Ralph Towner, My Foolish Heart

Ralph Towner, My Foolish Heart

Ralph Towner, My Foolish Heart

ECM RECORDS

Ralph Towner signe ici son 24ème album sous son nom chez ECM. Ne comptons pas ceux réalisés chez Vanguard, CamJazz ainsi que ses diverses participations à d’autres albums mythiques d’ECM aux côtés de Jan Garbarek, Eberhard Weber, Jon Christensen, Kenny Wheeler, Egberto Gismonti, Keith Jarrett, Gary Peacock, Eddie Gomez, Jack DeJohnette, John Abercrombie, Wolfgang Muthspiel, Paolo Fresu, Peter Erskine… Et, bien sûr, aussi les 29 albums d’Oregon, groupe phare qu’il a fondé en 1970 et qui existe toujours actuellement malgré des arrêts forcés, notamment par la disparition tragique du percussionniste-sitariste Collin Walcott. Oregon va d’ailleurs sortir un nouvel album prochainement. Vous trouverez la discographie complète sur www.ralphtowner.com.  “My Foolish Heart” a été enregistré il y a un an, et sort à l’aube de ses 77 ans. C’est une nouvelle perle à ajouter à ses autres albums solo. On sent la maîtrise et la maturité, pas besoin de démonstration technique, pas une note de trop ni trop peu : le phrasé juste, sans verbiage. Ici, pas de re-recording mais bien du solo live en direct, sans artifice. Pas d’effets, de pédales, de loops et autres machines, non, rien que le contact des doigts directement sur les cordes, de la guitare polyphonique en solo, à l’image des pianistes. Towner est d’ailleurs d’abord pianiste. Il a commencé la guitare classique à 22 ans. Son approche et son utilisation de la guitare en jazz constituent son image de marque directement reconnaissable. Ce qui l’a d’abord attiré dans la guitare classique, c’est la possibilité d’approcher la musique et l’improvisation comme un pianiste : la cohabitation permanente de la mélodie, de l’harmonie et du rythme. L’album s’ouvre avec un thème (Pilgrim) au mouvement mélodique soutenu mais harmoniquement limpide. L’improvisation se développe en question réponse avec un riff simple en Mimineur modal. Une évocation ou une référence à la musique ancienne européenne. I’ll Sing To You est une mélodie claire en léger rubato et aux harmonies résolument jazz. On découvre la maîtrise de Towner dans le contrôle du son et des différents choix des attaques. L’improvisation est bien menée, il maintient le tempo tout en jouant sur l’oscillation du rubato, on sent tout l’art de Ralph pour garder le timing dans la liberté ou son contraire… pas de laisser-aller mais une souplesse toute musicale et en finesse. Saunter est un morceau swing dans lequel on sent l’influence de Bill Evans. Ici, on est dans le vif du sujet, un swing clair au service des harmonies et du thème. Oui un swing clair et subtil comme on pourrait l’entendre chez Bill Evans en trio avec Scott La Faro et Paul Motian. Une impro bien ciselée sur les harmonies avec un interlude sur une pédale avant de reprendre le thème. My Foolish Heart : nous voici à la référence à Bill Evans, évoquée dans le titre de l’album, et dans les Liner Notes écrites par Ralph lui-même. Ce qui est exceptionnel ! Même s’il le personnalise très fort, son attachement à la version de Bill Evans transparaît plus que jamais, jusque dans la Coda. Towner a toujours été un inconditionnel de Bill Evans et ce dernier l’a influencé dans sa manière d’aborder l’improvisation solo à la guitare classique, mais aussi dans la manière de composer (formes des morceaux, recherches harmoniques). Les références à Bill Evans tout au long de la carrière de Towner ne manquent pas : différentes versions de Blue in Green, Time Remembered, Nardis, Waltz For Debby, Re : Person I Knew, Gloria’s Step de Scott La Faro, la composition de Towner Very Late qui fait référence au Very Early d’Evans… Dolimiti Dance est une composition influencée par la musique traditionnelle italienne, l’Italie où il a élu domicile depuis des années. Le son de Towner, c’est aussi bien sûr sa maîtrise incontestée et unique de la guitare à 12 cordes sur laquelle il utilise la technique de la guitare classique ! Ce Clarion Call est léger et aérien mais truffé d’harmonies surprenantes qui le pimentent délicatement. Ralph joue des contrastes sans cesse et magnifie la 12 cordes de façon unique. Retour à la guitare classique avec Two Poets où il nous démontre son art de la composition avec des tensions mélodiques et harmoniques mais sans lourdeurs et qui entrera de façon limpide dans l’oreille de l’auditeur car il sait mettre de l’air où c’est nécessaire. Shard et Ubi Sunt dessinent, à mon sens, un diptyque. On sent plus l’influence de la musique européenne classique que Ralph Towner a étudiée lorsqu’il vivait à Vienne fin des années 1960. Biding Times marque un retour a la 12 cordes plus frais et groovy. Blue As In Bley est, me semble-t-il, un hommage clair à un autre géant du piano : Paul Bley. Une composition qui nous ramène au blues même si elle n’en a pas la forme. On y trouve des tensions et des phrases qui nous rappellent que Ralph Towner a écumé les clubs de New York, fin des années 1960, en tant que pianiste de jazz, à l’époque où il répétait avec Oregon dans l’appartement de Wayne Shorter. Pour terminer l’album, Rewind, un morceau déjà enregistré sur l’album « Beyond Words » d’Oregon en 1995. On retrouve une caractéristique de l’écriture de Towner : groove, légèreté, faculté à dissocier clairement la mélodie des riffs harmoniques et rythmiques. En toute objectivité, un album de plus de Ralph à ne pas manquer et à écouter attentivement. Ralph Towner est en tournée aux USA jusque début mars et reviendra en Europe en solo et avec Oregon. Il n’est plus venu en Belgique depuis 1992, chers organisateurs, il est grand temps de ne pas manquer cette occasion de le faire revenir pour qu’il puisse partager sa musique en Belgique !

Alain Pierre

Courte biographie d’Alain Pierre

Etude de Guitare Classique, Musique de Chambre et Improvisation Libre au Conservatoire de Musique de Liège. Etude de Guitare Jazz et Harmonie Jazz au Conservatoire de Bruxelles. A travaillé avec Ralph Towner, Philip Catherine, Paolo Radoni, Jacques Pirotton, Pierre Van Dormael, Serge Lazarevitch, Peter Hertmans, Steve Houben, Arnould Massart, Garrett List… Il fait de l’utilisation de la guitare acoustique 12 cordes, à laquelle il adapte la technique de guitare classique, sa spécialité.

Biographie complège sur le site des Lundis d’Hortense : Jazz In Belgium

Pour accéder au site personnel et professionnel d’Alain Pierre, c’est ICI