Walter Hus, Orchestrion
L’Orchestrion de Walter Hus
C’est dans les locaux de la société NAMAHN où Walter Hus tient une résidence depuis quelques années que nous avons rendez-vous, dans une pièce où est rangé l’imposant instrument composé de différentes unités : percussions, flûte, violon alto, hautbois,… Un instrument impressionnant qu’utilise aujourd’hui « BELEM », le duo de Didier Laloy et Kathy Adam.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Avant de parler de cette collaboration entre vous et « Belem », pouvons-nous revenir quelques décennies en arrière et à l’époque où vous faisiez partie du groupe « Maximalist ! » qui a aussi enregistré chez IGLOO.
Oui, avant « Maximalist ! », j’avais déjà enregistré mon premier disque chez IGLOO, « Improvisations », musique improvisée au piano… Et « Maximalist ! », c’était exactement le contraire, une musique très maîtrisée inspirée par le minimaliste comme il y en avait à cette époque partout dans le monde. C’était une sorte de réponse au minimalisme américain, une réponse typiquement européenne avec un « edge », avec un « coin », alors que la musique américaine avait quelque chose de fluide, coulant, méditatif, notre musique était plus terre-à-terre, un peu plus rock. En Hollande, on avait aussi Louis Andriessen qui avait aussi cette approche très brutale du minimalisme.
Comment est né « Maximalist ! » ?
Tout s’est concrétisé autour des enregistrement pour le spectacle « Rosas Danst Rosas » d’Anna Teresa De Keersmaeker. Peter Vermeersch et Thierry De Mey avaient créé cette musique et Peter qui était mon meilleur ami et avec qui j’avais fait mes études, m’a appelé pour jouer le piano. Eric Sleichim était là par hasard parce qu’il jouait dans des groupes rock de l’époque à Bruxelles et est devenu le quatrième membre du groupe. C’était une rencontre magique parce que c’était une musique très cadrée, on avait un message bien défini. Comme je n’étais pas tellement quelqu’un de groupe, j’étais plutôt un solitaire, j’ai été le premier à quitter cet ensemble et par la suite « Maximalist ! » s’est en quelque sorte dissous dans « Ictus », l’ensemble de musique contemporaine. Cette direction de musique minimale est restée un bon moteur pour l’ensemble de ma musique, mais je me suis progressivement éloigné de cette approche rigoureuse de la musique, j’ai accepté plus de liberté, plus de mélodie aussi. A un certain moment, le temps fort de ma musique a été le contrepoint, le fait que plusieurs lignes se croisent, toutes en train de se parler entre elles, le côté multiple. Je suis allé très loin dans cette recherche.
Comment découvrez-vous l’existence de cet « orchestrion » ?
Puis est arrivée la découverte de cet instrument comme par miracle dans ma vie. C’est la version contemporaine du limonaire ou de l’orchestrion que j’avais connu dans ma jeunesse, j’étais fasciné par cet instrument. Vers l’an 200, j’avais écrit un opéra pour le « Blindman Kwartet » à Rotterdam, et le théâtre voulait reprendre ce spectacle l’année suivante, mais le « Blindman Kwartet » n’était plus libre. Et au même moment, m’est arrivée l’information que les orgues « DECAP » étaient commandables par ordinateur et qu’il y avait une grosse évolution dans ce domaine. J’ai pris contact avec eux et dès le premier contact téléphonique, j’ai eu une confiance absolue dans ces gens. J’ai alors pu convaincre le théâtre d’acheter un orgue à la fois comme décor et comme instrument, ce qui en rendait le coût raisonnable. Je me suis alors installé dans l’usine DECAP et j’y ai logé : pendant qu’ils fabriquaient les tuyaux, un par un, je recevais les pièces de l’instrument et je transcrivais pour l’orgue la musique de l’opéra écrite pour le quatuor de saxophones. Ces gens travaillaient la nuit, ils se couchaient à dix heures du matin, et donc je travaillais aussi la nuit pour retranscrire les registres de l’orgue. Je me suis à ce moment-là pris d’amour pour cet instrument : alors que j’avais toujours considéré ce que je faisais avant comme un peu comme difficile, lourd, là j’étais confronté au plaisir. Au lieu d’être seul devant une partition, tout était donné, en fait. J’ai conçu ce rêve de continuer à travailler avec cet instrument qui ne m’appartenait pas. J’étais devenu ami avec la famille DECAP et eux considéraient que ce que je faisais avec leur instrument était de première importance, personne n’avait aussi bien compris le sens de leur recherche technologique, de travailler le son, de le rendre évocatif, parlant. Et puis est arrivé ce coup de chance : un riche Hollandais du monde de la finance avait commandé un instrument chez DECAP pour décorer sa loge dans le stade de football de l’Ajax, pour impressionner ses clients ! Le gars s’est retrouvé sans argent, mais avait déjà payé une partie de l’orgue et n’en voulait plus… Alors DECAP a mis l’instrument à ma disposition et depuis lors, nous sommes dans une sorte de collaboration, c’était vers 2000. Les orgues ont subi depuis de multiples transformations : l’instrument ne se présentait pas avec des sections isolées comme maintenant dans des unités amovibles ; l’électronique était une sorte de château avec des fils de tous les côtés jusqu’à devenir aujourd’hui une simple plaquette. Le logiciel interne a terriblement évolué aussi.
