Youn Sun Nah, She Moves On
Youn Sun Nah, She Moves On
Tout est possible pour Youn Sun Nah : passer de deux enregistrements à Gothenburg en Suède à un studio newyorkais; se passer de son guitariste fétiche Ulf Wakenius (virtuose et ex-accompagnateur d’Oscar Peterson) pour la sonorité tranchante de Marc Ribot; délaisser l’accordéoniste français Vincent Peirani pour un claviériste-compositeur-arrangeur-producteur classé parmi les musiciens d’avant-garde de la scène newyorkaise et partenaire de John Zorn et Dave Douglas. Le grand écart en quelque sorte. Pourtant, ce qu’on découvre sur « She Moves On » est bien du Youn Sun Nah pur jus : une voix envoûtante, d’une justesse sans faille, d’une grande pureté et chargée d’une émotion palpable sur chaque plage. Le répertoire est composé pour moitié de thèmes pop des années 1960/1970 : Teach The Gifted Children de Lou Reed, She Moves On de Paul Simon, No Other Name de Peter, Paul & Mary, The Dawn Treader tiré du premier album de Joni Mitchell, et Drifting de Jimi Hendrix. Chacune met en avant la mélodie dans des registres différents passant du duo intimiste avec le délicieux son acoustique de Marc Ribot sur No Other Name au très électrique Drifting . Deux thèmes du répertoire traditionnel s’ajoutent au programme : A Sailor’s Life, une chanson du 18ème siècle, que Youn Sun Nah chante ici sur l’arrangement qu’en avait fait le « Fairport Convention » en 1969. Et Black Is The Color of My True Love’s Hair, thème d’origine celtique, mais rendu célèbre par la version de Nina Simone que Youn Sun Nah reprend ici au kalimba comme elle l’avait fait avec My Favorite Things. Un seul standard peu joué aujourd’hui mais qui fut un des morceaux-phares de Glen Miller, Tommy Dorsey ou Billy Eckstine : Fools Rush In. Enfin, trois originaux, deux de la plume de la chanteuse coréenne et un de Jamie et Vanessa Saft, complètent un album à l’esthétique proche des deux précédents : des mélodies soyeuses, superbement emballées, ici avec un line-up tout à fait inattendu, du moins pour ceux qui ne connaissent que les faces aventureuses des partenaires américains de la chanteuse. L’album recèle une grande unité stylistique : ici, pas de pièce démonstrative comme le Momento Magico de « Lento », mais une musique intériorisée au climat lyrique et serein où l’accompagnement de Jamie Saft joue un rôle prépondérant dans les couleurs apportées aux chansons, passant du piano acoustique au Fender Rhodes ou à l’orgue Hammond avec la même élégance.
Jean-Pierre Goffin