réalisation de Kwac Studio, et celle de la clarinette, à l’intérieur du digipack, est de Samuel D’ippolito, un artiste qui est en train de faire parler de lui.
Le dessin animé pour Creative Playground est réalisé par Mathieu Labaye de l’équipe d’animation Caméra Etc…
Il y a eu un vrai travail de recherche au niveau du support visuel. Au départ, on a commencé à écrire des scénarios à réaliser en prises réelles et non en dessin animé. Et puis, à force de réfléchir, on s’est dit que, pour une musique au caractère assez fantastique, assez surréaliste, c’était mieux de passer par du dessin animé. Je pensais obtenir un subside, je ne l’ai pas eu, j’ai donc dû prendre cela en charge tout seul. J’ai un peu regardé ce qui se faisait : j’ai vu que Manu Louis avait lancé un clip réalisé par Mathieu Labaye. Tout de suite, cela m’a parlé : un dessin très moderne, très en rapport avec l’époque. Je l’ai contacté : il trouvait le projet intéressant mais le délai un peu court. Mais, finalement, il a accepté et a réalisé le dessin animé avec Hannah Letaïf qui a été nominée aux Magritte. Le résultat est assez fameux.
Pour la danse, tu as contacté Sep Vermeersch de Gand, qualifié sur son site de « swing jazz dancer »…
Voilà, ce n’est pas un hasard. J’ai fait pas mal de swing avec Johan Dupont et Joachim Ianello, au sein des Swing Barons. On a joué dans des stages de danse en France, dans des festivals de boogie woogie, au festival de Comblain et au Gouvy Jazz Festival. Cette année, on jouera à Malines. J’aime continuer à travailler avec des danseurs et j’aime jouer du swing.
Tu espères présenter le projet à d’autres dates, dans des festivals ?
J’espère continuer dans cette voie de création, avec la volonté d’écrire de nouvelles choses, d’étendre ce projet mais je veux aussi me produire en quartet : on jouera au Gaume Jazz Festival, le 13 août et j’espère qu’avec l’album, on aura des retombées en Flandre.
Dans cette optique de travail pluridisciplinaire, tu poursuis une tradition liégeoise, incarnée notamment par le Collectif du Lion…
Mon but est de créer une émulation, un métissage des disciplines parce que, à l’heure actuelle, à mon avis, on ne mélange pas toujours à bon escient les différentes disciplines. Il faut les mélanger. Je suis allé voir un spectacle d’Ibrahim Maalouf : il mélange une multitude de choses : du mapping, des projections, de la danse. Pour moi, c’est une bonne démarche. Ce n’est pas uniquement promotionnel, c’est beau à voir : il y a une vraie recherche sans que l’on fasse de la pop : il s’agit de rendre la musique plus accessible, qu’il s’agisse de jazz ou de musique classique, en faisant quelque chose d’authentique.