Back to the blues, les racines du jazz !
CHICAGO BLUES FESTIVAL 2010
En attendant le nouveau reportage réalisé par Robert Sacré, à l’issue de son énième voyage aux sources des musiques afro-américaines, voici le compte-rendu de l’édition 2010 du Chicago Blues Festival, un des grands rendez-vous planétaires pour les aficionados du blues !
On pense trop souvent en Europe que les styles musicaux afro-américains traditionnels seraient en voie d’extinction, voire à l’état comateux ! Mis à part le gospel….même si très peu de formations authentiques se rendent en Europe. Il n’y aurait plus de relève, et les interprètes du blues seraient majoritairement « blanc », les voix de la soul auraient les yeux bleus (Eli « Paperboy » Reed, Simply Red et consorts), tandis que le rhythm and blues se réduirait aux Seal, Shakira et autres Lady Gaga formatés pour un public occidental sans mémoire. On entend ici ou là aussi que l’ avenir du jazz se construirait maintenant en Europe, en Asie et en Afrique…
BLUES IN SITU
Pour le jazz, je ne sais pas, sa santé est florissante chez nous , tant mieux, mais pour le blues, le rhythm and blues et la soul music , les « nouveaux » groupes que nous proposent les labels (hormis donc les rééditions des années fastes) constituent bien l’arbre qui cache la forêt ! En effet, pour peu que l’on se donne la peine de bouger, de voyager, de s’informer pour se rendre dans les villes américaines et leurs ghettos, mais aussi dans les campagnes du Sud profond et de la côte Est, sur la West Coast et au Texas, on vérifie que les grands créateurs de l’immédiate après guerre ont bel et bien disparus, mais que la nouvelle génération prend la relève et constitue déjà un vivier extrêmement riche en talents, mais totalement méconnus chez nous. Pas de promotion internationale, pas de clips vidéos sur MTV, seuls des sites comme YouTube ou MySpace cachent quelques pépites qu’il faut bien entendu débusquer ! Ces enfants des étoiles du blues gardent la tradition avec un sens créatif qui n’exclut pas certaines évolutions. Les USA ont beau être dirigés pour la première fois de leur histoire par un président descendant d’esclaves africains, la vie d’une majorité d’afro-américaines demeure difficile, le chômage reste endémique, les logements décents et l’éducation sont encore réservés à une élite, tandis que le racisme est toujours omniprésent. Bref, du Nord au Sud des USA, les conditions d’émergence du blues et des styles musicaux associés sont actuels . En outre, de nombreux créateurs du blues « post-1945″ sont encore fidèles au poste , desservi par l’absence de promotion, mais à l’intérieur du pays. Résultat, ils tournent peu ou pas du tout. L’amateur éclairé doit donc aller les écouter « in vivo », sur leur propre terrain, dans leur cadre de vie.
HOWLIN WOLF
Le festival de blues de Chicago, annuel et gratuit, a pendant trois jours confirmé mes propos. Les concerts se déroulaient à Grant Park , en plein downtown, et ensuite dans les clubs du Southside et du West side, dès 22h00 (le festival fermant ses portes avant 22h). Cette année, le festival proposait un hommage à HOWLIN WOLF ( Chester Burnett) pour le centenaire de sa naissance. Il y eut donc plusieurs forums placés sous la houlette de Dick Shurman où les proches du « Loup Hurlant » ( ses 2 filles, Bettye Kelly et Barbara Marks ) et ses anciens partenaires ont évoqué la vie de ce musicien hors normes, évoquant les péripéties de sa carrière musicale, ses manies, voire ses travers, mais aussi sa grande conscience professionnelle et ses talents d’ harmoniciste, de guitariste et surtout de chanteur. D’anciens piliers de son blues band ont ainsi témoigné : Jody Williams (guitare), Henry Gray (piano), Sam Lay (batterie), Eddie Shaw (saxophone ) et Hubert Sumlin, le génial guitariste qui a contribué d’une manière éclatante au « son » typique de Howling Wolf. Sumlin était un peu le fils adoptif de Wolf. Il est toujours l’inspirateur de centaines de guitaristes blancs tant dans les domaines du rock et même du hard rock ! Chaque forum fut suivi par un public étoffé et les questions fusaient.