L’intérêt de cet instrument est qu’il permet de jouer des inflexions qui n’étaient pas possible sur un instrument à tuyaux classique. Pouvez-vous expliquer ce procédé ?
Dans chaque unité, il y a une chose qui mesure la pression de l’air et il y a un élément qui adapte le souffle, c’est un haut-parleur qui joue ce rôle, mais un haut-parleur qui n’est pas utilisé pour sa capacité à fournir du son, mais pour sa capacité à faire vibrer une membrane à des pulsations électriques. Avec la membrane du haut-parleur, on contrôle tout le temps le flux, la vitesse de l’air. Je peux programmer un vibrato, sa profondeur, je peux superposer plusieurs vibratos et travailler sur un son physique. Monsieur Decap a utilisé une belle image pour définir ce travail : c’est comme tirer une caravane avec un ressort ! Un clarinettiste qui joue par exemple fait tout avec sa bouche, mais ici il y a une distance énorme entre le corps qui doit vibrer et l’ordinateur. C’est pour ça que cette micro-adaptation du volume est révolutionnaire et ça crée des sons qui ne sont jamais sortis d’un orgue auparavant.
Cela permet une grande variété dans les styles de musique qu’on peut approcher.
Dès le début j’ai voulu créer des sons impossibles, non-existants, où l’amalgame créait un son spécifique, j’étais déjà auparavant allé très loin dans la recherche sur la pulsation. Et en jouant par exemple de la techno avec l’instrument, je me suis très fort éloigné de la musique contemporaine qui m’occupait avant. L’expérience avec Didier Laloy et Kathy Adam va encore dans un sens où je n’étais encore jamais allé, dans le sens où j’ai dû travailler beaucoup l’aspect mélodique, parce que la musique de Didier est tellement riche en mélodie, en sous-mélodie, que obligatoirement la musique créée avec l’orgue devait aller dans ce sens, ce que je n’avais jamais fait. Du coup, je découvre une nouvelle piste qui va me relier peut-être plus avec ma musique classique dans le futur.
Pat Metheny s’est intéressé à DECAP : vous pouvez nous en parler ?
Sur son site,il a écrit un texte sur notre rencontre. J’avais vu qu’il faisait un truc avec des instruments mécanisés et j’ai voulu qu’il connaisse ce que faisait la firme DECAP ; j’ai organisé une rencontre backstage et Pat Metheny a tout de suite compris en rencontrant monsieur Decap : « This guy knows what he is talking about ! » Pendant sa tournée en Europe, il a fait un détour à Bruxelles dans mon studio pour voir l’instrument. Il avait déjà son propre orchestrion, mais il rencontrait énormément de problèmes techniques avec la vélocité et le volume qu’il ne maîtrisait pas. DECAP et Metheny sont restés en contact et Metheny a demandé à Tony Decap d’amener une installation à New-York pour el dvd du spectacle. Nous y sommes allés pour installer le système dans son propre orchestrion. Il s’est même passé quelque chose d’historique lors de cette rencontre : Pat Metheny voulait commander l’instrument par sa guitare, et Tony Decap s’est tout de suite occupé de programmer quelque chose qui suivait exactement ce que Metheny jouait ! Pat n’en revenait pas ! Et j’ai demandé à Tony si on ne pouvait pas adapter ça sur un clavier d’ordinateur : c’est la première fois qu’on a joué de l’orgue avec une touche à la sensibilité parfaite ! On pouvait jouer comme sur un piano avec des nuances, c’était un grand moment.
Déjà des projets après « Belem » ?
Pour « Belem », ma tâche est finie, j’ai fait les orchestrations, j’ai aidé au mixage, tout est prêt pour le « live ». J’ai plein de nouveaux projets avec l’instrument. J’ai un projet d’opéra populaire pour un lieu en Italie et un projet de concerto pour l’orgue avec un violon soliste et moi au piano. »
« Belem & The Mekanics » se produit au Théâtre Marni du 21 au 25 novembre.