En prélude au festival, de nombreux clubs du centre ville, mais aussi ceux des quartiers Sud et Ouest ont ouvert leurs scènes aux bluesmen locaux et aux artistes invités, et ce , dès le début du mois de juin. Un des shows les plus mémorables s’est déroulé au nouveau Buddy Guy’s Legends, LE club par excellence de Chicago, situé au coeur de la ville, sur Wabash Street ( un quartier plus au sud que l’ancien club) avec une affiche alléchante qui mêlait des musiciens invités par le le festival – Otis Taylor, Nellie Tiger Travis, Billy Branch, Carlos Johnson… – et ceux qui auraient pu figurer à l’affiche de cette édition comme Otis Clay, les frères Brooks avec leur père Lonnie, Buddy Guy « himself »…
SMILEY TILLMON
La Dominican University organisait quant à elle un symposium, ainsi qu’un concert de Smiley Tillmon , un revenant dont on reparlera, qui a joué au « The Club Zone » situé sur Western Avenue. Dès le vendredi 11 juin, à partir de 11h30, le dilemme angoissant se posait déjà : quelle scène choisir ? quel artiste ou groupe fallait-il aller écouter en priorité ? Avec deux scènes principales ( Gibson Guitar Crossroads et le Petrillo Music Shell) , trois scènes plus petites ( Front Porch, Zone Perfect Route 66 Roadhouse et Mississippi Jook Joint), ainsi qu’une bonne demi douzaine de petits lieux….le choix était cornélien. Et, même en courant d’un lieu à l’autre et en n’y consacrant que 15 à 20 minutes , la mission était presque impossible. Pour la Front Stage, en plus de vedettes confirmées comme Henry Gray avec Andy Cornett ou encore Jimmy Dawkins avec Taildragger et Georges Brock (avec son fils et sa femme) programmés sur la scène principale, je citerais ici une révélation, Grady Champion , un petit bonhomme plein d’énergie, venu de son Mississippi rural, incapable de rester tranquille, en mouvement perpétuel dans la foule , excellent chanteur et harmoniciste et a donné deux concerts.
Du côté de Street Stage s’étaient le domaine réservé pour Lurrie Bell, Bob Stroger, Kenny Smith, Barrelhouse Chuck et d’autres. Mais, et il fallait s’y attendre, le meilleur viendra d’un concert des anciens partenaires de Howling Wolf : Jody Williams, Henry Gray, Sam Lay, Abb Locke, Eddie Shaw, Corky Siegel et Hubert Sumlin. Les plus grands succès du Wolf y ont été recrées avec panache, avant de subir le concert d’Otis Taylor qui n’est pas tout à fait à sa place dans un festival de blues, avec son show construit autour d’une mixture pop-rock teintée vaguement de soul. Le concert suivant allait nous réconcilier rapidement, grâce à la prestation fabuleuse produite par la réunion de James Cotton et Matt Murphy , un des meilleurs, sinon le meilleur harmoniciste actuel. Deux icônes du blues qui ont gardé toute leur virtuosité et, leur inventivité. La soirée se clôturait avec Zora Young, accompagnée par Hubert Sumlin.
SAMEDI SEXY
Le samedi sera un peu plus calme. Mais sur la scène de Front Porch on a pu entendre Bobby Dixon ( fils de Willie) , Nora Jean Wallace, André Williams ( avec deux danseuses très sexy!). Quant au Gibson Gt Crossroads , Sugar Blue puis Sonny Rhodes se sont taillés un beau succès populaire, alors que le vétéran David Honeyboy Edwards (un contemporain de Robert Johnson) animait le Mississippi Jook Joint, suivi de Bill Perry et quelques autres. Quant aux concerts du soir sur le Petrillo Music Shell , Nellie Tiger Travis en ouverture nous a déçu. Son show représente une forme de blues très contemporain contaminé par une soul music assez terne. Ensuite, le Blue Night Band du Texan Bobby Parker fera l’unanimité, surtout grâce aux cuivres percutants.! Enfin, la clôture sera confiée à un « all stars » de musiciens de Chicago : Billy Boy Arnold, Billy Branch, John Primer, Lurrie Bell, Carlos Johnson… pour une relecture brillante des grands classiques du blues.
CHICAGO BLUES REUNION
Dimanche, troisième et dernier jour, avec Guitar Shorty comme attraction principale sur la Front Porch, tandis que le Gibson Gt Crossroads drainait la grande foule avec Quintus McCormick, suivi d’un duo de guitaristes de choc : Carl Weathersby et Larry Mc Cray, avant de la soul haut de gamme distillée par Roy Roberts et Barbara Carr.
La scène du Mississippi Jook Joint proposait elle aussi une affiche de haut niveau avec Jimmy Duck Holmes, Terry Harmonica Bean ( le Mississippi blues rural, « Bentonia style ») suivi de Bobby Rush et de quelques autres. Enfin, du côté de la Petrillo Music Shell , le pianiste Erwin Helfer et son Chicago Boogie Woogie Ensemble ont savamment chauffé le public pour Vivian et Vance Kelly dont le soul blues très hot a fait monter la température à un niveau tropical ! Comme pour les soirées précédentes, un « all stars » pour la fin du festival : une Chicago Blues Reunion mémorable avec Barry Goldberg, Corky Siegel, Nick Gravenites , Harvey Mandel et leurs invités, Sam Lay et Charlie Musselwhite.
Comme évoqué, hors festival, après 22h00, on n’en finirait pas d’énumérer tous les concerts organisés par les clubs de Chicago. On se limitera de mentionner ici la soirée spéciale du « Reggie’s », le samedi, où se sont produits Bobby Parker, Jimmy Dawkins, Rocking Johnny, Ardella Williams, Smiley Tillmon, Charles Hayes, Cadillac Zack…
Bref, peut-on imaginer un festival de ce niveau en Europe ? Pour vivre cette expérience unique , il est sans doute plus simple de casser sa tirelire et de crier : « Chicago Here I Come »….
Robert Sacré